lundi 28 décembre 2009

V-7) Transcendance versus Immanence et hétéronome versus autonome


L'Immanence - et son corollaire la Transcendance - est un concept clé de la Systémique. Ce débat existe dans plusieurs domaines : juridique, religieux, épistémologique, politique :
  a)  Au plan juridique tout d’abord, l’immanence considère que le droit vient « du terrain », de l’expérience des jugements passés qui se sont accumulées au cours du temps. C’est donc un droit basé sur la jurisprudence, comme aux États-Unis par exemple où à chaque procès il s’agit de retrouver un cas analogue déjà jugé auparavant, la justice ne pouvant se contredire. La transcendance au contraire considère que le droit vient de lois votées par le pouvoir législatif, d’en haut en quelque sorte, la jurisprudence ne pouvant intervenir que si aucun texte de lois existant ne corresponds au cas jugé, ce qui est rare ; ou bien après un arrêt de la Cour de Cassation. Donc on voit bien alors la logique de ces droits transcendants : priorité à la loi transcendante, la jurisprudence immanente n’intervenant que en « roue de secours ». De la même manière que les Idées de Platon tombent dans la matière pour l’animer, les lois tombent d’une chambre des députés qui se croient autorisés, au nom de la majorité, du « Peuple », à voter des lois à tort et à travers sans la moindre étude sérieuses d’ailleurs la plupart du temps. Il leur suffit de voter selon une procédure légale, c'est-à-dire respectant... les lois qu’ils avaient votées précédemment. Il n’y a plus de garde-fou, puisque même la Constitution a été votée par le même cercle étroit et fait d’ailleurs l’objet de modifications incessantes, contrairement aux Constitutions anglo-saxonnes immanentes. Pour justifier cette transcendance, on retrouve bien entendu les discours déjà évoqués faisant appel aux diverses personnalisations : « Peuple », « Bien Commun », etc.. A l’inverse du droit anglo-saxon immanent, c’est alors la loi qui génère le droit. Et bien que les abstentionnistes constituent factuellement la véritable majorité, ces députés peuvent alors exercer la dictature de la soit-disant majorité sur les minorités et en dernier lieu la plus petite des minorités : le citoyen.

  b)  Au plan religieux ensuite, l’immanence consiste à affirmer que Dieu se trouve dans toutes choses ou être du monde, à l’intérieur du monde lui-même. La transcendance par contre soutient que Dieu est extérieur, au dessus du monde, qu’il gouverne et dirige (le « roi des rois » des religions judéo-chrétiennes ou musulmanes). Comme le souligne R.R. Ruether, l’immanence est assimilée à la féminité (Gaïa la Terre ou la Nature vue comme féminine chez les Indiens d’Amérique et d'autres peuples), et la transcendance à la masculinité (l’image d’Épinal du Dieu tout puissant en vieillard barbu assis sur son trône dans le ciel, au dessus des contingences terrestres). Ces concepts religieux -souvent implicites dans les différentes cultures- ne sont pas sans conséquences et déterminent un certain nombre de comportements. Ainsi nos sociétés développées vont avoir recours à la culture intensive et l’exploitation à outrance des ressources naturelles suivant en cela l’image d’un homme transcendant la nature et donc logiquement propriétaire de celle-ci. A l’opposé, les peuples « primitifs » chasseurs/cueilleurs seront respectueux des ressources. Ils remercient leurs proies d’avoir bien voulu se faire tuer et jouent naturellement (sans connaître la Systémique…) un rôle de chasseur-régulateur au sein du système écologique global en état d’équilibre dynamique. Ces cultures suivent alors un schéma où l’homme est immanent au monde, au même titre que les autres espèces.

