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mercredi 26 septembre 2018

V-17) Gauche versus Droite


Les débats Gauche-Droite mobilise l'énergie de nos politiques et journalistes. Or il est possible de voir de nombreuses incohérences et contradictions des positions à l'intérieur d'un même parti, ou à l'inverse de curieuses similitudes entre partis pourtant théoriquement opposés. De même un certain nombre d’idées ou modes de pensées ont « circulé » d’un côté à l’autre au cours de l’histoire. On peut tenter cependant de cerner par exemple ce qui défini « être de gauche », le symétrique étant supposé être « de droite » comme le fait Alain de Benoît (classé très à droite…) par exemple dans son papier « L'effacement du clivage gauche-droite » s'est interrogé sur ces incohérences. Prenons comme définition, sa méthode consistant à définir la gauche, la droite étant son opposé : « Sur le plan politique, à partir de 1920, être de gauche (…) C’est être socialiste ou communiste. La question sociale pose alors avant tout le problème du rôle de l’État dans la régulation de l’activité économique et l’éventuelle redistribution des richesses. Partagée entre réformistes et révolutionnaires, la gauche s’identifie au refus de l’économie de marché, voire de la propriété privée, et en tient pour une économie planifiée, centralisée et contrôlée par l’État. Son objectif est d’assurer la promotion ou l’émancipation collective par le moyen d’institutions économiques et sociales réalisant une sorte de contractualité générale à travers la collectivisation des moyens de production. La gauche pose par ailleurs des revendications de nature essentiellement quantitatives et matérielles, ce qui revient à dire qu’elle dénonce les méthodes du capitalisme (l’exploitation du travail et les inégalités dans la répartition des richesses) sans en contester l’objectif central (parvenir à développer toujours plus la production).» [DE BENOIT Alain, p 4, L'effacement du clivage gauche-droite]. 
On trouve par ailleurs beaucoup d’essais de définition de ce clivage. Mais à l’analyse il apparaît rapidement qu’il n’est pas possible d’établir un simple clivage droite-gauche. Les choses sont beaucoup plus complexe que cela et il faut aller plus loin en séparant la gauche sociale-démocrate du communisme d’une part, la droite démocrate conservatrice du nazisme d’autre part. Inversement, il est possible de rapprocher communisme et nazisme dans leur haine commune de la démocratie, leur totalitarisme,  leur Historicisme soutenant l’existence de lois dans l’Histoire -lois connues du Guide/Petit Père du Peuple seul-, et leur millénarisme avec une Histoire dirigée vers une victoire grandiose d’une « Race » ou d’une « Classe ». . En effet, les Socialismes nationaux tels qu’ils sont apparus en Allemagne (sous le vocable « nazisme ») et en Italie sont classés à l’extrême droite alors qu’ils sont d’authentiques socialismes, idéologie classée à gauche, lire sur ce sujet par exemple [MALBRANQUE Benoît, Le Socialisme en Chemise Brune]. On peut également citer sur ce point Simone Weil : « Un autre exemple d’absurdité sanglante, c’est l’opposition entre fascisme et communisme. Le fait que cette opposition détermine aujourd’hui pour nous une double menace de guerre civile et de guerre mondiale est peut-être le symptôme de carence intellectuelle la plus grave parmi tous ceux que nous pouvons constater autour de nous. Car si on examine le sens qu’ont aujourd’hui ces deux termes, on trouve deux conceptions politiques et sociales presque identiques. De part et d’autre, c’est la mainmise de l’État sur presque toutes les formes de vie individuelle et sociale ; la même militarisation forcenée ; la même unanimité artificielle, obtenue par la contrainte, au profit d’un parti unique qui se confond avec l’État et se définit par cette confusion ; le même régime de servage imposé par l’État aux masses laborieuses à la place du salariat classique. Il n’y a pas deux nations dont la structure soit la plus semblable que l’Allemagne et la Russie, qui se menacent mutuellement d’une croisade internationale et feignent chacune de prendre l’autre pour la Bête de l’Apocalypse. C’est pourquoi on peut affirmer sans crainte que l’opposition entre fascisme et communisme n’a rigoureusement aucun sens. Aussi la victoire du fascisme ne peut elle se définir que par l’extermination des communistes, et la victoire du communisme que par l’extermination des fascistes. Il va de soit que, dans ces conditions,l’antifascisme et l’anticommunisme sont eux aussi dépourvus de sens. […] Pour cette belle cause, chacun, dans les deux camps, est résigné d’avance à mourir, et surtout à tuer. ». [WEIL, Simone, Œuvres, « Ne recommençons pas la guerre de Troie » en 1937, Ed. Quarto Gallimard, p 478]. En passant, on peut noter que l'URSS s'est dépêchée de trouver un nouvel ennemi extérieur après 1945 une fois le fascisme vaincu...
Le tableau suivant tente d’établir sujet par sujet les positions de chacun et il montre bien les nombreux points communs entre Communisme et Socialisme national finalement assez indiscernables…. Enfin ce tableau montre également que les Libéraux ne peuvent être rapprochés d’aucune autre catégorie, y compris les conservateurs, auxquels la gauche tente souvent de les assimiler. Dans ce tableau on s’aperçoit par contre que les anarchistes sont finalement proches des libéraux partageant la même méfiance à l’égard des États, de leurs dirigeants.


