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dimanche 26 octobre 2008

II) Présentation détaillée de la Systémique (7/8)

II-5) Les propriétés d’un système :
II-5-1) Émergence

Le principe d’émergence est au centre du discours systémique. La Systémique soutien, en opposition avec Descartes et le réductionnisme, que quelque chose de neuf, de nouveau, de supplémentaire émerge de l’organisation, des relations, de la structure, qui relient entre eux les différents composants (sous-systèmes) constituant le système étudié. Ce « quelque chose » n’est pas prévisible, calculable, intrinsèque, suite à une étude (analyse) des composants du système. Il ne faut pas confondre ici deux choses : l’émergence, telle que décrite ici, et le résultat « prévisible » (plus ou moins facilement) d’en groupe de composants. Ainsi, le comportement d’un être humain n’est pas déductible des organes le composants (foie, viscères,...), il est donc émergeant. Par contre, il est d’usage de prendre comme exemple de comportement non-émergent un tas de sable donné comme « calculable », disons prévisible (bien que fort complexe en réalité !), à partir des qualités intrinsèques des grains de sables (mouillés, ronds, pente du tas de sable, etc.…). C’est pourquoi l’image d’un « tas » revient souvent en opposition à celui d’un système : les grains d’un tas de sable sont faiblement reliés, en inter-actions entre eux, ils ne constituent pas un système.
Dans le cas d'un tas de sable, cela ne signifie pas que ces « prévisions » ou « calculs » sont faciles et simples, bien sûr, car ils peuvent demander de grandes puissances de calculs mais, un algorithme existe (du moins en théorie…) qui permet de prévoir ce comportement. On n’est pas alors en face d’un système mais plutôt « d’un tas ». La différence entre ces deux cas tient à la densité des inter-relations. Ainsi le tas de sable n’est composé, que de grains quasi identiques entre eux, en inter-relations faibles (les frottements entre les grains), deux grains éloignés n’étant pas reliés. A l'inverse, tous les organes d’un être humains, mêmes éloignés, sont en interrelation très étroitement.
Enfin, cette non-prévisibilité, cette impossibilité de calculer, n’as rien à voir avec le principe d’Heisenberg de la Théorie Quantique. Ainsi, nous sommes au cœur du concept, au centre du principe même de l’émergence en théorie des systèmes et le refuser revient à démontrer une incompréhension profonde de l’idée d’émergence. Même en considérant que chaque élément du système serait le plus simple possible, en allant jusqu’à le décomposer en « atomes » (monades !) non quantiques, on peut fort bien tomber sur des systèmes non calculables et non prévisibles du fait de leurs richesses et de leurs complexités d’inter-relations. Un bon exemple, travaillé par Poincaré, est le problème des trois corps tournants les uns autour des autres dans l'espace en gravité newtonienne (inutile d’avoir recours à Einstein...). Même si -par exercice de pensée mathématique- on part du principe que ces trois corps sont des points mathématiques que l’on peut situer (position et vitesse) aussi précisément que demandé, leurs trajectoires au bout d’un certain temps deviendront imprévisibles. Ce temps est d’ailleurs un paramètre enregistrable du système, dépendant directement du degré de précision des positions initiales mesurées. Plus la précision des positions et vitesses initiales sera précise, plus ce temps « d’horizon de la prédiction » s’allongera, mais il existera toujours. Seule une mesure infiniment précise des positions initiales pourrait -en théorie- faire reporter ce temps d’horizon de la prédiction à l’infini également.
Ce qui est intéressant de noter ici, c’est que l’on retrouve une sorte de principe d’incertitude d’Heisenberg, par un fait que l’on pourrait qualifier de loi de la nature des systèmes mêmes.
On retombe ici sur l’apparition du chaos, des « attracteurs étranges » et des fractals, dans un système. On retrouve aussi naturellement l’apparition de la flèche du temps sans avoir besoin d’avoir recours au petit diable de Laplace.
Parmi les spécialistes travaillant sur le concept d’émergence, certains défendent l’émergence comme étant substantielle, d’autres non, défendant alors l'émergence comme étant accidentelle en s’opposant quelque fois durement. Il est à noter que les tenants de l’émergence substantielle –qualifiée d’ailleurs alors de substance émergente- peuvent être assimilés à la Systémique comme le fait I. Prigogine décrivant l’émergence de structures, les cellules de convection de Bénard, dans un liquide soumis à un gradient de température, voir (II-5-2). Ceci est erroné car on peut accepter le fait qu’il y a bien deux types d’émergences : substantielle et accidentelle. On retrouve alors fidèlement les qualités aristotélicienne de substance et d’accident, aucun argument ne permettant de rejeter à priori l’émergence accidentelle comme non authentique, ou inacceptable aux yeux de la Systémique. Ce débat peut être utilement clarifié encore une fois par l'idée de mouvement lent (substantiel) versus mouvement rapide (accidentel) de F. Hayek montrant bien le flou de la dichotomie -typiquement cartésienne !- ainsi décrétée et par là même les limites de ce débat. Nous reviendrons sur ce débat en (III-2-1). 
Enfin il faut distinguer deux conceptions de l’émergence. Ces deux conceptions sont déterminantes dans le débat sciences de la nature versus « sciences » humaines, on y reviendra. Je cite : «  La première, que j’appellerai « émergentisme épistémologique », pose les thèses complémentaires suivantes : (2) les caractéristiques d’une entité, y compris constitutives, sont toujours dérivables en principe de celles de ses parties et de leurs relations (externes et internes) ; (3) dans le cas général, le manque de connaissance exhaustive des relations internes et des propriétés relationnelles des parties impose d’admettre au moins provisoirement des traits émergents, non réductibles, ainsi que des niveaux de réalité correspondants, dans une perspective heuristique et en vue d’obtenir une connaissance significative de nature holistique ; (4) chaque science référant à un niveau de réalité distingué doit au moins provisoirement développer ses propres termes, concepts et lois, ne serait-ce qu’afin de fournir les connaissances de type holistique nécessaires à l’actualisation de (2). Une autre variante, que j’appellerai « émergentisme métaphysique », pose des thèses plus radicales : (2’) à supposer que l’on connaisse toutes les propriétés des parties d’une entité et toutes leurs relations, on ne pourrait toutefois pas encore en dériver toutes les propriétés de cette entité, dont les traits holistiques forment une nouveauté radicale et définitivement irréductible ; (3’) les traits émergents doivent être acceptés sans explication et former le point de départ de nouvelles recherches dans une perspective holistique admettant une stratification du réel en niveaux ontologiquement distincts ; (4’) chaque science référant à un niveau de réalité doit avoir ses propres vocabulaire, principes et lois, sans souci des sciences référant à des niveaux de réalité auxquels appartiendraient les parties constitutives des entités qu’elle considère, dans la mesure tout au moins où aucune contradiction n’est ainsi engendrée. » [POUVREAU, David, Une histoire de la « systémologie générale » de Ludwig von Bertalanffy, Thèse EHESS, 2013, p 51-52]. La première, l’épistémologique, que l’on pourrait qualifier de juste milieu aristotélicien raisonnable est l’outil utilisé avec prudence par les sciences de la nature ; la seconde, la métaphysique, a tendance à être érigée en absolu dans les « sciences » sociales en ayant recours à des personnifications abusives dénoncées par S. Weil, K. Popper ou F. Hayek souvent cités par la suite dans cet essai. En bref, cette émergence métaphysique fini par voir des systèmes et en faire des êtres, des personnes agissant et se comportant comme des êtres humains, ce qui n’est pourtant pas le cas, c’est le mécanisme de la personnification, on y reviendra. Bien entendu L. von Bertalanffy se situe clairement sur l’émergence épistémologique.