  c)  Au plan épistémologique et bien sûr exclusivement pour les systèmes naturels, ou les systèmes artificiels inintentionnels (économie, sociétés,...), voir (III-2-14-c), l’immanence soutient qu’un système peut « vivre » par lui-même, trouver ses propres états d’équilibres dynamiques spontanément (équifinalité et ergodicité) par ses propres systèmes stabilisateurs -voir pilotes- internes. C'est un système dont le pilotage est donc interne : il est autonome. La transcendance soutien qu’un système naturel ne peut se stabiliser -et donc « vivre »- que par le recours à des causes finales externes (on retrouve Aristote et le débat cause finale versus équifinalité). C’est un système dont le pilotage est externe : il est hétéronome. Se pose alors la question du mode de pilotage du.... système de pilotage : soit interne et immanent, soit externe et transcendant partant ainsi sur une boucle récursive sans fin...
Enfin en épistémologie, il est très intéressant de noter que ce débat transcendance / immanence ressort dans l’étude de ce que l’on entends par le concept d’« explication » en sciences. Ainsi Francis Halbwachs propose 3 formes d’explications résumées par Pierre Sagaut dans son papier « Introduction à la pensée scientifique moderne », page 134, citation :
« • L’explication homogène (aussi appelée explication formelle), qui ne fait intervenir aucun élément extérieur au système dont on cherche à expliquer l’évolution. L’explication portera donc sur des variables internes de ce système et sur les relations, les lois, qui lient ces variables. Le plus souvent, de telles explications font appel à la notion de conservation d’une quantité (énergie, masse, …) ou de propriétés de symétrie du système considéré.
L’explication causale (encore appelée explication hétérogène), qui est basée sur l’interaction entre le système et le monde extérieur, ou précisément une sous-partie du monde extérieur représentée par un ou plusieurs objets. L’explication repose alors sur la notion d’échange entre les différents objets en interaction.
L’explication bathygène (du grec bathus, « profond »), qui consiste à se référer à un autre niveau de description. Il s’agit ici de faire référence à un autre modèle du même système physique, qui le plus souvent repose sur une description à une échelle plus petite. […] (étudions le ) choc de deux boules de billard, l’une étant initialement au repos. Qu’est-ce qui cause le mouvement de la seconde ? La réponse classique est le choc avec la première boule. Lorsque l’on considère la seconde boule, l’explication de sa mise en mouvement lui est extérieure : c’est son interaction avec le monde extérieur (en l’occurrence la première boule) qui est évoquée pour expliquer le changement de ses paramètres internes (quantité de mouvement, énergie cinétique). […] le choix d’un type d’explication pour un phénomène observé n’est pas imposé par l’explication : il résulte d’un choix du scientifique. En modifiant par exemple sa définition du système dont on suit l’évolution, il est possible de changer de type d’explication. Reprenons l’exemple du choc des boules de billard. En ne considérant que l’une des boules, nous avons affaire à une explication causale. Mais que se passe-t-il si maintenant nous considérons le système formé par les deux boules ? La description du système ne fait plus intervenir d’éléments extérieurs à celui-ci, et les propriétés des deux boules (quantité de mouvement, énergie cinétique) peuvent être à tout moment décrites au moyen de lois de conservation (ces deux quantités sont des invariants). D’une explication causale nous sommes donc passés à une explication homogène !
».

  d)  Au plan politique, le libéralisme ressort comme relevant de l'immanentisme (système autonome). La « main invisible des marchés » s'auto-régulant par eux-mêmes sans qu'il soit nécessaire à un état ou à un gouvernement d'intervenir, cette intervention étant même jugée nuisible et dangereuse. C'est le fameux « Surtout Sire laissez-nous faire » (très différent du « laissez-faire » tronqué qu'on nous répète à loisir...), réponse du Capitaine de bateaux à Nantes à l'envoyé de Colbert lui demandant ce que le gouvernement pouvait faire pour les aider… face à la plainte des capitaines contre la bureaucratie de l’État français, déjà à l’époque ! A l'inverse le socialisme ressort de la transcendance (système hétéronome). Un système économique étant vu comme ayant besoin d'être contrôlé, régulé de l'extérieur par une force politique, un état fort et nécessairement centralisé. Cet État est censé être dirigé par une élite détenant le Savoir et la Connaissance bien mieux que les citoyens considérés comme intrinsèquement assez irresponsables et inintelligents. Le socialisme prétends ainsi échapper à la boucle récursive sans fin, identifiée en épistémologie, pour savoir comment est piloté le pilote. On est alors en plein débat Platon et Rousseau contre Aristote et Machiavel, les premiers considérant qu'il suffit de bien former l'élite, les seconds que tôt ou tard des dirigeants dangereux arriveront fatalement au pouvoir, on reviendra sur cette question.  Un petit paradoxe en passant: une démocratie juge ses citoyens assez intelligent pour élire leur élite dirigeante, mais pas suffisamment pour savoir par eux-même directement ce qu'il leur faut...

