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mercredi 9 février 2022

Introduction




Citations :
« Pour juger des apparences que nous recevons des sujets, il nous faudrait un instrument judicatoire; pour vérifier cet instrument, il nous y faut de la démonstration; pour vérifier la démonstration, un instrument : nous voilà au rouet. »
Michel de Montaigne (1533-1592)

« Tout : Le mot Tout se dit d’une chose à laquelle il ne manque aucune des parties qui la constituent dans sa totalité naturelle ; et aussi du contenant, qui enveloppe les choses contenues, de telle sorte que ces choses forment une certaine unité. »
Métaphysique, Livre V, Chap. 26, Aristote

  « Chaque ordre inférieur est pour l’ordre supérieur une matière à laquelle celle-ci donne une forme ».
Aristote

«  Descartes inutile et incertain ».
Pascal (1623-1662)

« Le mépris de la puissance de la raison humaine, de la capacité de l’homme à discerner la vérité, vient presque invariablement de pair avec le mépris de l’homme. »
 « Conjectures et Réfutations », 1963, Karl Popper

Le mot « amargi », c'est-à-dire « liberté » en Sumérien en 2350 avant J.C., qui constitueraient
la plus vieille représentation écrite de ce concept dans l'histoire de l'humanité :





Les débats philosophiques et épistémologiques s’articulent traditionnellement autour d’un ensemble de lignes de fractures opposant les uns aux autres en des combats aussi forts que résolus. Ainsi on voit des disputes notamment entre matérialisme et idéalisme, rationalisme et empirisme, relativisme et absolutisme, transcendance et immanence, créationnistes et évolutionnistes, induction et déduction, finalisme et mécanisme, et le débat dont nos politiques raffolent : droite versus gauche... Le but de ce blog est de démontrer que ces oppositions recouvrent et dissimulent en fait la véritable ligne de fracture sous-jacente plus fondamentale. Celle opposant la Théorie Générale (Universelle) des Systèmes, que nous appellerons « Systémique », associée au Constructivisme épistémologique enrichis par une relecture d’Aristote ainsi que ses théories apparentées, contre le reste de la philosophie. Il vise à démontrer les liens existants entre différents courants philosophiques, qui n’ont pas été rapprochés jusqu’à présent, voir même qui ont été opposés entre eux. A l’opposé, il vise à définir une nouvelle ligne de séparation à l’intérieur de la philosophie.
Il apparaît alors que les débats évoqués viennent de malentendus issus de la méconnaissance de concepts tels que ceux de systèmes, niveaux d’organisations, auto-organisation des systèmes dissipatifs, attracteurs étranges, variété requise ou rationalité limitée,… propres à la systémique. Ces débats peuvent alors être revus à la lumière de cette théorie, démontrant point par point les incompréhensions qui ont conduit certains de nos plus grands philosophes à des “ querelles ”, comme la querelle des universaux qui a habité une bonne partie du Moyen-âge, ou l’opposition erronée entre idéalistes et matérialistes. Enfin nous ferons un retour sur la dialectique pour remettre en perspective. Pour seule preuve de cette introduction, nous prendrons l’exemple de l’absence de mention de Charles Darwin dans les ouvrages philosophiques généraux, les quelques lignes accordées aux Structuralistes, ou encore l’absence de toute référence à GB. Vico, père du Constructivisme épistémologique, aux rapides mentions de G. Bachelard, à comparer avec la surabondance de celles concernant Descartes, A. Comte ou Marx.
Enfin cet essai tente de montrer comment la Systémique et avec elle le Constructivisme épistémologique peut repositionner Aristote et Thomas d’Aquin dans une perspective épistémologique renouvelée pouvant fournir une base solide aux idées de liberté.
Benjamin de Mesnard

 * Avertissement : par « Constructivisme » on entend ici le constructivisme épistémologique ou philosophique, et non le constructivisme politique (dit planisme ou dirigisme) dénoncé par F. Hayek. 

lundi 13 décembre 2021

VI) UNE NOUVELLE LIGNE DE FRACTURE APPARAÎT


Cette ligne de fracture nouvelle qui apparaît tend à remettre à leur juste place les anciennes oppositions « classiques ». Cette fracture s’articule finalement autour du concept d’immanence versus transcendance évoqué en (V-7) : 
 
     ● Immanence : d’un côté la Systémique et le Constructivisme épistémologique avec la « pensée complexe » synthétique et prudente, l’ingénium, l’indéterminisme, la dialogique, et ne confondant ni la carte avec le territoire, ni l’idée avec le réel. Elles sont immanentes avec les concepts d’éco-auto-ré-organisation, d'équilibre dynamique ponctués et d’émergence. Elles sont conscientes des limitations de notre rationalité, prêtes à adopter de multiples point de vues et à se remettre en cause par des théories se prêtant à réfutation. Elles s’appuient sur des philosophies comme celles d’Aristote, le Structuralisme, la Systémique, la cybernétique de second ordre de G. Bateson, A. Korzybski, Pascal, H. Simon, la « pensée complexe » d’E. Morin, et K. Popper ou F. Hayek. 
 