II-5-2) L’intentionnalité versus la finalité

Il ne faut pas confondre finalité et intentionnalité dans un système. Un exemple permet d’illustrer très simplement cette différence : l’intention d’une équipe d’ingénieur est de créer tel type d’avion, la finalité d’un avion (constat) est de voler.
Avec l’intention, on constate une propriété affichée ou imposée à un système mais pas forcément réalisée par lui. Avec la finalité : « tout se passe comme si... » : propriété révélée par le comportement du système, optimisation d’une fonction, d'un objectif,... le système tends de lui-même à réaliser ou atteindre une ou des fonctions ou objectifs.
La non compréhension de la différence de ces deux concepts explique les débats entre vitalistes ou mécanistes, finalisme et téléonomie, tout particulièrement sur les systèmes vivants où il est difficile de séparer téléonomie simple et finalisme. En effet la finalité de l’avion à voler du fait de l’intention des ingénieurs qui l’on conçu ne pose pas débat, par contre celui-ci est posé avec les êtres vivants.
Dans un système comme le pendule (similaire au problème des trois corps), on voit apparaître les phénomènes d’attracteurs étranges (fractals), sans qu’il soit possible de décréter que le pendule est soumis à l’intention d’un créateur de le faire converger vers cet attracteur étrange. Il existe aussi d’autres systèmes simples non créés intentionnellement et convergeant eux aussi vers un état qui semble « pré désigné » sans intention d’un inventeur. Ainsi, les cellules de convections découvertes par Bénard apparaissant spontanément dans une casserole remplie d’eau chauffée à feu doux, et présentant un certain gradient de températures, ne peuvent en aucun cas être le résultat d’une intention. Pourtant, l’eau converge spontanément vers cet état « final », plus exactement d’équilibre dynamique, si la température de la casserole reste dans une plage correcte.
François Jacob va jusqu’à écrire : « la reproduction d'un organisme est devenue celle des molécules qui le constituent. […]
Ce qui est transmis de génération en génération, ce sont les «instructions » spécifiant les structures moléculaires. Ce sont les plans d'architecture du futur organisme. Ce sont aussi les moyens de mettre ces plans à exécution et de coordonner les activités du système. Chaque œuf contient donc, dans les chromosomes reçus de ses parents, tout son propre avenir, les étapes de son développement, la forme et les propriétés de l'être qui en émergera. L'organisme devient ainsi la réalisation d'un programme prescrit par l'hérédité. A l'intention d'une Psyché s'est substituée la traduction d'un message. L'être vivant représente bien l'exécution d'un dessein, mais qu'aucune intelligence n'a conçu. Il tend vers un but, mais qu'aucune volonté n'a choisi. Ce but, c'est de préparer un programme identique pour la génération suivante. C'est de se reproduire. Un organisme n'est jamais qu'une transition, une étape entre ce qui fut et ce qui sera. La reproduction en constitue à la fois l'origine et la fin, la cause et le but. Avec le concept de programme appliqué à l'hérédité, disparaissent certaines des contradictions que la biologie avait résumées par une série d’oppositions : finalité et mécanisme, nécessité et contingence, stabilité et variation. Dans l'idée de programme viennent se fondre deux notions que l'intuition avait associées aux êtres vivants : la mémoire et le projet. Par mémoire s'entend le souvenir des parents que l'hérédité trace dans l'enfant. Par projet, le plan qui dirige dans le détail la formation d'un organisme. » (17, introduction).