Il est possible de trouver des variations dans ce débat :
-  La social-démocratie où les marchés sont jugés nécessaires et acceptables mais devant faire l'objet d'une régulation par l'état « transcendant » afin de limiter les crises et les excès. On retrouve là le principe de subsidiarité de l'Europe où il est admis un équilibre entre centralisation et décentralisation. Le point faible de cette approche tenant naturellement sur deux questions insolubles : Qui peut prétendre avoir la science infuse pour décider où, quand et en quoi les marchés ont mal fait ? C'est la dénonciation par F.Hayek du scientisme positiviste des dirigeants socialistes. Quels sont les critères clairs et objectifs définissants lesdits « excès » des marchés ? C'est la Présomption Fatale de F. Hayek. En effet le problème de cette approche est que l'histoire montre que ce sont plutôt les excès des États, l'instabilité des lois et leurs incohérences dans le temps suite aux changements de majorité qui ont été à l'origine des crises... Ainsi la crise de 1929 vient de la 1° guerre mondiale entre États, les États vainqueurs décrétant une dette énorme sur l’État Allemand, dette impossible à payer, sinon par des emprunts énormes auprès des seules banques capable de les financer, les banques américaines, ce qui a fini par déclenché la crise. La crise de 2008 vient de décisions électoralistes de l’État américain prises en 2001 et avant, obligeant les Banques à ouvrir des crédits immobilier pour les citoyens en "Red Line" et donc insolvables, etc... On y reviendra plus loin. La question devient alors : si on parle d'excès possibles des marchés devant être contrôlés par les États, qui alors contrôle les excès des États ? Problème typique de récursivité systémique du pilotage du système pilote !
-  Le socialisme marxiste où l'existence même des marchés est jugée dangereuse, ceux-ci devant être supprimés pour être remplacés par une économie entièrement pilotée depuis le haut, centralisée (centralisme dit soit-disant « démocratique ») totalement transcendant et hétéronome avec toutes ses lourdeurs tenant à la non prise en compte de la complexité du système en question. Cela rejoint les questions traitées en (II-4-1 et II-4-2) sur la mesure de la variété requise d'A. Kolmogorov et la Rationalité limitée de H.A. Simon par le système de pilotage central. Le problème supplémentaire de mode de pilotage est qu'un petit groupe va décréter pour tout le monde ce qu'ils doivent faire. Cela ne peut se faire que par la coercition, la force et pour finir la terreur d'un totalitarisme comme on l'a vu avec Staline, Mao, Pol-Pot, Maduro, etc... ou Hitler et Mussolini avec un autre type de Socialisme, le Socialisme National mal traduit en français par National-Socialisme.
Ce type de débat entre immanence et transcendance a été, et est toujours notamment aux États-Unis, particulièrement violent par l’opposition des thèses évolutionnistes implicitement immanentes (Darwin) et créationnistes implicitement transcendantes. On mélange alors religion et sciences. Ces débats rejoignent étrangement les débats de politiques économiques… bien que les protagonistes ne semblent pas s’en rendre compte comme on va le voir ci-dessous... Il est possible de trouver des degrés dans ce débat :
  • Entre les créationnistes « purs et durs » équivalents ici au centralisme des marxistes en économie, niant toute évolution et jugeant nécessaire et même vital une intervention divine de tous les instants. Tout être vivant ayant été directement créé par un dieu unique « central » et transcendant bien sûr, ces êtres - bien que donnés comme étant libres- devront ensuite être sous la surveillance et même la conduite permanente de ce dieu tout-puissant. On trouve donc ici un lien manifeste entre ces créationnistes Chrétiens et le Marxisme le rôle du pilote central étant tenu par le dieu unique dans un cas et le parti unique et l’État avec son dirigeant "Petit Père du Peuple" divinisé dans l'autre. Les deux prétendent même contrôler jusqu'aux pensées intimes des « croyants » et ont besoin pour ce faire de commissaires politiques pour les uns et de prêtres pour les autres. . On peut noter en passant que le problème de la prise en compte de la Variété requise et de la Rationalité limitée par le pilote unique central à été -si l'on peut dire- vu et « traité » par les créationnistes en déclarant dieu omniscient, bien que personne ne soit en mesure d'expliquer comment une telle omniscience peut être possible...Et par les marxistes ou autres socialistes nationaux par la déification des dirigeants affublés soudainement de pouvoirs exceptionnels : représentant de la pureté extrême de la race et Guide suprême avec Hitler ou Mussolini ; référence absolue de l’idéologie marxiste avec le « Petit Père des Peuples » avec Staline , Grand Timonier avec Mao, tous supposés être des êtres d’exception de part leur intelligence et leur vision de la fin de l’Histoire, etc...
  • Et les adeptes de l' « intelligent design », équivalent ici à la social-démocratie, qui admettent une certaine forme d'évolution locale et limitée mais toujours avec un dieu central transcendant, fixant les objectifs finaux, pilotant globalement mais non dans le détail le projet, cause finale d'Aristote mais sans avoir besoin d'être « présent » en tout et pour tout comme chez les créationnistes « purs ». On retrouve encore le principe de subsidiarité de l'Europe sous une autre forme...
En passant, on note que beaucoup d'individus parviennent à être des tenants de la transcendance en religion et de l’immanence en économie (souvent dits "de droite") ET vice-versa athées et donc immanents en religion mais marxistes transcendants en économie  (pour ceux dits "de gauche")... cela est incohérent.
Il y a un lien entre les aspects culturel de ce débat et les aspects épistémologiques de celui-ci. Ce n’est pas un hasard si les sciences se sont développées sur une base transcendantale à partir de la Renaissance dans le monde occidental. La croyance en effet en un Dieu unique posant d'en haut ses lois stables et prédéfinies a été en effet le moteur de la recherche des lois scientifiques et à l’origine du rationalisme. Ici encore on retrouve le lien entre d'un côté rationalisme, idéalisme -les Idées étant fixes et venant d'en haut, il est donc possible de les (re)découvrir-, et de l'autre transcendance.