    ● Transcendance : et de l’autre côté les philosophies platoniciennes, cartésiennes, analytiques , positivistes, scientistes, réductionnistes, recherchant le point fixe et l’évidence cartésienne (succédant immédiatement au pseudo-doute grâce au « je pense donc je suis»). Elles se réclament de l’Idéalisme ou du Matérialisme - dont le dialectique -, deux fausses oppositions, toujours à livrer diverses luttes pour la victoire d’une hypostase, c'est à dire d’une personnification artificielle supposée être par définition dans le camp du Bien absolu avec un grand « B » : « Classe », « Parti », « Nation », « Race », « Prolétariat », « Peuple », « Peuple de gauche » ou « Peuple de Dieu », ou bien le Mal absolu : « Grand Capital » afin de faire appel aux émotions et éteindre notre raison. Pour Simone Weil, « on donne des majuscules à des mots vides de signification » qui n’existent pas en réalité et pour lesquels des millions de gens sont censés se sacrifier voire même donner leur vies, avec la promesse d’un futur paradis radieux. Transcendantes car croyant qu’une organisation ne peut être pensée que « d’en-haut » par un Dieu, un guide ou un grand timonier géniaux. Elles viennent de Platon, Descartes, A. Comte, le Cercle de Vienne, des religions monothéistes et des deux socialismes national ou non : le Nazisme et le Marxisme. Ces hypostases sont supposées être représentées – guidées - par un « homme providentiel » ou un Dieu, affublé de toutes une séries de qualités extraordinaires, qu’il soit être humain ou divinité. On peut qualifier de magique cette « pensée » alors même que les socialismes marxistes ou national nazi se disent scientifiques, ils ne sont en fait que pseudo-sciences car scientistes et irréfutables à la manière de l’astrologie. Typique de la « pensée tribale » comme vu avec K. Popper, elle ne sait que suivre un chef de tribu proposant des solutions simplistes – cartésiennes - inadaptées aux problèmes complexes. On arrive ainsi rapidement aux divers régimes totalitaire comme Simone Weil l’explique : «  De toutes parts on est obsédé par une représentation de la vie sociale qui, tout en différant considérablement d’un milieu à l’autre, est toujours faite de mystères, de qualités occultes, de mythes, d'idoles, de monstres ; chacun croit que la puissance réside mystérieusement dans un des milieux où il n'a pas accès, parce que presque personne ne comprend qu'elle ne réside nulle part, de sorte que partout le sentiment dominant est cette peur vertigineuse que produit toujours la perte du contact avec la réalité. Chaque milieu apparaît du dehors comme un objet de cauchemar. Dans les milieux qui se rattachent au mouvement ouvrier, les rêves sont hantes par des monstres mythologiques qui ont nom Finance, Industrie, Bourse, Banque et autres ; les bourgeois rêvent d'autres monstres qu'ils nomment meneurs, agitateurs, démagogues ; les politiciens considèrent les capitalistes comme des êtres surnaturels qui possèdent seuls la clef de la situation, et réciproquement ; chaque peuple regarde les peuples d'en face comme des monstres collectifs animés d'une perversité diabolique. On pourrait développer ce thème à l'infini. Dans une pareille situation, n'importe quel soliveau peut être regardé comme un roi et en tenir lieu dans une certaine mesure grâce à cette seule croyance ; et cela n'est pas vrai seulement en ce qui concerne les hommes, mais aussi en ce qui concerne les milieux dirigeants. Rien n'est plus facile non plus que de répandre un mythe quelconque à travers toute une population. Il ne faut pas s'étonner dès lors de l'apparition de régimes « totalitaires » sans précédent dans l'histoire. ». [WEIL, Simone, Œuvres, « Les origines de l’hitlérisme » en 1940, Ed. Quarto Gallimard, p 381]. 
 
Deux questions se posent alors : 
   - Quelle est la légitimité du Dictateur (ou du supposé Représentant du Dieu Unique) transcendant ? : « Qui t’as fait Roi ? » a dit Adalbert à Hugues Capet… 
  - Et si l’État (ou le Représentant d’une Église) contrôle tout, qui alors les contrôlent ? C’est le problème de la récursivité sans fin du système de pilotage « top-down » des sociétés tribales reposant sur la transcendance. 
 
Le tableau suivant montre les incohérences philosophiques que l’on rencontre entre certains tenants de l’Immanence et de la Transcendance selon que l’on se met du point de vue de l’économie ou des religions monothéistes (création de l’univers ou des êtres vivants). Ainsi certains seront pour la Transcendance religieuse mais pour l’Immanence en économie (les conservateurs « libéraux ») ; et d’autres pour l’Immanence religieuse (les athées) mais pour la Transcendance en économie (marxistes, socialistes, communistes) avec un État centralisateur contrôlant tout. D’autres, plus rares aujourd’hui, sont par contre cohérents, c’est à dire soit tenants de la Transcendance en tout : conservateurs étatistes/colbertistes, socialistes nationaux nazis, fascistes, ou franquistes (avec une alliance forte entre l’Église et l’État centralisateur) aboutissant aux dictatures ; soit tenants de l’Immanence en tout : les Libéraux athées… et la Systémique avec ses concepts d’éco-auto-ré-organisation. 

 

                              Économie →→

 Religion  ↓ ↓

Immanence
(auto-éco-organisation systémique des libres marchés)

Transcendance (Étatisme, Centralisme, Communisme)
La Vérité absolue vient du Guide, Grand Timonier, Petit Père des Peuples, etc...