II-5-3) Ago-antagonisme et homéostasie
 
Souvent confondue avec la dialectique , remplacée en l'occurrence par le terme de dialogique par E. Morin. Les systèmes en équilibres dynamiques se trouvent dans un « jeu » de forces variées, souvent nombreuses, s'exerçant dans des sens différents (et non forcément opposés) mais plus ou moins égales. Certaines forces, ou sous-systèmes, jouent dans le même sens (agonistes), d'autres en opposition (antagonistes). Ainsi, en médecine, comme l'observe E. Bernard-Weil dans un article sur le sujet « Théorie et praxis des systèmes ago-antagonistes » : « Très simplement, il y a deux hypophyses. L'hypophyse postérieure sécrète une hormone, l'hormone anti-diurétique (HAD), et l'hypophyse antérieure sécrète indirectement (via l’ACTH) une hormone diurétique cortico-surrénalienne, la cortisone. Vous enlevez l'hypophyse postérieure, chez l’animal […] et l'on comprend pourquoi apparaît un diabète insipide, émission quotidienne de plus de 10 litres d'urines par jour. Et maintenant enlevez l'hypophyse antérieure […], le diabète insipide disparaît, car il n'y a plus ni hormones diurétique ni anti-diurétique, en fait il n'y a pas eu de guérison, mais deux maladies au lieu d'une et qui paraissent s'annuler. ». Il a donc découvert ici un système composé de deux sous-système dialogiques (les deux hypophyses) produisant chacun une hormone qui va venir équilibrer en permanence l'autre et vice-versa. Ces deux hypophyses ne travaillent pas en simple opposition dialectique, elle ne sont pas la même choses (« A » et « non A ») s'opposant à lui-même car ce sont bien deux hypophyses différentes. Non, elles travaillent de concert, ensemble (agonisme) et simultanément en équilibre instable par équilibration dynamique (antagonisme) permanent. La rupture de cette dialogique, de ce travail en commun comme deux jambes s'équilibrant l'une l'autre, amène la maladie, qui n'est pas autre choses qu'un déséquilibre.
En mécanique, sur une voiture, les sous-systèmes « accélérateur » et « freins » loin de s’opposer comme l’aurait conclu un dialecticien comme Hegel ou Marx, coopèrent ensemble au contraire en mode dialogique pour faire avancer correctement le véhicule. Ainsi par exemple lors d’une course des 24 Heures du Mans un concurrent a gagné car pour la première fois sa voiture avait des freins à disques beaucoup plus efficaces, lui permettant d’aller… beaucoup plus vite !
De même en matière de socio-politique, le maître mot est là aussi le jeu des forces ago-antagonistes. Simone Weil résume très bien ce jeu des forces, se livrant en passant à une critique destructrice du Marxisme dès 1937... : « Les marxistes n’ont pas facilité une vue claire du problème en choisissant l’économie comme clef de l’énigme sociale. Si l’on considère une société comme un être collectif, alors ce gros animal, comme tous les animaux, se définit principalement par la manière dont il s’assure la nourriture, le sommeil, la protection contre les intempéries, bref la vie. Mais la société considérée dans son rapport avec l’individu ne peut pas se définir simplement par les modalités de la production. On a beau avoir recours à toutes sortes de subtilités pour faire de la guerre un phénomène essentiellement économique, il éclate aux yeux que la guerre est destruction et non production. L’obéissance et le commandement sont aussi des phénomènes dont les conditions de la production ne suffisent pas à rendre compte. Quand un vieil ouvrier sans travail et sans secours périt silencieusement dans la rue ou dans un taudis, cette soumission qui s’étend jusque dans la mort ne peut pas s’expliquer par le jeu des nécessités vitales. La destruction massive du blé, du café, pendant la crise est un exemple non moins clair. La notion de force et non la notion de besoin constitue la clef qui permet de lire les phénomènes sociaux. ». [WEIL, Simone, « Méditation sur l’Obéissance et la Liberté », Œuvres, Ed. Quarto Gallimard, p 490].

II-5-4) Eco-Auto-Re-Organisation des systèmes loin de l’équilibre

