samedi 30 mai 2009

IV) Théories opposées à la Systémique (IV-5 Matérialisme Dialectique)

IV-5) Matérialisme Dialectique

1° Remarque préliminaire : cet article suit logiquement celui sur le Positivisme, comme on va le voir.
2° Remarque préliminaire : la logique dialectique de Hegel, puis la logique dialectique matérialiste d’Engels et de Marx n’ont rien à voir avec la Logique Formelle qu'elle prétends remplacer. La Logique Formelle ne s’intéresse pas au contenu subjectif d’un énoncé mais à son contenu formel. Son but est de faire logiquement découler un énoncé d’un autre énoncé objectivement et sans ambiguïté possible. Pour cela chaque énoncé doit être défini « formellement », c'est-à-dire dans un langage dénué de tout contenu subjectif. Sa première apparition vient d’Aristote avec les syllogismes, (voir III-2-1). Cette approche est propre aux mathématiques en général, dans le but de parvenir finalement à ramener tout raisonnement à une tautologie : A=A.

Selon Engels la Dialectique repose sur trois « lois » :
  •  l’unité et l'interpénétration des contraires ;
  •  la négation de la négation ;
  •  la transformation de la quantité en qualité.
[ENGELS F., « Dialectique de la nature », 1883, collection "Les classiques des sciences sociales", Éditions sociales, 1968, (Ed. Originale 1925), p 52].

IV-5-1) Pour l’unité et l'interpénétration des contraires

Selon Engels ou Lénine, la dialectique, « dialectique comme à la forme suprême de la pensée » [ENGELS, Friedrich, « L’Anti-Dühring », 1878], se veut successeur de la Logique Formelle. Étant conforme à ce que Hegel appelle la « philosophie des identités » ou panlogisme, philosophie soutenant que les idées faisant le monde (ou l'inverse chez les matérialistes), il y a identité entre les idées et les objets réels. Elle s’attache à étudier l’objet ou l’idée, le concept (panlogisme) ou encore une théorie (A), c’est la thèse. En passant on remarque que ce (A) est de fait découpé dans le réel par les dialecticiens, mais sans aucune réflexion ni précaution sur les conséquences de cette découpe arbitraire… De ce (A) ils en tirent son opposé contradictoire, objet, ou idée, concept ou encore théorie (non A), c’est l’anti-thèse. Selon eux, sans cette analyse dialectique, souvent réalisée après coup, après la découverte de cet objet, idée ou théorie, la démarche scientifique est vidée de son sens et surtout incomplète car le processus doit continuer. Après la thèse et l’anti-thèse, le dialecticien se doit d’en opérer la synthèse [(A) et (non A)]. Ensuite le dialecticien pourra continuer encore en faisant l’anti-thèse [non ((A) et (non A))] de la synthèse, suivi d’une nouvelle synthèse encore [((A) et (non A)) et (non ((A) et (non A)))] et ainsi de suite… sans jamais faire référence à de quelconques tests, expérimentations de toutes ces thèses, anti-thèses et synthèses dans le monde réel. D’aucuns pourront plaider en faveur de cette « méthode » en disant qu’elle permet d’être complet dans l’analyse de l’objet étudié. Or si Leibniz dit, lorsqu’il souhaite découvrir une ville qu’il ne connaît pas, commencer par en faire le tour complet, il ne dit pas qu’il va en prendre l’opposé, la négation de cette ville !Cette approche est aujourd’hui décriée voire méprisée ou combattue comme dangereuse en souvenir douloureux du matérialisme dialectique et ses dégâts notamment sous Staline ou sous Mao et la « science matérialiste » ou encore la « science prolétarienne » qui étaient autant de pseudo-sciences.

Il apparaît que la Dialectique est utilisée sous trois modes différents malheureusement confondus entre eux :

   a) Le mode méthodologique (outil de pensée) :

Le matérialiste dialectique revendique le fait d’être non seulement scientifique et philosophique mais surtout d’être LA Méthode scientifique devant être utilisée par tous les scientifiques. En passant, on peut noter que cette ambition n’est pas sans rappeler celle de Descartes, avec des résultats tout aussi désastreux. Cette méthode consiste donc a prendre un objet ou un être étudié ou encore une idée en l’analysant directement, en tant que tel (thèse), puis de faire l’hypothèse de son contraire/ opposé/ antinomie ou encore de sa non-existence « pour voir » ce qui se produirait dans ce cas (antithèse) et enfin d’en tirer les conclusions qui s’imposent en gardant « le meilleur » (mais sur quels critères ?) des thèses et antithèses (synthèse). Cependant on peut s’interroger en passant sur ce que l’on entend exactement par antithèse lorsqu’il s’agit par exemple d’un être humain, d’un ordinateur, d’une fleur ou tout autre objet ou être du monde réel… car quelle est l'antithèse d'une pomme ? Vaste débat !
On est au cœur ici du point soulevé par Mario Bunge dans « Matérialisme Scientifique » [BUNGE, Mario, 2008] : la dialectique prétend s'appliquer aussi bien aux objet réels qu'aux idées, c’est le panlogisme évoqué plus haut. Mais comme le fait remarquer K. Popper, ce n’est pas parce que l’anglais est une langue qui peut exprimer des idées, des concepts, sur le monde, que le monde est anglais. Autant il est possible d'imaginer l'opposé d'un concept (vide vs plein, ouvert vs fermé,...) bien que cela soit contestable car tout n'est pas binaire (un verre peut être à moitié plein...), autant il est impossible d'imaginer l'opposé de clé, de vache ou de barre de fer...
Mais il y a plus grave encore avec le matérialiste dialectique utilisé en tant que méthode scientifique comme l’a souligné K. Popper dans, par exemple, « Conjecture and Refutation » :
- Une théorie, une thèse, ne génère pas une antithèse, ce sont les chercheurs qui se livrant à une mise à l’épreuve critique d’une nouvelle théorie, peuvent arriver soit à une autre théorie (pas forcément opposée à la première), soit produire plusieurs autres théorie (et non une antithèse unique), soit… à rien.
 - Cela est la première étape, après la phase de mise à l’épreuve critique, des tests, des expérimentations selon un protocole strict, rigoureux et reproductible, doivent impérativement être réalisées, pour tester cette théorie. Or cette phase de tests, si vitale pour déterminer si une théorie est scientifique (car réfutable) et si elle « survit » au tests (où elle sera éventuellement réfutée donc), n’est jamais mentionnée par les tenants du matérialisme dialectique. Pour eux on fait une thèse, puis une antithèse, puis on en conclu une synthèse et on continue par une anti-thèse de la synthèses etc., c’est tout. Il n’y a jamais aucune référence à des expérimentations qui pourrait permettre au monde réel de trancher par le rejet des théories fausses car réfutées par celui-ci, refer le texte de K. Marx au paragraphe suivant. Le matérialisme dialectique est donc en cela détaché du monde réel
 -  Pour le matérialisme dialectique, ce qui compte c’est trouver des oppositions, des contradictions à une thèse pour arriver à une antithèse via des couples d’oppositions binaires (voir V-16). Or, comme expliqué par K. Popper, le véritable intérêt de la démarche scientifique est de produire des théories testables (intrinsèquement réfutables). Puis de les tester dans le but de tenter de les réfuter pour les éliminer et tirer des leçons de ces échecs par essais/erreurs, ce qui permet de produire de nouvelles théories meilleures car capable de survivre aux tests précédents... puis peut-être échouer à de nouveaux tests. Inventer à toute force une antithèse, une anti-théorie face à une théorie ne présente aucun intérêt, et encore moins vouloir à tout prix en sortir une synthèse ! On est ici en plein dans les pensées confuses et virevoltantes de Marx comme cité en (b) ci-dessous.
 