(1) : Sauf pour les anarchistes collectivistes (ex : Proudhon) pour qui un travailleur doit produire en étant rémunéré selon ses besoins et non la qualité de travail ou le volume de sa production. Cette position est paradoxale car qui peut décider et définir les besoins de chacun, sinon un État assez fort pour imposer ses décisions et une redistribution massive ? On arrive alors à des économies dites communistes en régime de capitalisme d’État à l’opposé de l’anarchisme où l’État est supposé disparu. Le risque étant alors double : décourager le travailleur produisant beaucoup mais qui s’est vu assigner des besoins décrétés faibles par les individus dirigeant cet État, et l’accaparement par ces mêmes individus des richesses produites au détriment de ce travailleur, comme on l’a vu en URSS ou aujourd’hui au Venezuela. On a alors la raison essentielle de l’écroulement économique de ces pays.
(2) : Les deux systèmes reposent sur une économie totalement planifiée avec une légère subtilité : les communistes nationalisent les entreprises pour les contrôler avec une gestion centralisée bureaucratique, là où les nazis recourraient à la bureaucratie et la terreur sans avoir besoin de les nationaliser, mais pour le même résultat.
(3) : Le racisme est intrinsèque à l’idéologie socialiste nationale avec le mythe de la race supérieur. Il est réel également chez les communistes sous deux formes : le racisme de classe condamnant à mort les « bourgeois » mais aussi le racisme contre divers groupes comme les juifs persécutés en URSS ou les Mongols et Ouïghours en Chine communiste. Marx lui-même a écrit des propos très anti-sémites dans son article « Sur la Question Juive ».
(4) : les Conservateurs sont sur ce point eux-aussi assez paradoxaux. Ils sont pour l’économie de libre marché avec priorité à l’auto-organisation immanente via la libre entreprise, les libertés économiques , la responsabilité individuelle etc. Mais sur l’ensemble des questions de société et culturelles ils croient en des religions monothéistes où le monde est dirigé par un Dieu unique tout-puissant dans une organisation par conséquent centralisée et transcendante… !

           V-17-1) Les marqueurs de gauche :

Le Marxisme est à la base de l’idéologie de gauche, en apportant des concepts « nouveaux » (au XIX° siècle…) de lutte des classes, d’infrastructures, de matérialisme (voir V-1), et de dialectique -au sens du matérialisme dialectique qui n'a rien à voir avec la dialectique aristotélicienne- (Voir V-16). Cette "philosophie" est nécessairement basée sur la volonté inflexible de reconstruire non seulement le monde mais surtout l’homme lui-même en un sur-monde et un sur-homme, (« l'Homme total » chez Marx) seule référence, ou plus exactement auto-référence absolue. En effet dès lors que l'on vise à une fin de l'Histoire où la « Classe Ouvrière», le « Prolétariat » s'imposent seuls en régime de dictature, cela exige la disparition physique des « autres ». Cette « Classe Ouvrière » est jugée intrinsèquement bonne contrairement aux autres « Classes », et devra être guidée par des « Grands Timoniers » éclairés. On retrouve donc bien ici l’approche de Platon et de Rousseau où le problème se résume à mettre les « bons » dirigeants au pouvoir. Mais comme dit Lord Acton, dans « Letters of Lord Acton to Mary Gladstone », Ed. H. Paul, Londres, p.73 : « Le danger n'est pas qu'une classe soit inapte à gouverner. Aucune classe n'est apte à gouverner. La loi de liberté vise à abolir le règne de classes sur d'autres classes, de croyances sur d'autres croyances, de races sur d'autres races ». K. Popper ne dit pas autre chose : « on a dit aux marxistes de penser en terme non pas d’institutions mais de classes, cependant les Classes ne gouvernent pas, pas plus que les nations. Les gouvernants sont toujours certaines personnes. Et, quelque soit la classe à laquelle ils ont pu appartenir, quand ils gouvernent, ils appartiennent à la Classe des gouvernants. » [POPPER K., « Conjecture and Refutation », Ed. Routeledge, 1963, p 464]. Remarque : cette réflexion s’applique tout autant bien sûr au socialisme national dit « de droite », la « Race » par exemple remplaçant alors la « Classe », et rejoint ce que dit Simone Weil trente ans plus tôt... En somme, comme déjà vu, ces « classes d’objet » en matière de politique avec les « Classes » en luttes dialectiques entre elles chez Marx, le « Peuple », le « Parti », la « Patrie », la « Nation »,  la « Race », etc... ne sont rien d’autre que des personnalisations d’idées qui n’existent pas dont le but est d’exciter les sentiments des gens pour mieux les manipuler et leur faire oublier que derrière cela se trouve un petit nombre d’individus avides de pouvoir. La caricature en matière de personnalisation est par exemple Marianne, séduisante jeune femme censée incarner à la « République », la « Patrie », ou la « Nation ». Que l’on comprenne bien : il ne s’agit pas de mettre l’homme au centre comme le souhaite les humanistes, mais d’aligner l’homme normal sur le modèle de « l’Homme total » marxiste (à mettre en symétrie avec « l’Homme aryen » du nazisme), modèle absolu et parfait auquel tous les hommes devraient ressembler, et malheur à ceux qui n'y parviennent pas... Il faut que l’homme corresponde au modèle parfait prédéfini, élément d’un collectif (système donc...) supérieur. Le problème ici est qu’il ne s’agit plus de penser, comme le fait la Systémique, ce modèle comme un modèle d’étude qui doit être raisonnablement fidèle à la réalité dans les limites des objectifs de l’étude –et refléter autant que possible la réalité en faisant évoluer le modèle après les tests nécessaires-, mais de faire l’inverse : avec le Marxisme (et son symétrique le Nazisme), c’est la réalité qui doit correspondre au modèle. Cela est l’approche opposée à la Systémique. Par ailleurs, le Marxisme a été rangé dans la catégorie des "philosophies" matérialistes, anti-idéalistes (ie Nazisme idéaliste, anti-matérialiste), il évoque une structuration (ou plus exactement des infrastructures et des superstructures) de l’histoire et surtout une fin transfigurée de l'Histoire (avec un « H ») dans une vision millénariste propre à beaucoup de philosophies idéalistes (dont le Nazisme) d'inspiration hégélienne. Cela n’est pas étonnant car philosophies idéalistes et matérialistes, en dépit de leurs nombreuses oppositions officielles violentes affichées, sont en fait les deux côtés des même présupposés et principes de bases, déjà conceptualisés par Platon : Idées Immuables et Matière séparées. Pour les uns, comme chez Platon, l’Idée prime, pour les autres comme chez Marx la Matière prime, comme vu en (V-1). Ou encore avec Descartes l’Idée prime tout en la mettant en symétrie avec la Matière via l’Étendue et sa fameuse glande pinéale.
Un autre point intéressant à souligner avec le Marxisme, c’est l’idée de centralisme. Ce thème de centralisme bien que reprenant les idées de pilotage et de contrôle du système est contraire à la Systémique de par son thème même de centralisation en mode unique de pilotage. En effet un système -comme déjà vu- un tant soit peu important en taille/complexité -ici une cellule vivante peut être considérée comme « très importante et très complexe » !- sera stratifié en niveaux enchevêtres composés chacun de plusieurs systèmes, qui sont autant de sous-systèmes des systèmes du niveau supérieur... La Systémique insiste bien sur l’idée que chacun des systèmes d’un niveau a sa propre fonction de pilotage « locale », recevant en input des informations des autres systèmes ou des ordres des niveaux dits supérieurs. Par ailleurs, chaque sous-système est le plus souvent en inter-relations avec les autres sous-systèmes de son niveau, voir d’autres niveaux, ou bien même en réseaux de relations complexes. C’est certainement cette incompréhension fondamentale de la complexité -car profondément contraire à l’idée du Marxisme- qui explique l’échec final du « système communiste ». Les cybernéticiens modernes, la robotique de dernière génération ou encore les systèmes de reconnaissances de formes par exemples utilisent au maximum ces fonctions de pilotages locales ou décentralisées, ce que l'Union Européenne qualifierait de principe de subsidiarité. En passant il est intéressant de noter la violente opposition de Staline à la Cybernétique et au Darwinisme, opposition logique au vu de ce que nous venons de voir, opposition qu’ont chèrement payé les scientifiques de ces domaines en URSS.