C’est ici qu’interviennent dans l’étude des systèmes les phénomènes d’auto-organisation permettant d’éclairer le débat finalisme-intention, à condition de ne pas oublier les phénomènes d’émergences cités plus hauts.
Ces aspects ont été particulièrement développés par E. Morin et JL Le Moigne.
Loin de l’équilibre, signifie que le système n’est pas au repos, et est soumis à des flux d’énergies, informations et/ou de matières. Ces flux ne doivent pas être ni trop faibles ni trop fort, dans les limites de ce que peut « encaisser » le système. Dans cet état, le système se trouve probablement dans l’état qui lui est « le meilleur ». Ce dernier terme entre guillemets montre bien le penchant de l’être humain pour les termes finalistes…
Dans ce régime, un système peut spontanément, sur des délais variables, se mettre à présenter des phénomènes de réorganisations internes. Ces réorganisations interviendront surtout si les natures ou les régimes des flux entrants ou sortants évoluent dans le temps, ceci, à nouveau, sans dépasser une plage admissible pour le système.
Ces réorganisations internes peuvent provenir soit :
  • de l’apparition de nouvelles relations ou inter-relations entre ses sous-systèmes. Par exemple l’établissement de nouvelles synapses dans un cerveau réalisant un apprentissage.
  • d’une modification limitée de l’un ou de plusieurs sous-systèmes (qu'il faudrait alors à leur tour individuellement étudier en tant que systèmes).
  • D’une transformation en profondeur de l’un ou de plusieurs sous-systèmes aboutissant à l’apparition d’un sous-système réellement nouveau.
A nouveau un exemple simple est l’auto-organisation des cellules de convection dans une casserole d’eau chaude. Aucun ingénieur n’est présent avec l’intention (intentionnalité) de les créer, et pourtant le système s’auto-organise spontanément en un réseau de cellules avec une structure typique en cellule d’abeilles.
Cet état est instable, les cellules varient en permanence de taille et de forme, tout en restant proche de la section hexagonale. Une cellule peut presque même par instants disparaître pour quelques secondes, plus la température augmente et plus ces mouvements deviendront des soubresauts violents qui finiront par anéantir cette nouvelle (auto) organisation : le système est mort, il a explosé sous la trop grande intensité des flux auquel il a été soumis.
Comme déjà évoqué en (II-3-3) au sujet de JL Le Moigne, Edgar Morin dit que l’organisation est en fait bien plus qu’une simple auto-organisation, mais est un processus de transformation permanente sur 3 registres imbriqués :
« - celui de l’éco-organisation, qui est l’ouverture aux évolutions et à la diversité de l’environnement, éco-organisation qui est à la fois dépendante de l’environnement, mais aussi créatrice de son environnement.
- Ensuite l’auto-organisation, qui est le développement de l’autonomie, la capacité à élaborer et à mettre en œuvre ses propres projets, d’organiser ses modes d’action et ses processus pour s’auto-produire de façon adaptée aux contraintes et sophistications de l’environnement.
- Troisièmement, la ré-organisation qui est la transformation permanente assez subtile, entre le renouvellement et la reproduction, ré-organisation qui ne peut s’opérer qu’en complète symbiose avec l’éco et l’auto-organisation. ». (Evelyne Biausser, éditrice du dossier MCX XVIII, Une Pragmatique du « bien penser »).
Ainsi l’éco-organisation consiste à s’adapter aux changements de l’environnement, et en retour à modifier celui-ci, de la bactérie qui va alcooliser son environnement en consommant le sucre contenu par celui-ci pour produire de la bière, jusqu’à l’homme et le réchauffement planétaire… qui devront ensuite s’adapter en retour aux changements de l’environnement pourtant provoqués par eux-mêmes. C’est le système actif.
L’auto-organisation a été traitée plus haut, c’est le système dynamiquement stable capable de s’organiser de lui-même (immanence) .
La ré-organisation qui consiste à détruire/ construire son organisation interne comme explicité plus bas en (II-5-4-c), c’est le système évoluant. On arrive alors à la phrase à méditer d’E. Morin : « l’organisation est l’organisation de l’organisation ».