   b) Le mode logique contre la Logique Formelle :

Le mode logique consiste à ériger la Dialectique en une nouvelle sorte de logique, opposée à, et remplaçant, la Logique Formelle. Au lieu d’avoir recours à des concepts formels objectifs dénuées de toutes ambiguïtés, on invente donc un item logique (A), on l’affirme, puis on le nie par (non A), c’est l’anti-thèse, puis on opère la synthèse, « l’union des contraires » d’Engels, en concluant par [(A) et (non A)]. (A) peut être ici n’importe quel affirmation, idée, chose ou sujet : « la porte est ouverte », « telle fréquence lumineuse est perçue comme une couleur bleue », « il pleut », « l’astrologie est une science », cet animal est un éléphant » etc… Elle peut être aussi bien une idée, un concept, un être vivant qu’un objet réel suivant ce que Hegel, repris par Marx, appelle la « philosophie des identités » ou « panlogisme ».
Or, rien n'est plus efficace pour détruire la Logique dialectique que la vraie logique, la Logique Formelle ou la Théorie des Ensembles. En effet, les détracteurs de la Dialectique n’ont pas manqué d’observer que cette logique n’est pas réfutable puisque si [(A) ou (non A)] est toujours vrai, [(A) et (non A)], c’est à dire la synthèse dialectique est par contre toujours fausse. Or si en Logique Formelle d'une proposition vraie il est possible de conclure quelque chose, par contre d'une proposition fausse, par définition, on ne peut rien conclure… C’est en somme Aristote à l’envers puisque celui-ci prenait bien l’exemple de la porte nécessairement ouverte ou fermée, mais pour expliquer la logique du « tiers exclu » : la porte ne peut pas être à la fois fermée et ouverte, elle est soit l’un soit l’autre. Il avait donc bien compris, lui, 2400 ans avant Engels, Lénine et Staline que [(A) et (non A)], la synthèse dialectique est nécessairement fausse ! C’est bien le reproche souvent fait à la Dialectique : on ne peut rien en conclure, c’est à dire, en conclure n’importe quoi comme tout charlatan le ferait.

Peut-être faut-il alors aller chercher du côté de Marx lui-même dans «  Misère de la Philosophie » p 72 ? : « Mais une fois qu'elle est parvenue à se poser en thèse, cette thèse, cette pensée, opposée à elle-même, se dédouble en deux pensées contradictoires, le positif et le négatif, le oui et le non. La lutte de ces deux éléments antagonistes, renfermés dans l'antithèse, constitue le mouvement dialectique. Le oui devenant non, le non devenant oui, le oui devenant à la fois oui et non, le non devenant à la fois non et oui, les contraires se balancent, se neutralisent, se paralysent. La fusion de ces deux pensées contradictoires constitue une pensée nouvelle, qui en est la synthèse. Cette pensée nouvelle se déroule encore en deux pensées contradictoires qui se fondent à leur tour en une nouvelle synthèse. De ce travail d'enfantement naît un groupe de pensées. Ce groupe de pensées suit le même mouvement dialectique qu'une catégorie simple, et a pour antithèse un groupe contradictoire. De ces deux groupes de pensées naît un nouveau groupe de pensées, qui en est la synthèse. ». Pensées déconnectées de la réalité, confuses et virevoltantes de Marx, on est si loin des réflexions si profondes et lumineuses d’un Aristote, Bachelard, Popper, Hayek, Morin, etc. Et c’est avec ces pensées là, que le Marxisme va se revendiquer comme science et philosophie… Misère de la philosophie en effet. C’est une autre parenté avec Descartes dont la méthode repose sur l’introspection, et donc ses idées personnelles, et non l’expérimentation, et s’en satisfait.

   c) Le mode d’opposition des contraires pré-identifiés :

L’opposition des contraires factuels déjà identifiés, consiste à prendre deux états (par exemple) d’une machine, un objet ou un être dont on a constaté l’opposition de fait : états d’une être vivant : vivant versus mort, états d’un morceau de bois : sec versus mouillé, etc… pour analyser chacun d’entre eux – démarche légitime -, analyser comment et de quelle manière ils sont en contradiction et en opposition. On en tire alors une conclusion qui est une espèce de mise en exergue, un éclairage, de cette opposition. L'intérêt de ce mode dialectique ne dépasse guère le niveau de la tautologie n’apportant aucune information « un être vivant doit, certes, être vivant ou bien mort » un peu à la manière d’un M. Jourdain de Molière... mais peut être utile notamment en pédagogie.