Immanence (Athées ou Monothéistes tenants de « Intelligent Design »)

Libéraux ou Anarchistes
(cohérents)

Communisme (incohérents entre religion et économie)

Transcendance (Monothéistes créationnistes)
La Vérité absolue vient de Dieu Unique

Conservateurs (incohérents entre religion et économie)

Socialismes Nationaux : nazisme, fascisme, franquisme, royauté absolue, colbertistes… (cohérents entre religion et économie)


Les anciennes oppositions sont donc remises en perspectives, comme l’Idéalisme opposé au Matérialisme, le Rationalisme opposé à l’Empirisme, le Nominalisme opposé au Réalisme, la Dialectique opposée à la Logique Formelle, le Mécanisme opposé au Finalisme, l’Induction opposé à la Déduction, ou encore le clivage Gauche-Droit en politique. Ces anciennes oppositions semblent devenir caduques lorsqu’elles sont réétudiées à la lumière de la Systémique. Car on peut alors comprendre qu’elles n’existaient que parce certains aspects de la réalité que montre la Systémique étaient ignorés. On peut citer dans le désordre : existence de différents niveaux de réalités, effets de rebouclages rétroactifs non linéaires, rebouclages avec ou sans retards temporels, différence entre modèles/théories et systèmes réels, équifinalité versus finalisme ou prise en compte de l’ergodicité, de l’homéostasie, et des équilibres dynamiques ponctués non linéaires. 
 
Cette nouvelle ligne de fracture pourrait être étudiée plus à fond afin de reconstruire la philosophie en réunissant d’un même côté : Aristote, Pascal, la Systémique, le Constructivisme épistémologique, Gödel, le Gestaltisme, la théorie de l’Information, la Thermodynamique et sa flèche du temps, Darwin, A. Korzybsky, T. Kuhn, Karl Popper, H. Simon, F. Hayek, E. Morin le tout dans une démarche…dialogique prudente et modeste car ne prétendant pas détenir la Vérité. Le but de la Systémique et du Constructivisme épistémologique est de permettre de comprendre les phénomènes d’éco-auto-ré-organisations immanents des systèmes complexes. En ce sens la Systémique est bien un méta-paradigme, comme décrit par L. Moreira, plutôt qu’un « simple » nouveau paradigme de l’épistémologie. Ce méta-paradigme, représentant d’un courant épistémologique, est un dépassement des philosophies « classiques », réelle émergence, au sens précisément de la Systémique. C’est un nouvel outil de pensée moderne, mais également un courant épistémologique profond et ancien, qui avance avec une humilité et une prudence recommandée par G.B. Vico, et non une nouvelle idéologie. Cette démarche doit être menée dans le respect des libertés individuelles, et économiques au sein de sociétés ouvertes. Il faut prendre garde à la tentation technocratique où l'être humain, l'économie ou la société seraient considérés sans prudence exclusivement comme de purs sous-systèmes ou robots obéissants. Il faut donc éviter de tomber dans la présomption fatale de « l’ingénierie sociale », l'expérimentation économique ou l'expérimentation humaine… A ce titre tant au plan sociologique qu’économique, la Systémique et le Constructivisme épistémologique semble donc être de bons candidats pour donner une solide base épistémologique aux défenseurs de nos libertés. 
 
Benjamin de Mesnard
 Épistémologie Systémique Constructivisme 

samedi 27 septembre 2014

V-12) Induction versus Déduction


V-12) Induction versus Déduction

L’induction n’a pas été réellement conceptualisée jusqu’à Karl Popper, qui s’y est intéressé pour mieux la mettre à jour et la combattre sur ses effets inconscients plus ou moins désastreux –selon lui- sur les travaux de beaucoup de scientifiques ou de philosophes. L’induction est similaire au mécanisme de production des mutations dans la théorie de l’évolution. Il est inutile d’en décortiquer ses mécanismes, tout ce qui compte pour Popper étant qu’elle existe pour permettre la production « brute » de nouvelles idées. Ainsi on connaît la petite histoire (vraie ou fausse) de la pomme de Newton ou encore celle de l’histoire de l’illumination de R. Poincaré lorsqu’il monta dans son omnibus. Ces idées peuvent, si elles se figent, donner lieu à des théories qui devront faire ensuite l’objet des procédures de tests rigoureuses décrites par K. Popper. L’induction, n’est qu’un mode, que l’on pourrait tout aussi bien qualifier d’aléatoire, de production d’idée candidates à de futures théories qui devront être construites (constructivisme), testée rigoureusement et rejetées si elles s’avèrent fausses, rien de plus. Certes… mais il est par contre essentiel de garder en mémoire que l’induction n’est pas naturelle et ne se produit que dans certains cadres favorables, des conditions décrites par G.B. Vico tel que l’art de la rhétorique, de la poésie, de la créativité, en bref de ce que l’on nommait les topiques ou encore au Moyen-Age les arts libéraux. Il faut en effet un « générateur » d’idée au chercheur dans une première phase, avant de passer à la deuxième, la déduction. Rejeter ainsi l’induction comme l’on fait K. Popper et avant lui Descartes au contraire de G.B. Vico, c’est prendre le risque de ne plus avoir de fournisseur de nouvelles théories explicatives à tester, à réfuter, par stérilisation des chercheurs.
A l’opposé, les tenants de la déduction soit prétendent -comme Descartes- établir par introspection le « point fixe » fondement de toute connaissance solide ; soit croient que seule l’observation des faits pourra permettre de déduire les lois et théories à en dégager, c’est l’autre manière de dire l’approche purement empiriste. Mais comme le fait observer très justement K. Popper (voir V-3 plus haut), pourquoi observer tel ou tel fait plutôt qu’un autre à moins d’avoir déjà une théorie plus ou moins implicite, et donc sous la forme d’une idée même mal formulée car venant de sa créativité personnelle ?