SUITE du Blog : Les propriétés d'un système

Benjamin de Mesnard

samedi 11 octobre 2008

II) Présentation détaillée de la Systémique (6/8)

II-4-2) Organisation :

Il faut d’abord souligner combien le concept d’organisation a été flou dans le passé et, notamment, dans le langage commun. La Systémique parvient à une définition très précise avec reconversion de la finalité métaphysique sous la forme de l’ergodicité systémique.
Selon R.A. Ochard en 1972, l’organisation d’un système est donc la collection de toutes les propriétés qui déterminent le comportement d’un système. Par propriétés, on désigne tout ce qui a été dit plus haut, à savoir : interactions, flux, sous-systèmes composants, ergodicité, etc...
Plus précisément, dans l’organisation nous allons trouver les éléments suivants :

a) Structure :

Une structure, c’est la somme des éléments (ou des sous-systèmes) et de leurs interrelations.
Il ne faut pas confondre structure et organisation, une structure - dans la Systémique - fait partie d’une organisation et non l’inverse. Une structure est (relativement) stable. Voir le paragraphe II-2-1 pour une description plus fine de la structure. C’est un point essentiel de ce qui sépare structuralisme de la Systémique. Le structuralisme a - comme son nom l’indique - mis l’accent sur la structure en mettant de côté les aspects organisationnels plus larges et sans voir que la structure ne décrit pas la totalité de ce que l’on appelle un système en Systémique.

b) Niveaux - strates :

Comme déjà introduit en (II-3) avec la récursivité, on appelle niveau l’ensemble des sous-systèmes composants les systèmes. Pour un de ces sous-systèmes, on pourra à nouveau trouver un ensemble de sous-sous-systèmes le composant, ce qui constituera le niveau N-2 d’organisation de notre système de départ et ainsi de suite. A l’inverse, il est possible d’opérer vers le haut par le sur-système dans lequel se trouve le système. Enfin, il est noter qu’un sous-système peut être considéré comme de niveau N1 d’un certain point de vue et de niveau N2 d’un autre, formant un implexe en analogie avec la généalogie.
Deux cas se présentent : niveaux ordonnés ou niveaux hiérarchiques.

b-1) Niveaux Ordonnés :