F. Engels nous donne ainsi une exemple très parlant d’opposition de contraires pré-identifiés : « La chaleur est une « force » de répulsion, elle agit donc en sens opposé à celle de la pesanteur et de l'attraction chimique, elle est de signe -, si celles-ci sont affectées du signe +. Si donc Helmholtz a constitué sa réserve primitive de force avec de l'attraction universelle et chimique, une réserve de chaleur qui existerait encore outre celle-ci ne devrait pas être ajoutée à cette réserve de force, mais en être retranchée. Sinon la chaleur solaire devrait renforcer la force d'attraction de la terre, lorsque, - précisément contre celle-ci, - elle fait évaporer l'eau et s'élever la vapeur ; ou bien la chaleur d'un tube de métal incandescent, dans lequel on fait passer de la vapeur d'eau, devrait renforcer l'attraction chimique de l'oxygène et de l'hydrogène, alors qu'au contraire elle la fait cesser. ». [Engels F., « Dialectique de la nature », 1883, p 69] Ce passage fait fortement penser à la « physique » de l’Antiquité : à cette époque certains philosophes pensaient que comme la vapeur s’élevait dans l’air, c’est qu’elle devait regagner « son lieu naturel », le ciel, tandis que si la pierre tombait sur la terre, c’était pour rejoindre « son lieu naturel » terrestre. Ici Engels est sur une légère variante : la chaleur fait s’ « évaporer l'eau et s'élever la vapeur » c’est qu’elle est une force de répulsion, à l’opposé (dialectique) de la pesanteur qui est une force d’attraction ! Évidence toute cartésienne et dialectique de LA Méthode scientifico-philosophique du Matérialisme dialectique. Il faut noter qu’à cette époque, en 1883, lorsque Engels a écrit cette « œuvre », « Dialectique de la nature », tous les gens un peu éduqués savaient pourtant que si la vapeur s’élevait dans l’air, c’est tout simplement parce que sa densité est plus faible. C’est juste un principe découvert par Archimède, grand savant de… l’Antiquité ! Il faut rappeler qu’une vraie science traitant de la chaleur et de l’énergie, la Thermodynamique, existait déjà à l’époque où Engels rédigeait ces fantaisies matérialistes dialectiques sur « la chaleur « force » de répulsion »… Après la misère de la philosophie, c’est le néant scientifique...

Ces trois modes si souvent confondus étant précisés, il devient alors possible de clarifier le positionnent de la Dialectique par rapport à la Systémique :
  • Le mode méthodologique, peut ne pas être opposé à la Systémique s’il est utilisé par un… non dialecticien. Tout comme une certaine réduction du réel, le découpage conscient d’un sous-système dans ce que l’on croit être le réel, peut être utilisé par un non cartésien, c'est-à-dire un chercheur qui ne l’utilisera qu’en tant qu’outil limité et à risques ; ce mode dialectique pourra être utilisé à certaines phases de l’étude, et à certaines phases seulement et avec la plus grande prudence... mais il est clair que ce mode sera surtout un risque de perte de temps au minimum, voire un risque de se fourvoyer pour un chercheur qui gagnerait grandement à utiliser la directement la méthode de conjecture et réfutation de K. Popper.
  • Le mode logique par contre est clairement anti-systémique, nous pourrions plus exactement dire : erroné. Résolument contraire à la Logique Formelle –qui, elle, est compatible avec la systémique-, elle permet tous les abus, toutes les dérives de types Lyssenko, ou autres « sciences matérialistes » du communisme. C’est pour cette raison, qu’il convient de ranger le matérialisme dialectique clairement du coté des approches opposées à la Systémique, contrairement à la volonté affichée de certains des tenants de ce matérialisme dialectique –comme L. Sève dans « Émergence, Complexité et Dialectique »- en voulant la récupérer à leur profit. En effet la Dialectique est le plus souvent comprise sous le mode logique uniquement  par ses défenseurs autant que par ses détracteurs.
  • Le mode d’opposition des contraires pré-identifiés pourra de même être utilisé par un non dialecticien, dans le seul but de faire le tour d’une opposition, par exemple un changement de phase avant/après ce changement et seulement dans ce cadre limité, avec la même prudence aristotélo-vichienne et les mêmes limitations que pour le mode méthodologique.

IV-5-2) Pour la négation de la négation

Il faut ici citer un très bel exemple d’Engels pour bien comprendre ce « concept » dans « L’Anti-Dühring » p 75 : « Il en va de même en mathématiques. Prenons une grandeur algébrique quelconque, par exemple a. Nions-la, nous avons - a. Nions cette négation en multipliant - a par - a, nous avons +a², c'est-à-dire la grandeur positive primitive, mais à un degré supérieur, à la seconde puissance. (…) la négation niée est si ancrée dans qu'il a dans tous les cas deux racines carrées, soit a et -a. Et cette impossibilité de se débarrasser de la négation niée, de la racine négative contenue dans le carré prend une signification très sensible dès les équations du second degré. ».
De cet exemple on peut tirer trois enseignements :
 • Engels est nul en arithmétique : pour faire sa 1° négation, il multiplie correctement a par – 1 pour avoir -a, mais au moment de faire la 2° négation, au lieu de multiplier à nouveau par -1, tout à coup, il multiplie -a par lui-même (en quoi est-ce une négation ?) pour arriver évidemment à ! Et personne ne peut comprendre pourquoi la négation est tantôt un carré tantôt une multiplication par -1 ! Il est vrai, qu'il aurait fait sa négation de la négation en multipliant à nouveau comme il faut par -1, il serait alors retombé sur a... ce qui ne présentait aucun intérêt et donnait même un exemple d'un ennui sans nom.
 • Suis une belle envolée lyrique sur bien supérieur à a... On comprend le message : si la classe ouvrière fait sa négation de la négation, grâce au Matérialisme Dialectique, elle sera la « classe ouvrière au carré », bien supérieur à la classe ouvrière simple pré-marxiste et deviendra donc la classe dominante !
 • Enfin Karl Popper, sur cet exemple de matérialisme dialectique d’Engels, ajoute perfidement la remarque suivante : « Et dans quel sens a² est « plus grand » que a ou -a ? (Certainement pas dans le sens d’être numériquement plus grand car si a = 0,5 alors a² = 0,25). Cet exemple montre l’arbitraire extrême avec lequel les idées vagues de la dialectique sont appliqués. » [POPPER K., « Conjecture and Refutation », 1963, Ed. RouteLedge, p 434]
 • Nous somme bien devant une pseudo-philosophie, ou pseudo-science au choix.