           V-17-2)  Les marqueurs de droite :

Sous ce qualificatif, on trouve pèle-mêle toutes sortes d’idées très différentes voire opposées. Certaines de celles-ci ont d’ailleurs «circulé » entre la droite et la gauche :

                          a) Capitalisme :
 
Terme inventé par deux éminentes figures de la... gauche, A. Blanqui et Proudhon, ce dernier écrira en 1857 : « Capitalisme, régime économique et social dans lequel les capitaux, source de revenu, n’appartiennent pas en général à ceux qui les mettent en œuvre par leur propre travail ». Il est également associé à l’idée d’accumulation du capital, sous-entendu dans les mains des capitalistes, aussi souvent qualifiés du terme peu flatteur « d’accapareurs ». Ce terme de capitalisme a ensuite été surtout employé à gauche comme un épouvantail expliquant la plupart des malheurs du monde. Rappel : avec le terme « LE » capitalisme on retrouve une fois de plus cette méthode souvent citée de personnalisation métaphysique tendant à faire croire que « LE » capitalisme est un individu unique existant réellement, foncièrement mauvais et complotant pour faire le malheur du monde. Ce terme très flou recouvre au moins quatre cas de figures très différents :
  • Le capitalisme de libre entreprise ou de libre marché, terminologie finalement adoptée par les libéraux, notamment Ayn Rand, pour le revendiquer malgré la longue connotation négative appliquée par les socialistes au terme « capitalisme ». C’est le capitalisme au sens classique du terme, où un individu ayant mis de l’argent de côté en limitant sa consommation au jour le jour, décide librement d’investir celui-ci dans le projet d’entreprise d’un autre individu. L’entrepreneur de son côté pourra avoir la possibilité de mener son projet librement tout en rendant des comptes et en discutant avec ses investisseurs. Cet investisseur connaît bien cette entreprise, son environnement (ses marchés) et ses produits ou services ainsi que son entrepreneur, il y investit ses économies non pas pour quelques dizaines de microsecondes comme sur les places boursières actuelles, mais pour de longues années et en s’intéressant de près jour après jour à cette entreprise. On note en passant que ce capitalisme là, conforme à la définition initiale de Blanqui et Proudhon, repose sur la propriété privée. Il n'existe pratiquement plus aujourd'hui, sauf peut-être avec quelques personnes qualifiées alors de  "business angels" investissant dans quelques start-up. Même lorsqu'il s'agit d'investir dans une TPE ou dans l'affaire d'une profession libérale (boulanger, charcutier,...) les banques n'investissent pas leurs économies personnelles, mais celles des autres, impersonnelles et anonymes. Elles ne font à ces petits entrepreneurs que des prêts sur des grilles d'analyses préétablies sans s'intéresser au projet de l'entrepreneur. Dans ce cas-là, on est déjà plus dans le capitalisme de le libre marché.  mais il peut exister des capitalismes sans marchés comme on va le voir ci-dessous. Avec le capitalisme de libre marché on est typiquement dans un système ouvert (la société ouverte chère à K. Popper) où l’ensemble des flux d’informations (les prix), des flux de biens ou de services -et par conséquents des hommes- doivent pouvoir circuler pour permettre l’équilibrage de l’offre et de la demande sans perturbation notamment étatique comme dans le capitalisme de connivence vu plus loin. Son corollaire sont les libertés individuelles, dont la libre entreprise et le libre établissement. Le moteur de ce capitalisme vient de citoyens libres menant leurs projets d’entreprises diverses et variées et souhaitant voir d’autres citoyens investir -et donc accumuler leurs capitaux- dans leurs projets. Ces projets réussissent ou non, mais ont toujours en ligne de mire les besoins, la demande d’autres citoyens, car eux-mêmes sont libres d’acheter ou non les produits ou services de ces entreprises. C’est la « loi » de l’offre et de la demande, « loi » qui comme on l’a vu dans cet essai n’en est pas une car l’économie ne peut pas être une science, elle ne respecte pas le critère de démarcation de K. Popper, elle n’est pas réfutable. Contrairement aux autres capitalismes décrits ci-dessous, ce capitalisme là est le capitalisme historique, pratiqué bien avant la révolution industrielle et Proudhon. C'est le seul « vrai » capitalisme, celui qui fonctionne, et a permis à des milliards d'être humains de sortir de la misère, de l'analphabétisme et d'allonger l'espérance de vie car reposant sur une base saine  respectant les principes systémiques d'auto-organisation immanente en équilibre dynamique adaptatif.
  • Le capitalisme du trading haute fréquence, comme on vient de le voir les "business angels" étant très peu nombreux, le « vrai » capitalisme s'est trouvé remplacé progressivement au XX° siècle par une gestion boursière pilotée par les ordinateurs des grandes banques ou assurances. Ce sont des Intelligences Artificielles (I.A.) avec des algorithmes investissant sur la base de courbes mathématiques sans connaître les projets des entreprises, ces ordinateurs achètent et vendent en l'espace de quelques dizaines de microsecondes des actions. On est ici à l'opposé complet du capitalisme au sens proudhonien, il se rapproche plus du poker joué par des I.A. d'ordinateurs entre eux, que tout autre chose. Nul besoin de libertés individuelles, seul le besoin de libre circulation des ordres de bourses des I.A. des opérateurs virtuels bancaires est nécessaire... On est ici clairement sur un dévoiement, une falsification, du capitalisme aux conséquences délétères...