  • Enfin, sur tous les plans, le problème de la récursivité à l’infini avec l’approche transcendante : Le point faible de l’approche transcendante, quelque soit le domaine étudié, c’est de tomber dans une boucle récursive sans fin. Aristote déjà avait parfaitement identifié ce problème. En remontant de cause externe en cause externe, on tombe inévitablement sur un enchaînement qui part à l’infini. Pour tenter d’éviter ce cercle vicieux, il a alors inventé – par décret autoritaire - la Cause Première, pseudo solution à un vrai problème, « cause incausée », cause d’elle-même qu’il a également appelé Moteur Premier. Le problème est que cela n’explique rien d’une part et, d’autre part, cet enchaînement de causes transcendante aboutit de fait à… une cause immanente ! Même problème pour les religions tentant d’expliquer sur quoi repose la terre vue comme plate : elle est posée sur le dos d’une tortue, elle-même sur une vache, elle-même sur un éléphant, et… ensuite nul ne sait ! S’il faut un Dieu unique tout-puissant pour expliquer la création du monde alors qui a créé Dieu ? Idem en politique, comme déjà souligné plus haut : si les citoyens sont immatures et doivent être dirigé par un État pour palier aux « défaillances du marché », alors qui palliera aux défaillance des États (guerres, massacres, déportations, racisme institutionnel, propagande, dettes publiques massives, etc.) ? A chaque fois, lorsque l’on analyse ce problème, on ne peut s’empêcher de penser qu’il serait plus simple d’aller directement à une explication immanente, plutôt que d’aller inventer ces longues chaînes de causes externes transcendantes pour – de toutes façons – inévitablement retomber sur une explication immanente….
Apport de la Systémique : le but de la Systémique n’est pas de rentrer absolument dans ce débat par trop idéologique, mais plutôt de l’approcher (à défaut de le trancher) par des voies pragmatiques, pondérées et prudentes, comme le demande J.B. Vico. En effet la Systémique se voulant avant tout comme un outil heuristique ne peut pas avoir comme but de trancher ce débat -cela n’apporte rien-. Mais cependant, de part ses origines et ses concepts centraux (auto-organisation, ergodicité et équifinalité et non cause finale surtout), la Systémique relève bien des concepts d’immanence, en opposition à Platon, Descartes, Marx et au positivisme en général qui sont clairement dans la transcendance (divine ou étatique en particulier). Dans ses outils méthodologiques du travail scientifique par contre elle tente plutôt d’utiliser par les deux approches simultanément comme cela a été vu plus haut. L’usage relativisé de concepts aristotéliciens (comme la cause finale, la forme,…) ou encore de concepts cartésiens (réductionnisme, idéalisme,…) doivent être compris comme étant des étapes possibles de raisonnements, des outils temporaires de pensée, surtout dans les phases initiales d’études de systèmes mal ou très mal connus comme décrit en (II-3-6-b). Cela peut permettre de commencer à « ranger » les questions et problèmes dans quelques grandes catégories, à la condition expresse -comme cela a souvent été dit- de relativiser ces catégorisations, en étant prêt à les abandonner si la comparaison du système tel qu’il est (re)construit par le chercheur ne correspond pas à la réalité. En effet il faut bien comprendre ici qu'il s'agit pour la Systémique de considérer le système de pilotage du système étudié comme étant à l'intérieur (immanent) ou à l'extérieur (transcendant) du système. G. Bateson [BATESON G., T1, 1977, pages 270 et suivantes] explicite fort bien cette question en remarquant qu'il faut repartir des boucles de rétroactions que l'on a décidé de retenir dans l'étude du système considéré. Si l'on décide que le système doit englober ces boucles de rétroactions qui permettent au système d'arriver à s'équilibrer dynamiquement, c'est que l'on est implicitement immanentiste. Si au contraire on croit nécessaire de séparer le système de pilotage du reste du système, et par conséquent de couper les boucles de rétroactions par une frontière entre système de pilotage et le reste du système pour en voir deux séparés, c'est que l'on préfère l'approche transcendante. Pour sortir de cela, il faut donc parvenir à rééquilibrer la balance entre approches immanentes versus transcendantes en prenant le dessus sur nos croyances culturelles transcendantes ou immanentes. Il faut enfin parvenir à comprendre qu'il y a en effet un système « complet » qui inclue un (ou des) sous-système(s) de pilotage ainsi que les autres sous-systèmes pilotés (au pluriel). Il faut donc savoir utiliser les deux approches -on retrouve à nouveau la multiplicité des points de vues- entre la vue d'un système « complet » et simultanément la vue du système de pilotage séparé des autres systèmes qu'il pilote. Le schéma suivant résume cette nécessaire double approche :
Note : dans ce schéma il aurait fallu ajouter que chaque sous-système est probablement muni de son propre système de pilotage... externe ou interne : on retrouve le problème classique de la récursivité complexe du monde réel !