Autre exemple des apports irremplaçables de la logique dialectique, toujours p 75 : « Les mathématiques élémentaires, les mathématiques des grandeurs constantes, se meuvent, du moins dans l'ensemble, à l'intérieur des limites de la logique formelle; les mathématiques des grandeurs variables, dont le calcul infinitésimal forme la partie la plus importante, ne sont essentiellement que l'application de la dialectique à des rapports mathématiques. ». Note : Où voit-il une telle chose ? « (…) Mais presque toutes les démonstrations des mathématiques supérieures, dès les premières démonstrations du calcul différentiel, sont, à strictement parler, fausses du point de vue des mathématiques élémentaires. ». Note : Heureusement, Engels est là car aucun de nos grands mathématiciens ne l’avait vu ! « Il ne peut en être autrement, dès que, comme c'est ici le cas, l'on veut démontrer au moyen de la logique formelle les résultats obtenus sur le plan de la dialectique. ». Note : on connaît bien les résultats très riches de la Logique Formelle ou du calcul différentiel, mais encore faudrait-il qu’il nous démontre quels sont les « résultats » obtenus par la dialectique ?

Dernier exemple d’Engels p75, montrant ici l’apport déterminant du matérialisme dialectique et sa négation de la négation à la biologie et à l’horticulture : « par exemple un dahlia ou une orchidée; traitons la semence et la plante qui en naît avec l'art de l'horticulteur : nous obtiendrons comme résultat de cette négation de la négation non seulement davantage de semence, mais aussi une semence qualitativement meilleure, qui donne de plus belles fleurs, et toute répétition de ce processus, toute nouvelle négation de la négation renforce ce perfectionnement. ».
Remarque importante : Cet exemple est intéressant car il avait été utilisé il y a 2400 ans par Aristote puis repris il y a 800 ans par Thomas D’Aquin, comme on le voit ce n’est pas récent… Mais ces deux philosophes avaient eux compris correctement ce que signifiait la transformation de la graine en plante générant à son tour des graines. La nature, la propriété de la graine, son être, est précisément de pouvoir se transformer, d’évoluer en plante par la germination. Cette possibilité fait partie intrinsèquement de son être, c’est même selon Aristote sa finalité. Ces deux philosophe nous expliquent que la graine est en puissance plante, elle-même en puissance graines. Loin de se nier, la graine se réalise positivement en devenant plante, car c’est le propre de son être. Sans le savoir Aristote et Th. D’Aquin ont souligné, par là même, la plus grave des erreurs du Matérialisme Dialectique : Marx et Engels prennent pour une négation, voire une négation de négation, ce qui est en réalité hautement positif, car passage de la puissance à l’acte, de la graine, se réalisant pleinement en germant et en devenant plante. Cette grave erreur est pire qu’une erreur, c’est une inversion de la pensée, qui prends pour une négation (donc destruction) une évolution normale et positive d’un être qui se réalise librement pour ce qu’il est vraiment : passage de la graine qui est en puissance une plante, à la plante en acte. On comprend mieux alors toutes les destructions systématiques qui ont pu accompagner et accompagne encore les prises de pouvoir par des régimes Marxistes. Ces destructions étant vues comme autant de négations (et négations de la négation) bien fondées et nécessaires à l’avènement de la dictature supposée du prolétariat, voire même vengeance contre les bourgeois et leurs réalisations.

IV-5-3) Pour la transformation de la quantité en qualité

C'est la transformation de la quantité en qualité, Engels, mais aussi Marx en donnent de nombreux exemples. L’exemple préféré de Engels - qui revient souvent chez Marx, Lénine puis Staline - est celui de l’eau à différentes températures. Ainsi : « Nous avons donné là un des exemples les plus connus : celui de la transformation des états d'agrégation de l'eau qui, sous pression atmosphérique normale, à 0 °C, passe de l'état liquide à l'état solide et à 100 °C, de l'état liquide à l'état gazeux, en sorte qu'à ces deux tournants, le changement purement quantitatif de la température entraîne un état de l'eau qualitativement changé. ». [Engels « L’Anti-Dühring » p 71]. Certes, mais cela ne fait pas une science. Tout d’abord ce genre d’analyse très intéressante, n’apporte rien aux vrais scientifiques. Ensuite on a l’impression d’être revenu à l’Antiquité ou au Moyen-Age dont les penseurs avaient déjà amplement travaillé les problèmes de de qualité des corps, qualité (Forme) opposée à la quantité (Matière), comme avec Platon ou au contraire unies comme avec Aristote et Thomas D'Aquin. Arrivé au au XIX ° siècle, il aurait été temps de dépasser cela.. D’ailleurs, à la même époque, les vrais scientifiques étaient capables de quantifier précisément le flux d’énergie nécessaire pour faire passer un kilo d’eau de glace à liquide en fonction de la pression atmosphérique. Cela s’appelle la Thermodynamique. Cette (vraie) science a permis de créer les machines à vapeur, car elle maîtrisait les flux d’énergie nécessaires (ex : l’enthalpie libre de la 2° loi de la Thermodynamique) par contre on n’a jamais vu une locomotive avancer avec de la « loi de la  transformation de la quantité en qualité » dialectique ! En physique, et en Systémique, on appelle cela un changement de phase, mais cet apport d’énergie ne change pas la qualité de l’eau, elle va provoquer un changement de phase de l’eau, les molécules d’eau restant des molécules d’eau ! Ce qui est différent. Car ici précisément, la qualité de l’eau est unique, en physique on parle d’ailleurs de propriété : le propre de l’eau, sa caractéristique, sa propriété, son être aurait dit Aristote, est d’avoir deux changement de phases à 0 °C et 100 °C à 1 bar de pression atmosphérique, sous l’effet d’un flux d’énergie. La Systémique évoque aussi dans ce type de cas l’émergence, (voir II-5-1), d’une nouvelle organisation du système (ici l’organisation des molécules d’eau entre elles), c’est l’auto-éco-ré-organisation de la Systémique. Mais il ne s’agit en aucun cas d’une nouvelle « qualité ». De plus avec cette notion de « quantité se transformant en qualité », c'est l’énergie qui devrait se transformer de glace en liquide à 0 °C, puisque c'est l'énergie dont la quantité s'accroît et non l'eau !