  • Le capitalisme de connivence, étudiée sous le nom de « Théorie des Choix Publics » [BUTLER Eamonn, Théorie des choix publics, The Institute of Economic Affairs 2013] : l’État va « vendre » des faveurs auprès des entrepreneurs - au sens figuré mais souvent littéral du mot via la corruption !- par des lois, ou des règlements protectionnistes consistant à protéger des segments de marché de la concurrence, en général contre de nouveaux entrants, tel la pétition des marchands de chandelles au Roi ou bien les manifestations des canuts contre les métiers à tisser. Tantôt corrupteur actif, tantôt passif, l’État fera du donnant-donnant selon le terme classiquement employé « en échange » de telle ou telle faveur dans un domaine, il obtiendra autre chose, en général dans un autre domaine qui n'aura rien à voir avec le premier. C'est un véritable marché des faveurs qui se développe alors entre élus, et fonctionnaires d'un côté et les citoyens de l'autre ou bien encore entre élus de partis différents. Il ne s'agit pas forcément d'enrichissement personnel, mais par exemple en échange d'un vote du parti B sur une loi 1 portée par le parti A, le parti A votera la loi 2 soutenue par le parti B même si ces deux lois  n'ont rien à voir ensemble. Il va orienter les choix publics en fonction des intérêts particuliers d'une corporation ou d'un groupe de pression ayant remporté la mise au nom -bien sûr- de « l'intérêt général » ou du « bien commun » fictif qui n'existe pas. Ces « échanges » peuvent se faire au moyen de manifestations de rues ou de "prise en otage" des citoyens par des grèves abusive au sein de monopoles étatiques pour faire pression sur l’État et/ou des élus et améliorer le terme de l'échange pour ces manifestants ou grévistes : syndicats, secteur économique, corporation, etc... Chacun essaye alors d'obtenir de l’État le plus possible, sans réellement réaliser que si les uns obtiennent plus, c'est au détriment des autres, et toujours au détriment du consommateur ou du contribuable, c'est à dire de la masse des citoyens, et en général des plus démunis... F. Bastiat résume fort bien cette situation :  « L'État, c'est la grande fiction à travers laquelle tout le monde s’efforce de vivre aux dépens de tout le monde. » [BASTIAT, Frédéric, L’État, réédition Guillaumin, 1863, tome 4, (p 327-341)]. Simone Weil en 1943 également : « L'État avait cessé d'être, sous le nom de nation ou de patrie, un bien infini, dans le sens d'un bien à servir par le dévouement. En revanche il était devenu aux yeux de tous un bien illimité à consommer. [...]  L'État a paru être une corne d'abondance inépuisable qui distribuait les trésors proportionnellement aux pressions qu'il subissait. Ainsi on lui en voulait toujours de ne pas accorder davantage. ». On voit alors se former des corporations légalisées grâce au soutien de l’État et qui lui sont alors redevables. Ces cartels, ces castes de privilégiés comme dans l'Ancien Régime avant 1789, ferment ainsi le système constitué par ce segment de marché, on arrive alors rapidement à une société fermée, rigidifiée ou plus aucunes initiatives individuelles ni innovations ne sont possibles. Malheureusement, et comme tout système fermé, ces corporations fermées à toutes formes de concurrence deviennent de moins en moins compétitives. Sous la pression des citoyens consommateurs ou tout simplement du monde extérieur elles tendent à imploser -souvent brutalement- par la disparition soudaine des verrous ainsi posés . On l’a vu récemment par exemple lors de l'implosion de l'URSS ou pour l’agriculture française avec la fin soudaine du système des prix subventionnés du système européen mettant en grande difficultés les agriculteurs tout comme un drogué se trouve brutalement privé de sa drogue....
  • Le capitalisme d’État, où les propriétaires des capitaux ne sont plus des individus finançant des projets d’entreprises en « coopétition » –coopération et compétition simultanément- entre eux, mais l’État, via les nationalisations, c’est à dire la spoliation par la force de biens appartenant à des citoyens. Suis la mise en place de monopoles, de grand cartels, de super-corporations n’ayant plus à se préoccuper de répondre aux demandes des citoyens, aux besoins de marché autrement dit, et qui vivent en dehors de toute mise en concurrence. La propriété des moyens de productions est souvent présentée alors comme celle du « Peuple » ou encore du « Prolétariat », mécanisme de personnalisation classique comme déjà vu en (III-2-14-f). Il s’agit en fait de l’appropriation des ces biens au profit d’un petit groupe d’individus dans un système d’ordre mafieux tel celui appelé « Nomenklatura » en URSS par exemple. Les capitalistes dans ce système étant l’État, ce même État qui contrôle la police politique et l’armée, il n’y a plus lieu de rendre compte à des actionnaires soucieux de leurs placement et de leur économies. Après tout, les actionnaires ne sont-ils pas alors autre que le « Peuple » et le « Prolétariat » ? Et comme le dit Trotski à Lénine « le parti à la place du prolétariat, ensuite le comité central à la place du parti, et finalement le secrétaire général du comité central à la place du comité central, et vous aboutirez à la dictature d’un homme »  (voir III-2-14-f) ? Libéré de toute concurrence et n'ayant plus à se préoccuper des demandes des consommateurs, ce capitalisme n’a plus lieu de chercher à améliorer ses produits, à innover, ou à optimiser ses process de production. C’est alors la porte ouverte à toutes les abus, corruptions et profiteurs d’une Nomenklatura vivant du travail des autres au nom du « Peuple », comble de l’ironie ! Ce système ne peut se mettre en place et se maintenir que par la coercition, la force et la terreur d’un régime totalitaire. Ce capitalisme d’État est toujours violent pour les simples citoyens, non seulement par son régime de terreur,, mais également suite aux décisions des dirigeants de l’État, d’investir –d’accumuler le capital !- massivement dans des optiques purement politiques soit de renforcement de leur pouvoir (armée, police politique, bureaucratie omniprésente contrôlant tout), soit de propagande stérile comme le stakhanovisme ou des chiffres de production falsifiés. Ainsi l’URSS a investi massivement dans les armes, la surveillance de sa population et l’industrie lourde au détriment des besoins réels des citoyens : industrie légère, et biens de consommation. Cela donne un capitalisme sans marchés au fonctionnement fortement dégradé, incapable d’innover -on n’innove pas dans la coercition et la terreur- loin de l’optimum systémique, et explique quasiment à lui seul la faillite du socialisme de l’URSS « sous ses propres contradictions ».