Dit autrement, selon l’approche de Francis Halbwachs, il faut donc impérativement « tester » les différents périmètres / frontières des système(s) afin d’étudier les cas d’explications homogènes (alias immanentes ou autonome) versus causales (alias transcendantes ou hétéronome) en adoptant de multiples points de vues comme le recommandait Montaigne ou L. von Bertalanffy avec son « perspectivisme »... Il faudra également inclure l’explication bathygène faisant alors appel à d’autres moyens au sens de Gödel : échelle moléculaire, atomique ou au contraire astronomique ou méta-système d’ordre supérieur comme l’algèbre par rapport à l’arithmétique…
Mais la Systémique va un pas plus loin car comme déjà dit dans cet essai, on ne peut ignorer que le chercheur étudiant ce système fait partie en réalité de celui-ci. Bien entendu l’étude, la prise en compte par le chercheur de sa propre influence sur le système, de ses actions, de ses mesures perturbant celui-ci, n’a rien à voir avec l’introspection cartésienne... 
Le schéma ci-dessus devient alors :

 
On est très loin de Descartes. Comme on le voit, ces concept d’immanence versus transcendance sont décidément centraux pour la Systémique, et soulignent le caractère ultra-complexe de toute approche du monde réel, dans un contexte de Rationalité limitée (H.A. Simon) et à aborder avec toute la modestie et la prudence / phronésis d’un Aristote et G.B. Vico !