Dans un autre exemple Engels cherche à faire varier la quantité de la matière directement concernée par le changement de qualité afin d’éviter l’écueil de la variation de l’un (l’énergie) censé faire changer la qualité de l’autre (l’eau) et ainsi mieux répondre au précepte de la dialectique de la transformation de la quantité en qualité : « Cependant le domaine dans lequel la loi de la nature découverte par Hegel connaît ses triomphes les plus prodigieux est celui de la chimie. On peut définir la chimie comme la science des changements qualitatifs des corps qui se produisent par suite d'une composition quantitative modifiée. Cela, Hegel lui-même le savait déjà (Logique, éd.. compl. III, p. 433). ». Note  : technique habituelle chez les marxistes matérialistes dialectiques : s’approprier après coup des découvertes scientifiques faites par d’autres, ici c’est grâce à Hegel, qui était un grand chimiste selon Engels, qu’il a été possible de découvrir et fabriquer les protoxyde d'azote et pentoxyde d'azote… belle falsification de l’histoire ! : « (…) Quelle différence entre le gaz hilarant (protoxyde d'azote N2O) et l'anhydride azotique (pentoxyde d'azote N2O5) ! Le premier est un gaz, le second, à la température habituelle, un corps solide et cristallisé. Et pourtant toute la différence dans la combinaison chimique consiste en ce que le second contient cinq fois plus d'oxygène que le premier. » [Engels F., « Dialectique de la nature » p 55].
Engels ne comprends pas que dans l'exemple qu’il donne sur le protoxyde d'azote N2O versus le pentoxyde d'azote N2O5, il ne s’agit pas d’un simple ajout de quatre atomes d’oxygène à un tas de deux atomes d’azote et un d’oxygène pour donner un nouveau tas de deux atomes d’azote et cinq atomes d’oxygène. Il s’agit au contraire de réactions chimiques complexes, produisant de nouvelles structures atomiques, organisées autrement et d’une manière très précise. Les chimistes ne peuvent d’ailleurs pas produire du pentoxyde d’azote N2O5 en ajoutant 4 atomes d'oxygène au protoxyde d’azote N2O ! Il doivent opérer par une réaction chimique complexe : P4O10 + 12 HNO3 → 4 H3PO4 + 6 N2O5 à partir de composés chimiques, l'acide nitrique HNO3 et le pentoxyde de phosphore P4O10 eux aussi complexes et qui auront dû être produit préalablement... et n'ont rien à voir avec le protoxyde d'azote N2O. Sa soit-disant dialectique de la quantité se transformant en quantité, est juste fausse : la production de pentoxyde d’azote N2O5 se fait au contraire par l’émergence Systémique d’un nouveau système moléculaire, par une auto-ré-organisation via des réactions chimiques complexes des inter-relations entre atomes et en partant de molécules qui ne sont pas le protoxyde d'azote N2O
La molécule qu’il prend en exemple, le pentoxyde d’azote, a aussi une configuration spatiale très précise – comme toutes les molécules d’ailleurs – avec un angle de 114° entre les deux liaisons électroniques reliant l’atome d’oxygène central aux deux atomes d’azote. Cette géométrie spécifique est cruciale dans la compréhension de cette molécule et de ses propriétés, chose qu’Engels ne voit pas avec sa dialectique et son simple ajout de quantité bien cartésien… D’ailleurs ces configurations spatiales, l’organisation, la structure du système constitué par une molécule est une clé incontournable de la compréhension en chimie organiques. On ne peut pas faire de chimie organique sans cela. De plus cette nouvelle molécule peut être instable, comme c’est le cas du pentoxyde d’azote. Il est en double réaction ionique N2O5 ↔ [NO2+][NO3-] en se décomposant puis se recombinant au niveau de l’atome d’oxygène relié aux deux atomes d’azote, entre trois types de structures atomiques différentes N2O5, NO2+ et NO3-, sans apport d’aucune quantité supplémentaire d’atomes ! :


On voit bien que l’un des plus grand penseur du Marxisme vénéré encore maintenant par beaucoup, a lu à droite et à gauche quelques littératures plus ou moins scientifiques, il analyse de même sur un chapitre entier de « Dialectique de la nature » le… spiritisme. Il a ensuite tout mélangé pour y retrouver à tout prix son matérialisme dialectique sacro-saint à travers un charabia pseudo-scientifique. On est donc en pleine confusion avec les Matérialistes Dialectiques Marxistes, qui s’apparentent ainsi à des charlatans cherchant à revendiquer (via des erreurs et des incompréhensions grotesques) l’appropriation après coup des découvertes scientifiques. En réalité, pas une seule découverte scientifique n'a été faire avec cette « méthode »...

IV-5-4) Positivisme, évidence cartésienne de la « vérité objective » et du socialisme scientifique pour J.V. Staline