    1° remarque : il est intéressant de noter que capitalisme de connivence et capitalisme d’État vont de pair, et existent souvent ensembles et à des degrés divers, comme en France notamment. Parmi les socialistes on voit que des Socialistes Nationaux, les Nazis, ont préféré mettre sous contrôle étatique poussé les entreprises sans les nationaliser -contrairement au point 13 de leur programme,- via une bureaucratie toujours plus pesante et menaçante au nom, ici encore, d’une solidarité obligatoire avec la « volonté collective » et le « bien commun » dans le plus pur planisme comme on a pu le trouver en URSS ou avec Mao. Cela a été fait par les Nazis via une coercition violente, les entrepreneurs refusant d’obéir se retrouvant au mieux en faillite sous une avalanche d’amendes et de blocages administratifs, ou au pire en camp de la mort. Ainsi Hitler a préféré mettre sous contrôle étroit les entreprises plutôt que de les nationaliser comme les communistes, mais le résultat a été le même….
    2° remarque : dans sa « version douce », le Capitalisme d'État actuel allié au Capitalisme de connivence amène les banques a développer une préférence beaucoup plus grande pour les emprunts d’État que pour les investissements dans les TPE, PME ou professions libérales, stérilisant ainsi l'économie et provoquant le chômage de masse que nous connaissons. Ces capitalismes dévoyés créant un système économique fortement dégradé, les besoins financiers étatiques deviennent alors toujours plus intenses et génèrent des déficits publics énormes. Pour la France en 2017 : déficit de l'État de 83 milliards € pour une recette de 307 milliards €, soit  27% de déficit, très au delà du chiffre de 2,9 % que l'ont nous donne...! Les États se comportent alors comme de gigantesques aspirateurs à finances, asséchant d'autant les possibilités d'emprunts pour les particuliers, TPE, PME ou professions libérales. 
    3° remarque : dans la même logique ces deux capitalismes d’État et de connivence version moderne, sont à l'origine de la crise de 2008. Dans l'idée que tout américain devait pouvoir être propriétaire de sa résidence principale, le gouvernement américain avait fait passer une loi, la « Community Reinvestment Act » (la CRA) en 1977 sous J. Carter. Cette loi a été élargie en 1997 sous B. Clinton en obligeant les banques à prêter aux ménages à faibles revenus dans les zones dites « Red Line », en échange, ces prêts étaient garantis par la FED, déresponsabilisant de fait les banquiers. Elle partait de l'a-priori, sans aucune étude préalable, qu'à l'intérieur des zones « Red Line », les banques par racisme refusaient les dossiers de prêts immobilier systématiquement. Or si des prêts étaient refusés, c'est parce que beaucoup des ménages dans ces zones « Red Line » avaient de trop faibles revenus et donc étaient insolvables.  Donc, afin de respecter cette loi et échapper aux amendes en cas de non respect de celle-ci, les banques américaines ont eu alors recours à des prêts à taux variables, avec un taux d'intérêt très faible les trois ou cinq premières années. De plus le remboursement du principal de l'emprunt était décalé de la même durée. Par la combinaison des amendes en cas de refus de ces prêts et de leur garantie par la FED, tous les freins et la prudence habituelle ont été ainsi levés dans les banques américaines. Une bulle immobilière s'est alors gonflée progressivement. En parallèle, en 2001, les déficits de l’État américain s'aggravant et sa dette enflant, la FED, dans le but d'éviter la faillite à sa « maison-mère » l’État, a démarré une politique de « quantitaty easing », en français « planche à billet », afin d'inonder les banques de dollars et ainsi baisser progressivement à 1,75 % le taux directeur de la FED.  L'émission de dollars étant devenue trop importante, la FED a ralenti son rythme en laissant les taux remonter à 5,25 % mi 2006. Or en 2006, la plupart des prêts accordés arrivaient à l’échéance de leur période initiale de 5 ans. Ces ménages à faibles pouvoir d'achat on donc dû à la fois commencer à rembourser le principal de l’emprunt, plus payer un intérêt 4 fois plus élevé et ont donc vu leurs paiements mensuels exploser. Dans l'incapacité de payer, insolvables, ces ménages se sont vu exproprié de leur logement récupéré par leur banque à partir de 2007. Un très grand nombre de logements se trouvant alors mis en vente simultanément par les banques, les prix qui jusque là s'étaient envolés sous une demande artificiellement gonflée par la CRA, se sont alors effondrés. La bulle financière immobilière créée par la CRA a alors explosée, plongeant dans la misère des millions de ménages américains et la crise économique de 2008 s'est en suivie aussi grave que celle de 1929.
On voit donc clairement que le terme de « Capitalisme » dont on nous parle tant est très flou, les médias ou groupes de pressions omettant bien sûr de préciser de quel capitalisme ils parlent. Or deux de ces capitalismes, celui de connivence et celui d’État, relèvent très nettement de la  « gauche »... et pourtant ils sont et ont été également abondamment utilisés et mis en œuvre par des gouvernements dit de « droite » dans beaucoup de pays. Ainsi en France, c'est un gouvernement de « gauche », celui de M. Jospin, qui a privatisé des entreprises nationalisées, chose que les gouvernements de droite précédents s'étaient refusé à faire.... Quant au Capitalisme du trading haute fréquence, celui-ci est juste indifférent aux classements gauche-droite, se jouant des lois locales de tel ou tel État à la fois de par ses capacités d'adaptation à l'échelle de la milliseconde, et d'autre par la lourdeur des administrations étatiques par ailleurs incapables de comprendre le monde réel. Enfin, et pour revenir à la définition originelle finalement tout à fait valide de Proudhon, celui du Capitalisme de libre marché entre citoyens libres de leurs choix et de leurs actions, il a quasiment disparu et se trouve rejeté tant à « gauche » qu'à « droite », broyé par les trois autres capitalismes...
                           b) Mondialisation... et internationalisme
 