SUITE du Blog : V-8) Créationnisme versus Évolutionnisme

Benjamin de Mesnard

dimanche 13 décembre 2009

V-6) Relativisme versus Absolutisme


L'absolutisme soutien que nos idées ou théories peuvent atteindre l'absolu, c'est à dire la vérité. Le monde non seulement existe bien réellement, mais il est peut être connu parfaitement, absolument, il peut être entièrement atteint dans sa vérité. On aura reconnu les idées immuables platoniciennes dans ces vérités éternelles que nous n'avons plus qu'à reconnaître, voire même à nous souvenir comme le soutenait Platon.
Le relativisme soutien au contraire qu'aucune position, idée ou théorie n'est stable, ne peut être définie comme vraie d'une manière certaine, non par l'effet d'une analyse poppérienne, mais par un effet intrinsèque à la nature, au monde même. Nos théories ou idées doivent par conséquent être remises en cause en permanence, elles sont en mouvement sous l'effet de nos pratiques, idées nouvelles ou expériences. La vérité, si elle existe est inatteignable en elle-même. Deux versions du relativisme existent à partir de là :
  • L'une nie l'existence du monde externe à nous-même (car le monde matériel n'existe pas). Seul compte nous-même, ou plutôt nos idées, et plus exactement nos sensations (le bleu, le dur, le plein, le beau,...) c'est la position de Berkeley, et paradoxalement de l'idéalisme le plus pur. On voit donc que l'idéalisme peut être absolutiste au sens où nous pouvons retrouver les Idées immuables, ou bien relativiste au sens où le monde matériel n'existant pas, seules les idées existent. Mais comme l'explique Platon, nous ne voyons que les ombres projetées sur le mur de la caverne et il nous est impossible de sortir de notre caverne pour voir le monde des Idées directement, nos idées personnelles sont alors relatives à chaque individu et différentes selon ceux-ci. Bien entendu ce relativisme interdit tout développement scientifique sérieux...
  • L'autre accepte l'existence du monde externe en lui-même, mais pense qu'il n'est pas facilement atteignable, connaissable et compréhensible, c'est le « réel voilé » de B. d'Espagnat. Il est possible de le nommer relativisme modéré, « phronésien ». Mais dans cette deuxième acceptation, le monde réel existe bien objectivement, il n'est pas un rêve ou une ombre vue de la caverne de Platon, il y a donc bien une référence externe possible. C'est le concept de correspondance d'Aristote, une fois de plus en opposition avec Platon : « ce n'est pas parce que nous te réputons blanc que tu es vraiment blanc, mais au contraire parce que tu es blanc, nous pensons qu'il est vrai de te dire tel » [ARISTOTE, « Métaphysique » livre IX]. On peut noter en passant que ce concept a été repris par les matérialistes dialectiques marxistes avec une saveur récursive d'ailleurs toute constructiviste : « Si le monde est (comme le pensent les marxistes) une matière qui se meut et se développe perpétuellement, et si la conscience humaine au cours de son développement ne fait que le refléter, que vient faire ici la « statique » ? Il n'est pas du tout question de la nature immuable des choses ni d'une conscience immuable, mais de la correspondance entre la conscience reflétant la nature et la nature reflétée par la conscience. » [LENINE, « Matérialisme et empiriocriticisme » 2° édition 1920 chap. II-5].
Un argument que certains croient pouvoir apporter au Relativisme c'est l'incertitude Quantique, (ou principe d'indétermination) d'Heisenberg. Il a démontré qu'il n'est pas possible de déterminer aussi précisément que voulu à la fois la position et la quantité de mouvement d'une particule. De cette incertitude fondamentale, les défenseur du Relativisme en concluent que le tout est relatif. Ils s'appuient également sur la (mal nommée) Théorie de la Relativité d'Einstein pour aller à la même conclusion. La Théorie de la Relativité démontre que l'espace-temps se courbe sous une masse (étoile, planète,ou... vaisseau spatial hypothétique d'un observateur) et que la gravité modifie l'écoulement du temps. A des vitesses élevées, se rapprochant de la vitesse de la lumière, ces déformations deviennent importantes, et chaque observateur verra et vivra (du fait de la déformation de l'espace et du temps) des choses complètement différentes d'un autre. Mais ces deux théories ne sont pas contradictoires avec un monde existant objectivement. Car l'incertitude Quantique tout comme les déformation de l'espace et du temps existent objectivement, elles sont le monde, et le monde est ainsi. Seuls des plato-cartésiens n'arrivent pas à imaginer autre chose qu'un monde fixe, euclidien, plat, sans déformation et mesurable avec une précision infinie. Ce n'est que leur incapacité à comprendre ces phénomènes propre au monde dans lequel nous sommes qui leur faire croire que tout est relatif et que l'on ne peut plus rien en conclure. Il est au contraire parfaitement possible d'avancer, concevoir des théories, pour peut qu'elles intègrent ces deux facteurs quantique et einsteinien, et tester ces théories afin de les réfuter le cas échéant, bonne occasion alors de faire de nouvelles théories meilleurs ou d'améliorer celles existantes.