Conscient de la faiblesse philosophique du matérialisme dialectique, J.V. Staline a voulu en 1938 faire rédiger par une commission un texte à sa signature, et donc incontestable : « Matérialisme dialectique et Matérialisme historique ».
Le but de ce texte court était de remettre au clair les fondements du matérialisme dialectique, puis du matérialisme historique : « Le matérialisme historique étend les principes du matérialisme dialectique à l’étude de la vie sociale ; il applique ces principes aux phénomènes de la vie sociale, à l’étude de la société, à l’étude de l’histoire de la société. » [Ibid, p 1]. Afin de montrer « quel trésor théorique Lénine a sauvegardé pour le Parti contre les atteintes des révisionnistes et des éléments dégénérés, et quelle importance a eu la parution de l'ouvrage de Lénine, Matérialisme et empiriocriticisme, pour le développement de notre Parti. » [Ibid, p 20].
Staline commence par user du même artifice que Marx (voir IV-6) : il assène des affirmations répétées sans démonstrations via des glissements sémantiques, des manipulations psychologiques, afin de les faire passer comme étant valides pour un lecteur peu attentif (ou déjà convaincu…). Il ainsi recours à maintes reprises au tour de magie suivant :
  1. il part d’une implication (A → B) qui peut sembler d'une évidence toute cartésienne au sens commun bien qu’aucunement prouvée scientifiquement.
  2. Puis il écrit « si A est vrai, il est clair que B est naturel, vrai, inévitable, justifié etc... », ce que le lecteur est contraint d’approuver. Il ne cherchera pas à le contester puisque « évident » intuitivement au sens cartésien du terme, or on a vu en (IV-2) la peu de valeur de ces « évidences ».
  3. Puis il conclu « Par conséquent B est vrai », et la pseudo démonstration est faite! 
Or, quand as-t-il démontré que A est vrai ? Quand as-t-il démontré que l'implication (A → B) est vraie ? Jamais ! Il confirme ainsi que le Matérialisme Dialectique ne repose pas sur le réel, tester l’hypothèse – au sens de Popper - « Si A est vrai » via une expérience menée dans le monde réel n’est jamais envisagé... de même que le test de l'implication (A → B) d'ailleurs.
Par exemple : « S’il est vrai que le passage des changements quantitatifs lents à des changements qualitatifs brusques et rapides est une loi du développement, il est clair que les révolutions accomplies par les classes opprimées constituent un phénomène absolument naturel, inévitable. Par conséquent, le passage du capitalisme au socialisme et l’affranchissement de la classe ouvrière du joug capitaliste peuvent être réalisés, non par des changements lents, non par des réformes, mais uniquement par un changement qualitatif du régime capitaliste, par la révolution. Par conséquent, pour ne pas se tromper en politique, il faut être un révolutionnaire et non un réformiste. Poursuivons. S’il est vrai que le développement se fait par l’apparition des contradictions internes, par le conflit des forces contraires sur la base de ces contradictions, conflit destiné à les surmonter, il est clair que la lutte de classe du prolétariat est un phénomène parfaitement naturel, inévitable. » [Ibid, p 6].
Ici, la pseudo-démonstration s’écroule car il n’a jamais été démontré la vérité de sa soit-disant « loi » historique typiquement historiciste du « passage des changements quantitatifs lents à des changements qualitatifs brusques et rapides est une loi du développement, » ni celle du « développement se fait par l’apparition des contradictions internes  ».
Non seulement « Si A est vrai » n’est jamais démontré, mais Il peut même avoir recours à une implication (A→ B) ad-hoc inventée de toute pièce, non démontrée et ne relevant ni du sens commun ni de l’évidence cartésienne. Ici il décrète une implication logique entre une supposée « loi de la nature » censée se retrouver mécaniquement dans une « loi de la vie sociale »… tout en ayant toujours recours à son tour de magie répétitif : « S'il est vrai que la liaison des phénomènes de la nature et leur conditionnement réciproque sont des lois nécessaires du développement de la nature, il s'ensuit que la liaison et le conditionnement réciproque des phénomènes de la vie sociale, eux aussi, sont non pas des contingences, mais des lois nécessaires du développement social. Par conséquent, la vie sociale, l'histoire de la société cesse d'être une accumulation de "contingences", car l'histoire de la société devient un développement nécessaire de la société et l'étude de l'histoire sociale devient une science. Par conséquent, l'activité pratique du parti du prolétariat doit être fondée, non pas sur les désirs louables des "individualités d'élite", sur les exigences de la "raison", de la "morale universelle", etc., mais sur les lois du développement social, sur l'étude de ces lois. » [Ibid p 8].
Staline démontre donc une fois de plus le caractère résolument historiciste et le scientisme positiviste pseudo-scientifique du matérialisme dialectique marxiste... Grâce à cette « méthode », il arrive ainsi à la conclusion du caractère prétendument scientifique du socialisme : «  Poursuivons. S'il est vrai que le monde est connaissable et que notre connaissance des lois du développement de la nature est une connaissance valable, qui a la signification d'une vérité objective, il s'ensuit que la vie sociale, que le développement social est également connaissable et que les données de la science sur les lois du développement social, sont des données valables ayant la signification de vérités objectives. Par conséquent, la science de l'histoire de la société, malgré toute la complexité des phénomènes de la vie sociale, peut devenir une science aussi exacte que la biologie par exemple, et capable de faire servir les lois du développement social à des applications pratiques. Par conséquent, le parti du prolétariat, dans son activité pratique, ne doit pas s'inspirer de quelque motif fortuit que ce soit, mais des lois du développement social et des conclusions pratiques qui découlent de ces lois. Par conséquent, le socialisme, de rêve d'un avenir meilleur pour l'humanité qu'il était autrefois, devient une science. » [Idem p8]. Or, comme l’explique K. Popper, Bachelard ou B. d’Espagnat le monde n’est pas connaissable directement, il est voilé, on ne peut qu’espérer éliminer, réfuter, les théories fausses, et plus la flamme vacillante des sciences progresse, plus elle dévoilent des ombres de plus en plus grandes et mouvantes comme le dit si bien G. Bachelard. En aucun cas les théories scientifiques ne peuvent prétendre à une « vérité objective » !
Par cette « méthode » Staline parvient ainsi à « démontrer scientifiquement » que :
  1. le socialisme est scientifique et qu'il est capable d’atteint la « vérité objective » ; 
  2. le socialisme atteint cette « vérité objective » scientifiquement également pour les phénomènes de la vie sociales, autant que pour la nature ; 
  3. le « parti du prolétariat » peut par conséquent se passer des « exigences de la "raison", de la "morale universelle" », justifiant ainsi toutes les persécutions, Goulags, privations de libertés et massacres. 
  4. il faut mieux faire des révolutions que des réformes, en cela d’ailleurs Staline contredit Engels et Lénine pour qui l’ajout de quantité (en l’occurrence de réformes ici) doit suffire à amener « la transformation de la quantité en qualité » c’est à dire l’évolution qualitative de la société, c’est la 3° « loi » du Matérialisme Dialectique (voir IV-5-3) qui devient subitement fausse ! 
Le matérialisme dialectique marxiste est un positivisme : Staline y exprime la croyance naïve que la science peut atteindre la Vérité avec un grand "V". A partir de là, on comprends très bien le comportement des communistes chaque fois qu’ils sont arrivés au pouvoir : détenant la Vérité, tout individu tentant de mettre en doute celle-ci ne peut être que dans l’erreur et, s’il persiste dans son erreur manifeste, doit être rééduqué voire éliminé physiquement pour les plus récalcitrants d’entre eux à la Vérité absolue marxiste.