Apport de la Systémique : la Systémique utilise -tout comme explicité en (V-3)- au maximum les deux modes en gardant à l’esprit que ce sont des outils, utiles à différentes étapes de l’étude, et dont il ne s’agit pas de faire des idéologies mais des outils heuristiques pratiques. On pourra ainsi avoir recours alternativement, à plusieurs reprises, aux phases inductions d’une théorie puis déductions de ses impacts/conséquences/effets de bords, en boucles rétroactives prudentes comme le recommande Vico, car la fausse piste guette : « Tout cela vient de ce que le vrai est un, que le vraisemblable est multiple et que le faux est infini. » [VICO, GiamBattista, 1981, p 48] Il sera alors permis d’en tirer des possibilités de tests expérimentaux pour prouver ou non les erreurs ou insuffisances de cette théorie, en bref la réfuter ou non au sens poppérien du terme. C'est que l'on nomme couramment la méthode hypothético-déductive. Pour résumer cette pensée J.L. Le Moigne parle de transduction ou encore de méthode heuristique propre au Constructivisme épistémologique.

 SUITE du Blog : V-13) Finalisme versus Mécanisme

Benjamin de Mesnard
Épistémologie Systémique Constructivisme 

dimanche 29 mars 2009

III) Théories alliées à la Systémique (Constructivisme épistémologique)