Apport de la Systémique : Naturellement la Systémique et le Constructivisme épistémologique ne sont pas absolutiste, position des positivistes, position intenable comme on l'a vu depuis K. Popper : il est impossible de prouver qu'une théorie est vraie, il ne sera possible que de la prouver éventuellement fausse lors d'une nouvelle expérience, et ainsi de la réfuter. Contrairement à ce que soutien certains constructivistes épistémologiques, E. Von Glarsfeld par exemple, ils ne sont pas relativistes non plus, bien que, il est vrai, assez proches du relativisme modéré. Certes, Systémique et Constructivisme épistémologique aiment aborder une question par de multiples points de vues, mais cela ne signifie en rien qu'ils soient relativistes. Car il s'agit ici de prendre conscience que nos sensations, nos perceptions, nos compréhensions des phénomènes sont sujettes à caution -on retrouve la phronésis d'Aristote- et qu'il est donc bon de confronter, de discuter, de dialoguer en mode dialogique , en « coopétition »  les points de vues entre différents chercheurs et non en mode dialectique ou pure compétition. Mais cela ne corresponds pas à la définition du relativisme. Car il y a toujours la croyance qu'un monde réel existe, qu'une vérité objective existe, que nous devons nous en approcher le plus possible, ce qui est différent du relativisme, sans être pour autant de l'absolutisme. En effet la systémique sera relative à certain moments, lors d'un changement de théorie voire de paradigme, mais sera absolutiste (s'il faut absolument leur coller ces étiquettes !) à d'autres lors de périodes de « stabilité » -toute temporaire- d'une modèle ou d'une théorie qui se trouve « confortée » par un certain nombre d'expérience. Mais comme l'a fort bien expliqué K. Popper, ce n'est pas parce qu'une théorie (ou un modèle) a résisté avec succès à un certain nombre de tests, d'expériences, qu'elle sera plus vraie qu'avant, dès lors qu'elle pourra peut-être se trouver réfutée et donc prouvée fausse à la prochaine expérience, au prochain test réalisé soit sur une autre prédiction de la théorie, soit avec une meilleure précision des instruments. Ainsi on peut citer J. D. Raskin dans un article « The evolution of constructivism » publié dans le « Journal of Constructivist Psychology » du 24/1/2008 où BVSR signifie : blind variation and selective retention, qui désigne ici l'épistémologie évolutionnariste (voir III-2-6 plus haut) « The centrality of relativism to knowledge evolution is evident in personal construing. For example, even if I view myself as a realist/absolutist, I fleetingly become a relativist the instant I revise any construct. Likewise, the second I commit myself to a particular construct by acting on it, I cease to be a relativist and return to being a realist/absolutist. Put more simply, whenever one changes a construct, one is a relativist, and whenever one applies a construct, one is an absolutist. Just as in Campbell’s BVSR, where variation and retention always occur one at the expense of the other, relativism and absolutism are forever at odds, forming the necessary poles of a dialectical process. ». Le seul point à reprendre naturellement dans cette citation étant le terme de dialectique qu'il serait préférable de remplacer par dialogique, le BVSR darwinien se déroulant dans un contexte non pas de seule compétition, lutte ou combat, mais aussi dans un contexte de coopération, de débats et discussions, voire de symbiose comme on l'a vu avec la théorie de l'évolution. En somme, une fois de plus, on perçoit que la Systémique est avant tout équilibre entre des moments d'apparents relativismes et d'autres de tout aussi apparents absolutismes, tout en restant conscient qu'il faut précisément se garder de ces extrêmes caricaturaux. Nous sommes bien dans le juste milieu d'Aristote.

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Benjamin de Mesnard