Le matérialisme dialectique marxiste est également une idéologie extrémiste : Staline, (et Engels ou Lénine) ne donne ici que le choix entre deux positions extrêmes : le « tout idéalisme » ou le « tout matérialisme » , il n’y a pas d’alternative. C’est un tiers exclu « philosophique » qui rends impossible l’approche systémique qui se refuse à séparer, tout comme Aristote, Idée/Forme et Matière, qui sont au contraire intimement liés comme on l’a vu dans cet essai. Pour eux, il n’y a que le matérialisme ou l’idéalisme, ce dernier étant considéré comme l’ennemi à abattre, il n’y a pas de juste milieu comme le recommandait pourtant Aristote. Ainsi Hegel et consorts soutiennent que les Idées créent le Monde/Matière. Alors qu’il apparaît avec Aristote et la Systémique que Idées/Formes/Structures/Organisations (peu importe comment on l’appelle) étant inséparables de la Matière, les uns ne peuvent exister sans l’autre et vice-versa. Les Idées ne peuvent donc pas créer ou précéder la matière (et inversement), ce débat est autant puéril que stérile, stérilisant d’ailleurs toute pensée. C’est un autre grand point d’opposition à la Systémique.
Ce point est très important car alors qu’idéalistes et matérialistes sont des panlogisme soutenant la « philosophie des identités » c’est à dire seulement une correspondance entre Idées et Matière, la Systémique avec les Constructivistes épistémologiques et K. Popper ne soutiennent absolument pas cette position : Le Monde réel est donné mélange intime de Matière et Idée/Forme, mais il est voilé et ce que Hegel et Marx appellent Idées ne sont que nos théories, qui – si elles sont scientifiques - ne pourront au mieux qu’être testées afin de savoir si elles sont fausses et donc à réfuter, et sans jamais savoir si elles sont vraies, contrairement à ce que croient les Positivistes ou les Marxistes (et beaucoup de religions….) qui prétendent atteindre la Vérité.
Cette « science » ou méthode du Matérialisme Dialectique Marxiste est donc opposée à la Systémique. Chose qu’Engels lui-même confirme : « Le tout est plus grand que la partie. Cette proposition est une pure tautologie, puisque l'idée quantitative de “ partie ” se rapporte d'avance d'une manière déterminée à l'idée de “ tout ”, en ce sens que le mot “ partie ” implique à lui seul que le “ tout ” quantitatif se compose de plusieurs “ parties ” quantitatives. En constatant cela expressément, ledit axiome ne nous fait pas avancer d'un pas. » [ENGELS F. « L’Anti-Dhuring », p 32], passant ainsi à côté du concept d’émergence systémique, incompatible avec « la transformation de la quantité en qualité »..
En effet il apparaît que la Systémique, comme décrit en (II-3-6-b) et plusieurs fois dans cet essai, s’attache à prendre :
   • de multiples points de vue, de multiples dimensions ou angles d’attaques d’une question, ou bien même de découpes différentes dans le réel, de l’objet étudié. Cette approche multiple toute pascalienne s’opère avec prudence, via des aller-retours de constructions et déconstructions progressifs (voir Derrida), multiples du système étudié, au cours d’un cheminement constructiviste. Elle est donc plus riche et diverse que la chaîne bien cartésienne des thèses/ anti-thèses/ synthèses par couple binaires d’oppositions supposées. 
   • en compte des transformations progressives via des boucles de rétroactions non-linéaires avec ou sans retards temporels, mais pouvant déclencher des changements d’équilibres ponctués, des déséquilibres explosifs, voire même des évolutions structurelles. Elle travaillera sur l’étude d’équilibres ponctués homéostatiques, ici encore, multiples. La dialectique, elle, ne prends en compte que des oppositions binaires : être et néant, l’eau en-dessous et en-dessus 0°C, vie et mort, contingence et nécessité, cause et effet, identité et différence, thèse et antithèse sur un point de vue unique aboutissant nécessairement à une synthèse unique, globale et se voulant explicative. 

La Systémique utilisera autant d’approches et oppositions qu’il le faudra pour l'étude d’un système complexe non linéaire en équilibre dynamique ponctué. Ainsi, nous sommes loin du système clos de catégories prédéterminées d’Hegel, révélateur en passant du caractère idéaliste de sa dialectique : catégories immuables et incorruptibles comme les Idées platoniciennes en recherche du point fixe cartésien. Ceci explique d’ailleurs la facilité avec laquelle Engels et Marx ont pu récupérer et développer la dialectique matérialiste en partant de la dialectique d’Hegel, et démontre une nouvelle fois la proximité qu’il y a entre matérialisme et idéalisme, comme deux soit-disant opposés qui se rejoignent, en vraie fracture avec la Systémique et Aristote. Ainsi apparaît la véritable opposition de la dialectique avec la Systémique : ni matérialiste ni idéaliste, ni pour ni contre, ni être ni néant, mais opérant par de multiples approches, de multiples dimensions. En effet comment accepter la cause et l'effet comme catégories dialectiques (opposition avant/après la cause) lorsque l’on a pris conscience du multiple jeu des boucles de rétroactions existantes à étudier sous chacun de leurs angles : temporel (effet retard ou non), flux de matière, flux d’énergies, flux d’informations… ? Comment accepter la nécessité et contingence comme catégorie alors que l’on connaît le caractère relatif de ces concepts, dans les boucles inter ou rétro-actives non linéaires ou quelque chose pourra être tout à la fois nécessaire et contingent ? Comment accepter – une fois de plus - une approche de type binaire (la « di-alectique » ?) cartésienne, réductrice et positiviste lorsque l’on voit la complexité des systèmes non linéaire, ou [(A)] doit est supposé opposé à [(non A)] dans une tautologie fausse unique et appauvrissante du [(A) et (non A)] ? Cette réflexion sur l’aspect doublement multiple de l’approche Systémique en opposition à celle simplement unique et faite d’oppositions binaires de la dialectique sera développée en (V-16).