III-2-13) Le Constructivisme épistémologique

Note : à ne pas confondre avec le Constructivisme Social qui a la « présomption fatale » de reconstruire la société à partir des idées décrétées Vraies de certains individus au pouvoir s'estimant plus intelligents que les autres…
Le Constructivisme épistémologique n’est pas à proprement parlé apparenté à la Systémique, il est plus approprié de dire qu’il en descend, qu’il l’utilise pour en tirer les leçons adéquates en terme d’épistémologie. Systémique et Constructivisme épistémologique sont en fait intimement liés tout comme matière et forme chez Aristote... Le terme est apparu dès 1928 chez L. von Bertalanffy – ce qui montre le lien étroit avec la Systémique - : « La loi [naturelle] n’appartient pas au domaine empirique, mais est une relation logique entre des constructions conceptuelles […] Seule la pensée constructive édifie les lois. ». [Bertalanffy L. von, « Kritische Theorie der Formbildung, Abhandlungen zur theoretischen Biologie, hrsg. v. Julius Schaxel, », Berlin, Gebrüder Borntraeger, 1928, pp. 91 et 94.]. Le concept a été développé au cours des années 90-2000 par J.L. Le Moigne. Il a été en quelque sorte co-développé avec E. Morin à travers ses ouvrages « La Méthode » en plusieurs tomes et autres œuvres et plus spécifiquement l’association MCX-APC (Modélisations Complexes – Association pour la Pensée Complexe). Le Constructivisme épistémologique soutien –comme le dit Bachelard- qu'en matière de philosophie de la connaissance, que « rien n’est donné, tout est construit ». Une théorie scientifique est relative à son époque, son paradigme (T. Kuhn), elle provient d’une construction de l’esprit qui tente d’expliquer une partie du réel. Ici encore il faut citer L. von Bertalanffy : « La perception est universellement humaine, déterminée par l’équipement psycho-physique de l’homme. La conceptualisation est liée à la culture parce qu’elle dépend des systèmes symboliques que nous appliquons, lesquels sont largement déterminés par des facteurs linguistiques, la structure du langage appliqué» [BERTALANFFY, L. von, An essay on the relativity of categories, Philosophy of Science, 1955, p 253]. Cette citation permet de noter au passage la réelle proximité intime du Constructivisme épistémologique avec la Systémique. Avec le Constructivisme on retrouve à nouveau cette idée de la Systémique de découpe arbitraire et à risques du réel, car venant d’un choix, d’un point de vue, du chercheur. Le Constructivisme est en opposition complète avec Descartes bien sûr et avec l’ensemble du Positivisme. Il s’attaque à l’ensemble de la complexité du réel et l’accepte, en refusant le découpage analytique cher à Descartes. Il utilise délibérément un ou des modèles dans le but de « comprendre » la chose étudiée et dans une démarche faisant appel à l'analogie, tout en étant conscient de l’interaction qui existe entre le chercheur et l’objet d’étude. En accord avec K. Popper, pour le Constructivisme épistémologique, il n’y a pas de Vérité absolue (avec « V » majuscule), mais des approches de vérités relatives, momentanées et en évolution. Ainsi, K. Popper écrit : « C’est toujours nous qui formulons les questions à poser à la nature ; c’est nous qui sans relâche essayons de poser ces questions de manière à obtenir un « oui » ou un « non » ferme. Car la nature ne donne de réponse que si on l’en presse. » [POPPER Karl, 1978, p 286]. Mais cette démarche ne relève pas du Relativisme, car ici la nature, le réel,  est bel et  bien reconnu comme existant réellement, la seule chose relative venant de nos capacités de compréhension limitées. A ce titre l’expérimentation scientifique, si chère à A. Comte qui la considère comme un référentiel absolu, est vue ici comme un outil parmi d’autres –tout comme par exemple les modèles- à prendre avec précaution, dont les résultats ne sont pas toujours (très rarement par exemple en sciences sociales) reproductibles. Ses résultats sont sujets à interprétations par le chercheur qui va donc devoir décider s’ils réfutent ou non sa théorie. Celui-ci rentre donc encore plus profondément alors en interaction avec la chose étudiée… La recherche devient projet (projective) : « tout est méthode, et le chemin se construit en marchant » (A. Machado).
Le Constructivisme épistémologique s’exprime sous trois facettes : le relationnel (ou « génétique ») de J. Piaget, le projectif (ou téléologique) de J.-L. Le Moigne et le radical (ou phénoménologique) de E. von Glazersfeld :
  • Le relationnel a donné lieu à de nombreux développements dans le monde de l’éducation. Il montre que l’enfant développe par constructions progressives ses capacités cognitives et qu’il redécouvre certains concepts (présence/absence, nombre, existence d’un objet même lorsqu’il est caché) « universels » par reconstruction spontanée. Le langage apparaît au même âge en s’appuyant sur ces mécanismes.Il est aussi nommé « épistémologie génétique » car il montre que l’enfant, dans sa construction progressive des concepts, ne part pas de rien, mais démarre d’une base qui semble être propre à l’être humain (et peut-être à d’autres espèces du moins en partie : primates, dauphins,…) : une base génétique, appelée les schèmes. Ce Constructivisme épistémologique rejoint par conséquent en apparence Kant et ses connaissances « à priori » mais ce n’est pas en réalité le cas car comme le dit L. von Bertalanffy (en parallèle de J. Piaget) : « chaque organisme découpe pour ainsi dire dans la masse des choses qui l’entourent et conformément aux dits organes un petit nombre de caractéristiques [Merkmale] auxquelles il réagit, qui forment dans leur ensemble son « milieu » [Umwelt] ; rien du reste ne lui étant accessible. Chaque animal est comme entouré d’une bulle de savon par son milieu, lequel porte en lui tout ce qui fait sa vie et est constitué des caractères qui lui sont accessibles […] La relation entre le milieu et l’organisation [psychobiologique] concerne aussi les « formes de l’intuition » que Kant tenait pour des principes immuables, « a priori » : l’espace et le temps. Le biologiste trouve qu’il n’y a pas d’espace ni de temps en soi, mais des espaces et temps qui dépendent de l’organisation. » [BERTALANFFY, L. von, Das Gefüge des Lebens, Leipzig, Teubner,1937, p 154-155]. Dans ce passage L. von Bertalanffy utilise d’ailleurs le mot « découpe (...) dans la masse des choses », mot clé qui revient très souvent dans cet essai...
  • Le projectif soutien que tout sujet est projet, qu’il a un but, un objectif. Il faut par conséquent l’étudier non en fonction de sa seule organisation (synchronique) mais aussi de son projet, de sa fonction en fonction de ses buts téléologiques (diachronique). Il s’agit en somme pour reprendre la Systémique de trouver ses équifinalités. Cette approche rejoint clairement Spinoza lorsqu’il explique à Blyenbergh en (III-2-2) ce que j’appelle ici la Forme spatio-temporelle, et ben sûr rejoint Aristote.
  • Le radical s’intéresse particulièrement à la construction de l’esprit (du chercheur), c’est le « rien n’est donné, tout est construit » de Bachelard. Sans être anti-Kantien par nature, il minimise le fait qu’il puisse exister quoi que ce soit « à priori » au départ, se rapprochant curieusement de la « tabula rasa » de Descartes… en voulant rejeter l’ontologisme. Cette position est quelque peu opposée aux deux autres, qui bien au contraire, soutiennent que si tout est construit, tout se construit à partir de quelque chose, et plus précisément de systèmes préexistants, structures originelles, structure cervicales innées issues de la sélection naturelle, culture, croyance conscientes ou inconscientes du chercheur, capacités intellectuelles différentes,…. Le radical rejette ainsi l'idée du « réel voilé » de B. d'Espagnat, non pas qu'il nie véritablement que le réel existe, mais plutôt qu'il part du principe que tout se passe « comme si » le réel n'existait pas. Tout -d'où le nom de radical- est alors construit dans l'esprit du chercheur, le réel tel qu'il le conçoit, son esprit et aussi l'action de son esprit sur le réel et réciproquement. Par conséquent ce Constructivisme est clairement relativiste et se rapproche -involontairement- d’une forme d’idéalisme. Cependant ce Constructivisme épistémologique ne peut en aucune manière se faire cataloguer comme plato-cartésien pour autant car il est clairement parent des deux précédents et est souvent cités par eux. L’apport de cette position est, par prudence toute vichienne, de s’abstenir de prendre un à priori ontologique sur le réel et de ne considérer l’existence de systèmes que dans les modèles créés par le chercheur sans en conclure que le modèle reflète si fidèlement la réalité : c’est « la carte n’est pas le territoire » de A. Korzybsky. En somme le Constructivisme radical est une théorie du savoir et non de l’être.
L’ensemble des Constructivismes se retrouvent dans le fait que le but est non pas d’étudier le réel donné indépendant de l’observateur comme le veut le positivisme, c’est le dualisme cartésien, mais de construire des modèles dont on tirera -prudemment- des simulations au cours d’un projet, d’une conception, d’un ingénium pro actif. Les résultats de ces simulations devront bien sûr alors être testées sur le réel par des expériences afin de vérifier la conformité de ces résultats (prédictions) avec le monde réel selon la méthode de conjectures et réfutations de K. Popper.

Comme on le voit ce « constructivisme » n'a rien à voir avec le  constructivisme social dénoncé par F. Hayek. Celui de Hayek désigne la volonté -présomption fatale !-, de recréer /reconstruire la société en décrétant qu'une ou quelques idées doivent impérativement s'imposer à tous. Par exemple : une race supérieure aux autres, ou bien que tout les citoyens doivent être absolument égaux, ou encore qu'une "Classe" doit vaincre au bout de l'Histoire (avec un "H"). C'est la route de la servitude, souvent en apparence pavée de soit-disant bon sentiments...