Les partisans de la mondialisation sont souvent classés à droite : ouverture des frontières, libre-échange, spécialisation des productions selon les pays ou régions, etc. Pourtant beaucoup de gouvernement dits « de droite » sont protectionnistes et ne rêvent que de fermetures des frontières... Au contraire après la première guerre mondiale l’internationale ne pouvait être (selon le discours officiel...) que prolétaire avec le slogan « prolétaires de tous les pays unissez-vous » de Trotski. Puis le totalitarisme Stalinien d’URSS s’étant mis en place dès 1924, c'est le « communisme dans un seul pays » qui a prévalu avec la fermeture généralisée des frontière de l’URSS (un passeport et visa étant requis pour aller d’une ville à l’autre). Cette fermeture s'est étendue aux pays de l’est européen après 1945, avec entre autre le mur de Berlin, et la Corée du Nord, Cuba... confirmant la fin de l’internationale…

                          c) Libertés individuelles :
 
Souvent associées à la droite, le « monde libre » selon les terminologies de la guerre froide, la défense des libertés individuelles se retrouve pourtant aussi chez les sociaux démocrates, pourtant classés à gauche. Mais elles peuvent être sévèrement mise en parenthèse chez certains courants à droite, tels les conservateurs craignant d’ouvrir la porte à des évolutions sociétales dont ils ont peur. Une constante : c’est au contraire une idée centrale chez les libéraux. La gauche, y compris les sociaux démocrates, défendrons par ailleurs l’égalité imposée par l’État via des impôts et autres prélèvements sociaux inégalitaires -puisque le pourcentage de prélèvement varie arbitrairement d’un citoyen à l’autre et au cours du temps- coercitifs au mépris de nos libertés les plus élémentaires. Tout cela au nom d’une « Solidarité », obligatoire pour un « Intérêt Commun », personnalisation et marqueur idéologique que pourtant nul ne sait définir ! A l’inverse, des partis classés à droite pourront aussi afficher des positions colbertistes où l’État se doit de définir des plans imposés aux entreprises, en niant les principes de libre entreprise et de libre établissement…

                      d) Les « conservateurs » :
 
Se rangeant sous une bannière anti-marxiste, opposés au socialisme et évidemment au communisme, on y retrouve -souvent en théorie- l’esprit de liberté de circulation des marchandises, de libre entreprise, mais pas nécessairement celui des libertés individuelles. Mais on trouve également souvent avec les conservateurs le refus du changement, ou plutôt la peur du changement, notamment sur les questions de société, le volonté de garder les traditions, quelles qu'elles soient, avec des réflexes de fermeture des frontière, d’interdictions diverses touchant aux libertés individuelles (mariage, divorce,…), d'exclusion de certains sous-groupes (étrangers, races, orientations sexuelles,...) et de surveillance généralisées des citoyens, au nom de notre « protection ». Ainsi par exemple sous le règne de la reine Victoria, les conservateurs britanniques – au grand désespoir des whigs, le parti libéral britannique- avaient obtenus la fermeture des frontières au blé étranger, au nom de la protection des grands producteurs locaux, déclenchant des prix du pain très élevés et des famines au détriment de leur propre population.

                    e) Les infrastructures d’un pays doivent être privées :
 