Finalement on peut noter que Staline lui-même abandonne sans hésiter le matérialisme dialectique à la fois science et philosophie lorsque les choses deviennent dramatiques et que son sort personnel est en danger. Il revient alors à la bonne méthode des essais, confrontation/tests face à la réalité du terrain et rejet des théories réfutées par le réel, en l’occurrence les champs de batailles de 1942 réfutant les MIG-3 mais non les IL-2. Ainsi Staline « adressa le télégramme suivant à Shenkman et Tretiakov: Vous avez laissé tomber notre pays et notre Armée rouge. Vous avez le culot de ne pas fabriquer d'IL-2 jusqu'à présent. Notre Armée rouge a maintenant besoin d'un avion IL-2 comme l'air qu'il respire, comme le pain qu'il mange. Shenkman produit un IL-2 par jour et Tretyakov construit un ou deux MiG-3 par jour. C'est une moquerie de notre pays et de l'Armée rouge. Je vous demande de ne pas essayer la patience du gouvernement et d'exiger que vous fabriquiez plus de IL. Ceci est mon dernier avertissement. » -  Staline Ilyushin Il-2 – https://fr.qaz.wiki/wiki/Ilyushin_Il-2.  

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Benjamin de Mesnard

vendredi 1 mai 2009

IV) Théories opposées à la Systémique (IV-3 R. Thom et IV-4 A. Comte)

IV-3) René Thom et le néo-platonisme

René Thom a plus récemment repris et modernisé les concepts de Formes en soutenant, comme Platon, que celles-ci ne pouvaient appartenir qu’à un monde séparé du nôtre. En employant de nombreux exemples, comme ceux donnés par des formes animales identiques au cours des âges géologiques et de l’évolution, il montre que les mêmes formes d’animaux peuvent revenir. Il a bien montré les phénomènes bien réels de bifurcations où un organisme quelconque peut évoluer vers plusieurs voies différentes puis séparées, l’une d’elles étant « choisie » éventuellement à l’issue d’une suite d’événements fortuits. Cette voie « choisie » -ou sélectionnée- donnera alors lieu à une Forme précise qui pourra être suffisamment stable pour durer des millénaires. Par beaucoup de points ce qui a été explicité par René Thom est réutilisable directement par la Systémique, tout comme le réductionnisme, en tant que outil intermédiaire, une étape. Ainsi c’est le cas de la théorie des bifurcations qui permet d’achever de réintégrer l’évolution des Formes –alias structures- que le structuralisme avait tellement eu de mal à traiter. Par contre, par ses positions affichant la nécessité selon lui de « ranger les Formes dans un monde séparé des Idées » (dixit), sous prétexte de la répétition de ces Formes au cours du temps, le met définitivement du côté des (néo) platoniciens.
Cependant, la « théorie des catastrophes » de R. Thom est des plus intéressantes. Elle semble apporter en effet une proposition de solution à la problématique de l’évolution des formes/ structures/ systèmes vues d’un côté comme trop stables et devant pourtant donner lieu à de nouvelles formes/ structures/ systèmes par la suite. Cette théorie explique qu’il y a bien des phases de stabilité, entrecoupées de transitions de phases. Des cassures vont se produire, sur la base d’évènements fortuits, certains disparaissant sans laisser de trace, d’autres se figeant en étant déterminant pour la forme future.

IV-4) Auguste Comte et le Positivisme

A. Comte refuse le fait qu’il puisse exister des connaissances à priori, les sciences ne pouvant se faire que sur des observations de la réalité étudiée. C’est une forme de rationalisme poussé à son extrême, voire idéologique, doublé d’un déterminisme absolu, la science étant mesure de toutes choses, devra remplacer à terme les religions. A. Comte y ajoute une vision mécaniste, où tout phénomène peut se ramener à des lois naturelles invariables simples, c’est le réductionnisme positif. Sont bien sûr rejetés les causes premières ou causes finales aristotéliciennes. Enfin, le Positivisme affirme pouvoir atteindre les Vraies Lois de la Nature grâce à la Science, découvrir le Vérité avec un grand "V". On parle alors en matière d’expérimentation scientifique de « vérificationnisme » : si une expérimentation sur une prédiction d’une théorie est vérifiée par l’expérience, alors la théorie est dite vérifiée c’est à dire Vraie et il est inutile de faire d’autres expériences. Cette croyance est encore très répandue dans la grand public aujourd’hui. On peut même voir des raisonnements sur ce point complètement à l’inverse du raisonnement adéquat, c’est à dire Poppérien. Alors que pour Popper il suffit d’une expérience (sérieuse et valide car approuvée au sein de la communauté scientifique) invalidant la théorie pour rejeter la théorie, pour les Positivistes c’est l’inverse : si une expérience ne corresponds pas à la théorie, il faut recommencer une autre expérience, si celle-ci est conforme avec la théorie, la théorie est alors validée. C’est le cas par exemple pour l’Homéopathie : « Et, au risque de choquer certains, on peut signaler ici la mémoire de l’eau » : qu’on l’accepte ou non, on doit scientifiquement admettre qu’un jour ou l’autre l’homéopathie sera infirmée ou confirmée. Dans le second cas, ce serait évidemment une magnifique « révolution scientifique » [MOUCHOT Claude, « Méthodologie, Scientificité et Sciences Sociales », Recherche en Soins Infirmiers n° 50, p 28]. Alors que l’Homéopathie a déjà été mainte fois invalidée expérimentalement et donc réfutée ! Ici ce « penseur » considère que si l’Homéopathie n’a pas encore été confirmée (car en l’occurrence elle a été bel et bien réfutée !) , elle le sera peut-être demain par une Nième expérimentation et ce sera alors une confirmation, une vérification définitive de cette « science ». On voit donc bien l’opposition radicale avec Aristote mais également la Systémique et la forte parenté avec Descartes (et le Marxisme comme on va le voir). K. Popper a tenté de corriger le Positivisme par le Positivisme Logique avant de rejeter les deux. Aujourd’hui le Positivisme de A. Comte est qualifié de Scientisme. Enfin J.L. Le Moigne dans ses différentes œuvres sur le Constructivisme attaque vigoureusement le Positivisme, notamment pour son impact sur l’organisation de l’enseignement, en particulier l’enseignement supérieur, qui tend à donner la priorité absolue aux sciences dites dures (mathématiques, physique, chimie,…) et à considérer les autres domaines (sociologie, psychologie,…) comme secondaires ou même inférieures, même si -comme l'a montré K. Popper- elles ne sont pas des sciences au sens strict puisque non réfutable. A. Comte est allé très loin dans ces positions puisqu'il a été jusqu'à vouloir faire de la science une religion... On est alors très loin de la prudence/phronésis de Vico et Aristote, du juste milieu, de la modestie et de la Rationalité limitée !

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Benjamin de Mesnard