SUITE du Blog : Théories alliées à la Systémique (F. Hayek)

Benjamin de Mesnard

samedi 4 octobre 2008

II) Présentation détaillée de la Systémique (5/8)

II-4) Les caractéristiques d’un système :
II-4-1) Stationnarité- Stabilité:
a) Ouvert/Fermé :

Un système se trouve évoluer au milieu d’un environnement qui lui est extérieur. Entre le milieu intérieur du système et cet environnement, il peut se produire des échanges de matières, d’énergies ou d’informations sous diverses formes et sous divers volume ou intensité. Un système sera dit fermé s’il n’y a aucun échange avec son milieu (les Monades « à volets clos » de Leibniz). Un système sera dit ouvert s’il existe des échanges avec son environnement. C’est en fait le cas de tous systèmes dignes de ce nom, en effet un système fermé est soumis à la loi de l’entropie et se dégrade plus ou moins rapidement vers un désordre de plus en plus prononcé pour être amené à disparaître tôt ou tard.

b) État d’Équilibre :

État dans lequel les entrées et sorties d’un système sont constantes dans le temps. Remarque : seul un système fermé peut se trouver dans un état d’équilibre vrai. Un système ouvert pourra se trouver d’une manière transitoire en équilibre, on parle alors d’équilibre dynamique. Une toupie à l’arrêt sera en équilibre vrai – ou équilibre stable –, une toupie en rotation sera en équilibre dynamique. En fait, tout système ouvert ne pourra se trouver en équilibre dynamique que par le jeu de flux de matières, énergies ou informations entrant ou sortant en permanence.

c) Domaine de stabilité :

Si, avec d’autres entrées et sorties, l’état du système tend dans le temps vers un état d’équilibre on dit que le système est stable. Si ces conditions sont satisfaites seulement pour certaines valeurs initiales, on parle de domaine de sensibilité aux conditions initiales. La théorie montre que, dans ce cas, le système doit comporter au moins une boucle de rétroaction, il est régulé.
Remarque : si un système ouvert ne peut être en état d’équilibre, il peut cependant être stable pourvu que sa régulation soit suffisamment efficace pour le faire tendre vers cet état d’équilibre. Certains parlent alors d’équilibre dynamique (voir b ci-dessus).

d) Ergodicité :

Par extension, tous les processus systémiques devenant indépendants au cours du temps de l’état initial du système, sont qualifiés d’ergodique. De tels systèmes obéissent alors à une loi de développement primant sur l’état initial, où les entrées perturbatrices transitoires (du moins dans certaines limites) seront résorbées ou absorbées par le système qui réussira à revenir alors à son « régime » précédent. On parle ainsi de « domaine d’ergodicité » pour une certaine plage ou série d’états initiaux, ou de perturbations amenant malgré tout toujours au même état d’équilibre dynamique. D’autres états initiaux amenant une évolution différente par une loi de développement différente n’appartiennent plus alors à ce domaine d’ergodicité. Enfin, il faut citer la durée d’ergodicité, qui peut être en effet transitoire, ainsi que la vitesse de retour à la « norme » du système après une perturbation. Il faut aussi signaler qu’un système peut posséder plusieurs domaines d’ergodicité. Un exemple de domaine d’ergodicité peut être trouvé dans la croissance d’un jeune être vivant. Une maladie ralentira la croissance du jeune être vivant, mais les courbes de tailles et de poids repartirons après celle-ci jusqu’au rattrapage du retard pris. Le retard de croissance est ainsi compensé car la maladie, la perturbation, restait en somme à l’intérieur du « domaine d’ergodicité » du jeune. Si, par contre, la maladie est trop grave ou trop longue, le rattrapage après guérison ne sera que partiel, un retard permanent résiduel subsistant à l’âge adulte.
Exemple d’un système à 3 domaines d’ergodicité :
e) Variété (requise) :

Concept clé de la Systémique inventé par W. Ross Ashby, et qui va de paire avec l'homéostasie, équivalente à l'équifinalité de la systémique. La Variété requise d’un système est le nombre d’états différents que peut présenter ce système. Elle se mesure comme l’entropie et l’information, en nombre de bits. Soit N le nombre d’états possibles d’un système S, sa variété V est : Vs = log2 N. Ainsi un système présentant 100 états possibles aura une variété Vs = log2 100, soit V = 6,64. Plus le nombre d’états possibles augmente, plus la variété du système augmentera, donnant une mesure exacte de l’information contenue dans celui-ci. Au contraire, plus l’entropie augmente, plus l’information diminue, et plus le nombre d’états possibles pour le système diminuera et, avec, la variété du système. La caractéristique de variété d’un système fourni un véritable outil de mesure de la complexité de celui-ci.
A. Kolmogorov a introduit une mesure de la complexité d’un système en mesurant celle de sa plus courte description. Introduite par l’informatique ceci revient à mesurer la longueur du programme capable de générer le système étudié, c’est à dire le nombre de bits de ce programme. La mesure de la complexité d’un système s sera notée K(s). Ces propriétés ont permis d’écrire les programmes de compression de données en informatique. La plupart des informations enregistrées présentent des redondances ou des répétitions, autrement dit la valeur K(s) des programmes les décrivant est nettement plus faible que leur longueur brute. Ainsi lorsqu’on écrit « cent 0 » cela est plus court à écrire que l’écriture brute de cent fois le chiffre « 0 » et cela sans perte de sens, d’information. Dans la pratique le calcul de K(s) est le plus souvent approximatif et, dans certain cas, impossible, notamment pour les systèmes très complexes, et donc où K(s) est très élevé. Léonid Levin a complété A. Kolmogorov par la mesure m(s) de la probabilité d’occurrence d’un système (programme) en fonction de K(s). L. Levin a montré que plus K(s) est élevé, plus la probabilité m(s) de trouver le système correspondant est faible. Ceci est conforme à l’intuition : les systèmes simples sont plus nombreux que les systèmes complexes. L. Levin explique par effet de bord l’attirance pour les approches réductionnistes : la puissance de l’esprit humain étant limitée, nous tentons de découper les systèmes complexes en plus petits systèmes plus probables, avec un K(s) plus faible, afin de pouvoir les comprendre. Elle justifie par ailleurs longtemps après G. d’Occam, son fameux rasoir : le rasoir d’Occam. Entre deux hypothèses, l’une complexe et l’autre moins, le rasoir d’Occam choisi celle la plus simple. Cette approche empirique, pragmatique, peut se justifier car l’hypothèse la moins complexe, donc avec un K(s) plus faible, présentera une probabilité m(s) plus élevée. Cela ne permet en rien de d’assurer la justesse de celle-ci, mais en l’étudiant en priorité le chercheur tend à accélérer ses travaux car c’est elle qui, statistiquement, sera la plus probable. On ici en quelque sorte sur une version faible du cartésianisme, considéré comme simple outils, étape du travail du scientifique, outils qu’il peut choisir d’utiliser ou non, mais non référence absolue de ce scientifique : c’est l’utilisation de la réduction comme outils, sans être réductionniste.