Il est d’usage d’associer entreprises privées et droite. Dans les simplifications que l’on nous présente ainsi toutes les entreprises doivent être privées avec la droite, et toutes doivent être publiques -nationalisées- avec la gauche, c’est la fameuse expropriation des moyens de production de Marx. Or F. Hayek [HAYEK, Friedrich A., 2010] insiste sur le fait qu'au-delà des devoirs purement régaliens de l’État, il appartient bien à celui-ci, de (faire) construire les infrastructures d'un pays, telles que routes, voies ferrées, réseaux d'eau potable, réseaux de gaz, d'électricités ou de télécommunications construits et opérés par l'état et financé par l'impôt. On peut citer F. Hayek dans « La Route vers la Servitude » par exemple p. 34-35 : « Ainsi ni les poteaux indicateurs, ni la plupart du temps les routes elles-mêmes  ne peuvent être payées par chaque usager. De même, ni les effets funestes du déboisement, de certaines méthodes agricoles, de la fumée ou du bruit des usines ne peuvent être réservés aux propriétaires intéressés ni à ceux qui sont disposés à en subir le dommage en échange d'une compensation. Dans ces cas-là, il nous faut imaginer quelque chose qui remplace le mécanisme des prix. Il faut, certes, faire intervenir l'autorité chaque fois qu'il est impossible de faire fonctionner la concurrence; mais cela ne prouve pas qu'il faille supprimer la concurrence quand on peut la faire fonctionner. ». En passant on voit que F. Hayek aborde une forme d’écologie libérale…On trouve les mêmes réflexions dans « La Constitution de la Liberté » p. 141-142 : « Relèvent de cette catégorie [l’action publique] tous les services qui sont nettement souhaitables, mais qui ne sont pas fournis par l'entreprise concurrentielle parce qu'il serait soit impossible, soit difficile de faire payer les bénéficiaires. On pourrait citer là l'essentiel des services sanitaires et de santé publique, la construction et l'entretien des routes, et la plupart des équipements urbains créés par les municipalités pour leurs administrés. On pourrait citer aussi les activités qu'Adam Smith décrivait comme « ces travaux publics qui, bien qu'ils soient au plus haut point avantageux à une grande société, sont d'une nature telle que le profit ne pourrait compenser la dépense qu'ils représenteraient pour un individu ou un groupe peu nombreux» (Adam SMITH, Wealth of Nations, livre V, chap l, partie Il (II, 214).-). » p. 224.
Le raisonnement de F. Hayek est très simple : tout ce qui n'est pas achetable/consommable par un ménage peut relever de l'état : un réseau de voies ferrées, tout comme la police, la justice ou l'armée, -donc le régalien- ne peut pas être acheté (surtout pas...) par un ménage. Par contre un ménage pourra acheter un billet de train pour un trajet à un jour et une heure précis. Les compagnies de trains utilisant l'infrastructure publique des rails devront donc être privées et en libre concurrence car s’adressant aux ménages directement. Dès lors, l’État – l’état de Droit avec un petit « e » et un grand « D » en l’occurrence...- via ses lois, son « code de la route » clair et stable selon F. Hayek, avec ses pouvoirs régaliens de justice etc.. et ses infrastructures, fourni en somme l'environnement -l’écosystème pour la Systémique- adéquat aux entreprises qui elles s'adressent aux ménages, mais en se gardant de supprimer cette mise en concurrence : c’est tout un jeu de subtiles -et fragiles- équilibres dynamiques ponctués non linéaires de pouvoirs et contre-pouvoirs tels qu’imaginés par Aristote, Montesquieu, etc.  concepts éminemment systémiques !
 
    V-17-3) Une troisième voie :

On voit ainsi qu'un certain nombre de « concepts » ne peuvent pas en réalité être définis de droite versus gauche. Seuls les libéraux semblent à même d'accueillir favorablement les évolutions de la société ou de l'économie (innovations), même si -comme l'explicite K. Popper [POPPER Karl, T2, 1979]- ils sont très complexes : mais ils n’ont pas la présomption fatale (refer F. Hayek…) de prétendre les comprendre et les dicter comme veulent le faire les marxistes ou les conservateurs. Par contre les libéraux, eux, sont conscient de l'hyper complexité des évolutions des systèmes économiques ou sociétaux composés avant tout d'êtres humains comme l'a souligné L. von Mises et non de « Partis », de « Nations », de « Patries » de « Races » ou de « Classes » (en luttes dialectiques les unes contres les autres comme il se doit), qui ne sont que des personnalisations fictives inventées pour mieux enrégimenter les malheureux qui y croient. 
Certes ces personnalisations sont bien pratiques pour les politiciens (et les médias). Par une sorte de syllogisme « systémique » erroné implicite, on attribue une personnalité humaine (souvent mauvaise) à ce qui ne l’est pas. Ce syllogisme est en quelque sorte le suivant :
 a) Tout personne humaine est un système ; 
 b) Or une « organisation » humaine (entreprise privée, organisme d’État, « Capitalisme », « Patrie », « Nation », « Race », « Classe », « Prolétariat » etc... est un système ; 
 c) Donc cette « organisation » humaine est une personne, qui surtout pense et agit comme un être humain.
Dans ce syllogisme, dont se servent volontiers les extrêmes, si (a) est exact, (b) est lui discutable, par contre (c) est totalement faux. Mais il est bien pratique, notamment à beaucoup de dirigeants politiques, pour désigner un coupable caché responsable de tout ce qui ne va pas ou encore entraîner dans une servitude volontaire des millions de gens en marche vers un avenir radieux ...
Arrivé à ce stade de la réflexion, il faut revenir à F. Hayek (voir III-2-14-c). La droite c’est croire aux vertus des systèmes naturels inintentionnels, c’est donc la mise en avant des traditions, du conservatisme, de l’ordre établi anciennement le plus souvent basé sur un monarque de droit divin. C’est le retour aux corporations établies, un fils de tisserand ne pouvant être que tisserand et un fils d’aristocrate , un aristocrate. La gauche croit que seuls les systèmes artificiels intentionnels soumis à la raison de quelques dirigeants décrétés éclairés et bons tels que définis par Platon et Rousseau peut fonctionner. C’est donc le retour au tribalisme avec un chef de tribut qui organise et décide tout centralement. Ce dirigeant pourra alors se livrer à de l’ingénierie sociale selon ses idées personnelles et reconstruire toute la société par la violence et la coercition s’il le faut, c’est le constructivisme social. Les deux commettent la même erreur en ignorant l’existence des systèmes naturels inintentionnels auto-organisés. Or c’est précisément le cas des sociétés humaines, indéniablement artificielles puisque résultant des actions des êtres humains, mais n’ayant pas fait, le plus souvent, l’objet d’une intention délibérée d’un ou d’un petit groupe d’individus. Le libéralisme est le seul à appréhender cette troisième catégorie en faisant appel à des concepts de systèmes avec en sus l’idée d’auto-équilibre dynamique et d’auto-organisation (Voir III-2-14) mais sans prédire une fin de l'histoire, les libéraux ne sont donc ni millénaristes ni historicistes et donc ne sont pas tenant du finalisme (voir « équifinalité » en (II-4-1-g) et (III-2-1-c)). Avant d'aller voter telle ou telle loi interventionniste/dirigiste selon une approche transcendante, -sans études d’impacts avant et après la loi d’ailleurs- il est vital d'être conscient de la complexité de nos sociétés, et de comprendre les points de vue multiples des différents acteurs économiques et non de seuls technocrates. Ce point est très important dans la mesure où il fait l'objet d'âpres débats, (voir II-4-1-f), il faut tenir compte ici des artefacts dus à l'approche adoptée, du point de vue utilisé et la découpe arbitraire dans le réel, etc... Il faut garder à l'esprit le fait que les systèmes de pilotages (répartis) doivent obligatoirement exister, sinon le « système » globalement n'en n'est pas un et courre à sa disparition. On retrouve ici dit sous une forme systémique la règle vitale édictée par Montesquieu au sujet de la séparation des pouvoirs dans un État : on ne peut être en même temps juge et partie. Par conséquent, que le système de pilotage soit vu comme interne (immanent) ou externe (transcendant) au système, celui-ci devra de toutes manières être piloté non pas exclusivement par un pilote central externe (le Grand Timonier/Führer/Petit Père des Peuples) génial comme le croient les marxistes, nazis et autres dirigistes mais par des citoyens libres via autant de pilotes répartis subsidiaires aussi proches du terrain que nécessaires.... C'est décrire d'une autre manière les idées de libertés individuelles, de libre entreprise et libre établissement (pilotage réparti au plus près des réels acteurs de l'économie), ou encore libre circulation des idées, biens, services, informations, médias (la circulation des informations et des différents flux d'énergie et de matériaux est une nécessité vitale au sein d'un système) comme vu en détail en (II-2).