C’est le cas le plus simple donné plus haut. Un système d’ordre N sera alors plus globalisant que celui d’ordre N-1 et le contiendra logiquement. Une remarque : le niveau N aura tendance à être plus “ macroscopique ” que le niveau N-1, c’est à dire moins précis localement mais aussi plus général. Ces niveaux sont donc articulés entre eux, emboîtés, sans que l’on puisse encore dire qu’un niveau est « supérieur » à l’autre ou bien pilote un autre « inférieur » (voir b-2 ci-dessous). Par contre il est possible d’identifier une structure, une organisation à travers des niveaux ordonnés.


b-2) Niveaux hiérarchiques :

Les niveaux dits hiérarchiques sont par nature ordonnés. Cependant les niveaux hiérarchiques ajoutent une idée d’emboîtement vertical, un niveau donné étant rattaché, et surtout piloté par le niveau hiérarchique supérieur. Un niveau hiérarchique supérieur pourra se superposer, piloter, un ou plusieurs niveaux inférieurs.
Au sujet de la hiérarchie des niveaux, un théorème capital a été démontré en 1931 par K. Gödel. Une structure de niveau N peut être plus forte (au sens mathématique) qu’une autre de niveau inférieur. Précisons : les sous-systèmes du système de niveau N sont des cas particuliers du système de celui-ci. On a besoin pour les situer, d’en connaître l’environnement constitué par définition, par le système lui-même. Cela revient à dire que le niveau N devient nécessaire à la saturation du niveau N-1. Ou encore, que les indécidables du niveau N-1 ne peuvent être résolus que par des moyens « plus forts » que ceux fournis par lui, et donc, qu’il faut recourir aux moyens du niveau N. Encore : les invariants (au sens de la théorie des groupes) du sous-système sont plus nombreux que ceux du système puisque qu’il est plus faible, certaines propriétés du système se transformant en variables exogènes pour le sous-système. Pour résoudre ces variables exogènes il faut construire ou découvrir le niveau N.
C’est sur ce concept de niveaux forts englobant des niveaux faibles du théorème de Gödel qu’a été révolutionné le caractère hiérarchique des niveaux. Avec Gödel, il ne s’agit pas en effet d’une simple analyse des organisations comme on peut les trouver dans tous les livres de sociologie des organisations, mais bien d’une découverte essentielle servant directement à la Systémique. Nous reviendrons en (III-1-2) sur Gödel et ses liens de fait avec la Systémique.
Enfin il faut se méfier d’une hiérarchisation un peu trop rapide des niveaux, par exemple en génétique les rôles respectifs de l’ADN et de l’ARN dans un noyau de cellule vivante ont été très vite hiérarchisés entre eux : l’ADN code, l’ARN sert de messager, or on s’est aperçu récemment que leurs rôles respectifs étaient beaucoup plus complexes que cela.

b-3) Niveaux en réseaux :

Ces différents « niveaux » d’organisation peuvent s’interconnecter aussi en réseaux, et non seulement, en s’empilant ou en s’imbriquant comme les poupées russes, généralisant ainsi les implexes. Des inter-relations croisées peuvent ainsi s’entrelacer et s’enchevêtrer mutuellement. Rendant extrêmement complexe naturellement la compréhension et l’étude de tels systèmes. Malheureusement, la plupart des systèmes naturels sont organisés ainsi, expliquant, par là même, les difficultés des sciences de la vie en général à avancer, voir même à se faire admettre au statut de science au même titre que les mathématiques. Sans aller jusqu’à la biochimie, la chimie offre de multiples exemples d’interactions chimiques croisées complexes, faisant échouer pendant longtemps toutes possibilités de maîtrise par l’homme de ces processus.

b-4) Niveaux multi-hiérarchiques :

Pour être complet il faut combiner les niveaux simplement hiérarchiques où chaque niveau N est coiffé par un seul niveau N+1, avec les niveaux en réseaux. Il est en effet possible (et courant dans la nature) de trouver qu’un niveau N peut être coiffé de plusieurs niveaux N+1 en inter-relations entre eux (eux mêmes en réseau). Ainsi par exemple, l’individu être humain (niveau N) sera coiffé de plusieurs niveaux supérieurs N+1 inter agissants les uns sur les autres (société, psychologie, culture, etc. …). Dans une grande entreprise, il est utile d’identifier au-delà de la hiérarchie officielle (l’organigramme officiel), les organigrammes officieux où l’on trouvera un second, troisième, etc.… réseaux d’influences hiérarchisés internes ou externes à l’entreprise.
Une application de l’identification de niveaux a été trouvée en sociologie par exemple par le pouvoir de « décision » que possède un niveau sur un autre, ou encore en gestion avec les modules de pilotage. Cette idée est même employée par comme définition par J. Eugène. Ce qui nous amène à la :

c) Coordination et Pilotage :