f) Régulation :

Assurée par les rétroactions qui ont lieu à l’intérieur du système ainsi qu’entre celui-ci et l’extérieur, l’environnement (concept très important, souvent incompris en économie). La régulation exprime quelque fois un pilotage du système par un autre système appelé système pilote, en fonction d’un but prédéfini comme on l’observe dans des systèmes artificiels intentionnels ou encore naturels. Exemple : régulation de la température du corps en fonction du but qui consiste à éviter de dépasser une plage de températures fatales à l’organisme. Cette régulation est alors ergodique. La constatation d’une régulation amène au débat sur la finalité du système, débat qui ne pose aucun problème pour les systèmes artificiels intentionnels (machines), mais qui fait problème pour beaucoup de scientifiques quand il s’agit des systèmes in-intentionnels (non intentionnels) naturels comme les êtres vivants, ou artificiels comme l'économie.
 Une précision sur laquelle nous reviendrons : on voit souvent des débats et oppositions violents en économie et en politique entre régulation et auto-régulation, le premier soutenu plutôt par des positions dites de gauche ou de droite (socialistes, marxistes ou toutes politiques dites « interventionnistes »), et le deuxième par des positions dites libérales ou encore anarchistes. On comprend l'origine de ces débats : un système, naturel ou artificiel, doit être régulé d'une manière ou d'une autre, sinon il courre à sa disparition pure et simple. Il doit donc être muni d'un systèmes de pilotages (central, et poussé à l'extrême le centralisme marxiste) ou de plusieurs répartis (décentralisation, subsidiarité) ou encore vu comme auto-régulé. Ces débats entre auto-régulation ou non vient donc de positions idéologiques très théoriques créées par la non-compréhension de ce besoin impératif de pilotage, et de la manière qu'il a de se réaliser. Si on croit que la régulation ne peut se faire que par un système de niveau supérieur, c’est l’approche transcendante ; ou bien si on pense qu'elle pourra être réalisée de l'intérieur et par le système lui-même, on parlera alors d’auto-régulation, c’est l’approche immanente, question centrale de la Systémique, on y reviendra.

A ce stade, il y a deux manière d'aborder la question : simple étude d'un système ou volonté d'action sur un système :
1. Étude : comme un chercheur étudiant un système, ce qui prime alors est la nécessité de prendre conscience qu'il y a une phase de découpe arbitraire (et à risques) du système à étudier, et aussi savoir quel est le point de vue adopté par le chercheur dans la modélisation qu'il construira.. Selon que l'on mettra ou non le (ou les) système(s) de pilotage(s) dans ou en dehors du système étudié, il sera alors de facto vu comme auto-régulé, ou bien régulé de l'extérieur. Mais il faut bien comprendre ici que l'on est plutôt face à une artefact de l'approche adoptée plutôt que face à un vrai débat. Ce sera le cas par exemple de la biologie ou de la médecine, où tous ces systèmes sont bien évidemment vus comme auto-régulés aux yeux du biologiste ou du médecin... par définition externe à l'organisme vivant étudié.
2. Action : trois cas possibles avec un médecin, un ingénieur ou un dirigeant politique. Un médecin ne pourra au mieux que tenter d'influencer un système à l'évidence auto-régulé, il n'y aura aucun débat sur ce point. Un ingénieur devra prendre des décisions sur la manière de piloter la machine, le système artificiel qu'il est en train de concevoir. Il pourra répartir ces fonctions de pilotage dans plusieurs systèmes, ou le centraliser. Mais il pourra toujours tester les résultats et choisir « tranquillement » celui qui lui semble le plus efficace, et ce sans l'intervention d'aucune idéologie. Un dirigeant politique par contre se trouve devant une société ou une économie, systèmes artificiels certes, mais non créés intentionnellement, non « délibérément construits », comme les voitures ou avions, de l'ingénieur. La tentation est alors grande (au risque d'être accusé d'inaction !) de considérer ces systèmes comme artificiels à la mode des machines conçues par un ingénieur, le débat s'emballe vite et se perd dans les idéologies. C'est la tentation dite planiste et scientiste par F. Hayek, c'est « La Présomption Fatale » [HAYEK F., 1988]. A cet égard, et comme souvent dans cet essai, n'oublions pas les préceptes de prudence et de juste milieu de J.B. Vico, et en gardant à l'esprit les phénomènes de rationalité limitée de H.A. Simon : la nature et les systèmes artificiels inintentionnels comme les société ou l'économie sont hyper-complexe, beaucoup plus que ce que nous imaginons, et nos esprits et moyens de connaissances limités. Nous y reviendrons.