Il est en effet nécessaire pour qu’un système puisse « fonctionner » correctement, que tous les sous-systèmes qui le composent s’intègrent en un tout, agissent de concert, en bref, se coordonnent entre eux. Pour atteindre cette intégration, un chef d’orchestre peut être requis. Ce rôle ne peut être rempli que par le système lui-même, c’est-à-dire par le niveau N par rapport aux niveaux N-1. Le système doit alors être hiérarchisé et surtout organisé. Le niveau N doit être plus fort (au sens de Gödel) que le niveau N-1. Le niveau N doit présenter la Variété requise pour « gérer » le niveau N-1 comme l’a démontré R.W. Ashby et A. Kolmogorov (voir (II-4-1-e)). On peut alors voir apparaître un système spécialisé dans le pilotage des systèmes peuplant les niveaux inférieurs. Ce système présentant nécessairement un niveau de variété supérieur à ceux des systèmes qu’il pilote, cela signifie que ce système doit présenter un niveau de complexité supérieur. On voit apparaître trois conséquences :
  • On retrouve par une autre approche le théorème de Gödel, comme dit plus haut le système pilote doit être en effet plus fort que les systèmes pilotés.
  • Le système pilote présentant une complexité/variété encore plus grande que les systèmes pilotés par lui, aura lui-même besoin d’être piloté à son tour. Ceci explique l’apparition de couches successives au-dessus du système pilote précité, dans un emboîtement (voir enchevêtrement par inter-relations) toujours plus complexes et difficiles à comprendre. Ainsi par exemple, le cerveau humain forme un système extrêmement complexe « pilotant » l’organisme, ce système nécessitant des systèmes aux niveaux supérieurs -tels que systèmes sociaux, psychologiques, spirituels, etc.…- pour parvenir à fonctionner.
d) Variété versus spécialisation :

Comme vu plus haut, la variété d’un système est le nombre d’états (de configurations) possibles que peut prendre ce système. C’est l’inverse de la spécialisation d’un système. C’est cette variété qui va permettre au système de répondre plus souplement, plus richement, aux changements son environnement, en un mot de s’adapter à celui-ci.
Toute la théorie de la sélection de Darwin repose sur ces deux notions antagonistes. En effet, pour qu’un système vivant survive, c’est-à-dire reste dans son domaine d’ergodicité, il faut qu’il soit adapté à son environnement. Il devra présenter une palette de réponses, de comportements, de programmes, potentiels, en nombre suffisant (et donc une variété suffisante), pour pouvoir supporter les changements qui affectent son milieu. Par contre pour survivre d’une manière la plus optimum dans un environnement donné et suffisamment stable, un système devra se spécialiser –et par la même perdre de sa variété- risquant de ne pouvoir se réadapter en cas de changement de son environnement.

SUITE du Blog : Les propriétés d'un système

Benjamin de Mesnard

samedi 6 septembre 2008

II) Présentation détaillée de la Systémique (2/8)

II-3) Les Concepts de Base :

II-3-1) Totalité et Globalité :


Il faut insister sur la notion de totalité, de globalité en Systémique. Pour cela quelques références :
  • le tout est différent quantitativement et qualitativement de la somme de ses parties ”.
  • non réduction d’un tout à ses parties ”.
  • “ la partie ne s’appartient pas elle-même : elle relève du tout, en tout ce qu’il est ” (Saint Thomas d’Aquin).
Il faudra revenir sur le débat entre l’émergence du tout dû aux inter-relations en jeu dans son organisation et la théorie des Essences chez Aristote, voir plus loin : Émergence en (II-5-1).

II-3-2) Interactions, interrelations :

Ici la causalité linéaire cartésienne cause-effet est abandonnée au profit de multiples formes de relations à l’intérieur ou à l’extérieur d’un système :
• Cause - effet classique :

• Causes en cascades :

• Enchaînement de causes/effets avec effet rétroactif :


• Cause plus retard temporel - effet :


• Rétroaction avec retard temporel : cause A - effet/cause B - effet/cause C - effet/cause B à nouveau avec retards temporels plus ou moins longs voire variables :

• Une rétroaction (feed-back) peut-être positive (amplification ou source de « mutations » ou d’émergences comme nous le verrons plus loin) ou négative (régulatrice ou compensatrice).

• Rétroaction indirecte, avec ou sans retard : plusieurs effets/causes intermédiaires, en cascade, croisées ou non, dans la boucle de rétroaction :


• Rétroaction avec effet de réservoir, ce réservoir étant capable de retenir une certaine quantité de matière, énergie ou information qui pourront être libérés ultérieurement et dans un ordre différent de leur ordre d’arrivée et de stockage.

• Interactions ou rétroactions non linéaires.

• Élément provoquant une cause/effet intermédiaire favorisant une boucle de rétroaction ou un processus, sans être lui-même impacté par ce processus, appelé catalyseur.

L’association de boucles de rétroaction avec des retards temporels provoque de nombreux effets pervers « inattendus » pour les cartésiens. Ce sont ces interactions qui, lorsqu’elles sont prises en comptes, détruisent les solutions abusivement simplificatrices.

Interactions et interrelations sont des concepts clés en Systémique. Car pour prétendre connaître un système, et donc le monde réel, il ne suffit pas de connaître ou identifier les « choses », mais surtout connaître et identifier les relations, interactions et interrelations entre elles. C’est ce que souligne H. Poincaré : « Ce que [la science] peut atteindre, ce ne sont pas les choses elles-mêmes, comme le pensent les dogmatistes naïfs, mais seulement les rapports entre les choses ; en dehors de ces rapports, il n’y a pas de réalité connaissable. ». [POINCARÉ Henri, La science et l’hypothèse, Paris, Flammarion, 1902, p. 25]. Il ajoute : « La science, en d’autres termes, est un système de relations. Or, c’est dans ces relations seulement que l’objectivité doit être cherchée. [..]. Dire que la science ne peut avoir de valeur objective parce qu’elle ne nous fait connaître que des rapports, c’est raisonner à rebours, puisque précisément ce sont les rapports seuls qui peuvent être regardés comme objectifs. ». [POINCARÉ Henri, La valeur de la science, Paris, Flammarion, 1905, p. 181]. De même avec L. von Bertalanffy : « La science n’a rien à faire avec l’« essence interne » des choses ; elle s’occupe exclusivement des « lois », des relations formelles existant entre les « choses ». » [Bertalanffy L. von, « Theoretische Biologie – Band I: Allgemeine Theorie, Physikochemie,Aufbau und Entwicklung des Organismus », Berlin, Gebrüder Borntrager, 1932, p. 24.].

II-3-3) Organisation :

C’est à l'intérieur de l’organisation du système que des interactions peuvent être relevées. On observe deux aspects : l’aspect structurel (organigramme) et l’aspect fonctionnel (programme).
Pour certains auteurs le structurel est ce qui demeure fixe, permanent, en fait plus exactement qui évolue par crises, par bonds, comme l’a montré le platonicien René Thom. Le fonctionnel évoluant continûment (ou discrètement au sens mathématique ou informatique du terme), face à une ou des perturbations extérieures jusqu’à un nouvel état stable de moindre énergie. F. Hayek parle de mouvement lents versus de mouvements rapides pour meiux faire comprendre que cette frontière est floue et qu'il faut se garder de toute dichotomie plato-cartésienne ici encore....
Une organisation peut par ailleurs évoluer sous la pression de son environnement, ou sous sa propre action, c’est le concept du constructiviste épistémologique d’E. Morin d’eco-auto-re-organisation :
  • Eco : fonctionnement de l’organisation dans son environnement (synchronique),
  • Auto : auto-organisation du système pour faire face aux changements de son environnement ou bien encore à des changements internes (vieillissement par exemple),
  • Re : transformation profonde (émergence) au cours du temps dans la poursuite d’un but, d’un objectif, donc téléologique, voire, pour certains auteurs, finaliste (diachronique) : c’est la prise en compte de l’histoire. Cette émergence peut être vue comme l’atteinte d’une équifinalité et non finalité, à travers une ergodicité du système via un processus dialogique, -et non dialectique…- ou plus exactement multi-dialogiques entre sous-systèmes en coopétitions.

Nous reviendrons sur le concept d’organisation qui est souvent confondu avec celui de structure.

SUITE du Blog : Les Concepts de Base (2)

Benjamin de Mesnard