g) Équifinalité ( ou homéostasie)

Avec l’ergodicité, nous avons vu qu’un système ouvert peut atteindre un certain état stationnaire, car alors le système ne variant plus, peut sembler indifférent au temps, et cela quel que soit l’état de départ et le chemin suivi pour y parvenir (dans le domaine d’ergodicité). Il est démontré, par contre, qu’un système fermé ne peut remplir ces conditions d’ergodicité, la deuxième loi de la thermodynamique s’appliquant alors, le système se désagrège continûment vers une entropie (désordre) maximale, équilibre véritable mais non état stationnaire. Une image de cet état d’équilibre sur entropie maximum est chez un être vivant la mort, état qui n’a rien n’à voir avec l’état ergodique dynamique de ce même être lorsqu’il était vivant. L. Von Bertalanffy [BERTALANFY, 1955, p76] et J. Eugène [EUGENE, Jacques, 1981, p67] qualifient d’équifinalité ce phénomène. Le seul cas où une finalité est admise clairement est celui de systèmes artificiels intentionnels (machines de main d’homme). Il s’avère qu’il est possible de donner une définition physique d’un sujet qui est considéré par les cartésiano-positivistes comme relevant du finalisme métaphysique ou preuve du vitalisme comme on disait au XIX° siècle. On peut citer par exemple “ l’entéléchie ”, sorte de démon (un peu comme celui de Maxwell) qui s’arrangeait pour que l’être étudié retrouve un état final prédestiné. Autre exemple, l’Essence de l’œuf est de devenir poule, explication n’expliquant rien en réalité puisque simplement tautologique. En effet dire que le propre (l’essence) de la pierre est d’aller vers le bas n’explique ni le pourquoi de la chute ni la loi suivie par celle-ci, ni même n’apporte le moindre éclaircissement sur le sujet puisque la même pierre ne tombera plus lorsqu’elle se trouvera dans un autre environnement (en état d’apesanteur dans un vaisseau spatial par exemple). Par contre, comme on le verra plus tard, le concept d’Essence manié avec prudence et rigueur peut être recadré et réutilisé par la Systémique. Enfin le concept de finalité –même pour les systèmes naturels ou les êtres vivants- peut (doit ?) être intégré clairement pour la Systémique, (voir Constructivisme épistémologique en (III-2-13)) dans une optique nommée projective : le système naturel démontrant une ergodicité peut être pensé comme poursuivant un projet. Cette approche est projective pour le Constructivisme, et revient à accepter délibérément le caractère finaliste de cet être vivant. A nouveau la Systémique rejoint Aristote sur ce point. La finalité du système est alors étudiée en tant que telle, sans fard et sans complexe positiviste, quitte à considérer cette approche comme juste un outil utile et pratique. Pour être complet, il faut préciser ici qu’il existe deux sortes de Constructivismes (qui complètent la Systémique) :
· l’ontologique qui voit des systèmes finalisés poursuivant des projets dans la nature, et
· le modélisateur qui ne voit ces systèmes finalisés projectifs que dans les modèles construits par le chercheur, sans préjuger de leur existence dans la nature, le réel. Dans ce cas tout ce qui a été dit ci-dessus doit être décliné sur les modèles construits à propos de l’objet naturel étudié.

Remarque :
Equifinalité et ergodicité sont liés, comme l’explicite H. Zwirn : « Quels que soient les moyens théoriques et techniques dont on disposera, quel que soit le temps qu’on acceptera de passer sur une prédiction, il existera toujours un horizon temporel infranchissable de nos prédictions. […] Le phénomène de sensibilité aux conditions initiales nous dit que l’erreur initiale s’amplifie exponentiellement avec le temps. Il en résulte que plus les prédictions qu’on souhaite obtenir sont lointaines, plus il est nécessaire d’augmenter la précision avec laquelle on se donne les conditions initiales. » (H. Zwirn, « Les limites de la connaissance », Ed. Odile Jacob). D’un côté il y a un horizon de la prédiction, contrairement à ce que pensait Laplace. De l’autre côté, la croyance qu’en augmentant indéfiniment et jusqu’à son extrême la précision de la mesure, on augmente proportionnellement l’horizon de la prévision est inexacte dans la mesure où :
  • d’une part on se heurte –avant même d'atteindre les niveaux de l’incertitude quantique- au bruit ambiant de la mesure, à la précision de l’instrument de mesure, et à la possibilité de reproduire à l’identique deux fois les mêmes conditions de départ (du moins avec la même précision).
  • d’autre part cela revient à ignorer précisément les phénomènes d’équifinalités, où s’il on peut dire, il est possible de prendre le problème par l’autre bout en renonçant à améliorer la précision des conditions de départ. Au contraire, il suffit alors de prendre en considération les plages d’équilibres dynamiques ponctués « finales » du système (ses différentes équifinalités), pour remonter à leurs domaines d’ergodicités correspondantes aux conditions de départs. C’est ce que l’on appelle les attracteurs étranges, où pour certains domaines d’ergodicité des conditions de départ on arrive à certains domaines d’équilibres finaux « comme si » ceux attiraient ceux-là. A un certain nombre de domaines d’ergodicités, correspond certains domaines d’équilibres en équifinalité. Inversement en remontant depuis un domaine d’équifinalité particulier (un domaine de stabilisation du système au bout d’un certain temps) on peut remonter à un certain nombre de domaines de conditions initiales correspondantes dites ergodiques.
SUITE du Blog :  Les caractéristiques d'un système (2)
Benjamin de Mesnard