Il faut encore insister sur le fait, comme le dit L. Von Mises, qu’une société ou une économie est composée d’êtres humains, en dépit de toutes les personnalisations que l’on a vu « Peuple », « Prolétariat », etc... Ces êtres humains ne réagissent pas d’une manière régulière et stable même dans des circonstances semblant identiques. Contrairement aux sciences physiques, où des molécules d’hydrogène et d’oxygène en présence d’une étincelle donneront toujours de l’eau et un fort dégagement d’énergie parfaitement calculables et testables ; les êtres humains sont largement imprévisibles : comme l’a montré H. Simon avec la Rationalité Limitée (Voir II-5-5), « l’homo economicus » ayant une connaissance parfaite des marchés et prenant des décisions 100 % rationnelles est une vue de l’esprit. Enfin les « sciences » économiques, politiques ou sociales ne satisfont pas au critère de démarcation de K. Popper : leurs théories ne sont pas réfutables. Cela n’est en rien un reproche, car cela est intrinsèque à ces secteurs d’études. En effet, contrairement (à la plupart…) des sciences physiques il est impossible de réaliser des expériences, des tests, où par exemple l’économie mondiale d’avant 1929 serait reconstituée afin de tester différents scenarii au cours d’autant d’expériences scientifiques permettant le cas échéant de réfuter telle ou telle théorie économique. A cela les plus brillants des économistes, sociologues ou politologues n’y pourront rien.

Il y a une autre énorme différence entre les sciences physiques (hormis la médecine...) et les « sciences » humaines (économie, sociologie, politique,…) : lorsqu’en astronomie une théorie à laquelle tout le monde croyait se révèle finalement fausse, normalement, personne ne meurt (sauf quelques martyrs comme G. Bruno condamné pour avoir remis en question une théorie astronomique fausse soutenue par l’Église Catholique…). Mais lorsque qu’une théorie aberrante est mise en œuvre en économie ou en sociologie, ce sont des dizaines de millions d’êtres humains qui peuvent se trouver réduit à la misère, perdre toutes leur libertés ou périr... Un autre point très important est souligné par K. Popper, il peut même être vu comme un nouveau critère de démarcation entre les défenseurs des libertés et les autres. Les uns recherchent un système social et économique via une constitution garantissant d'elle-même qu'un gouvernement sera empêché de devenir autoritaire ; alors que les autres tablent sur la qualité des dirigeants via une formation adéquate, voire via un pouvoir réservé à une élite. Le premier cas corresponds à la société ouverte, et le deuxième à la société fermée, dite encore tribale pour K. Popper [POPPER Karl, Tomes 1 et 2, 1979]. Ce qui est très intéressant ici, c'est de relever que K. Popper note que c'est Platon, puis Hegel et Marx qui défendent la société tribale. Chez Platon, ce système des dirigeants issus d'une élite est en parfaite cohérence avec ses Idées Immuables, l'élite étant la plus proche de celles-ci, et en particulier de l'Idée Immuable « État Parfait », n'a donc nul besoin de gardes-fous. On peut noter qu'avec Aristote, c'est l'inverse qui prévaut, Aristote -et plus tard Montesquieu et Machiavel- pense à juste titre qu'il y aura tôt ou tard des « mauvaises personnes » au pouvoir, c'est donc au système politique, à l'organisation intrinsèque de la Cité, à la Constitution, de mettre en place les gardes-fous efficaces pour équilibrer les pouvoirs, via une solide séparation de ceux-ci . On ne peut alors que citer Lord Acton : « Le pouvoir tend à corrompre, le pouvoir absolu corrompt absolument. Les grands hommes sont presque toujours des hommes mauvais. », on est ici à l’opposé de Rousseau pour qui l’homme est bon par nature. On peut citer également Raymond Aron [ARON, Raymond, Introduction à la Philosophie Politique, p 72] : «  Certaines philosophies de la démocratie sont des philosophies optimistes, et l’on peut dire que la démocratie rousseauiste est fondée sur une vue optimiste de la nature humaine : c’est parce que les hommes sont bons que l’on imagine qu’il suffit d’écarter les traditions irrationnelles et les privilèges pour que les hommes se gouvernent eux-mêmes. Mais si l’on peut justifier la démocratie par l’optimisme, on peut aussi la justifier par le pessimisme. Rousseau justifiait la démocratie par l’idée que les hommes sont bons. Disons que les machiavéliens justifient la démocratie par l’idée que les hommes ne sont pas tous bons. (…) donc limitons les pouvoirs que nous donnons à quelques-uns ; moins les hommes sont bons, moins il faut laisser de pouvoir aux gouvernants. ». Clairement, le danger totalitaire issu des approches rousseauistes vient alors aussi bien de la droite que de la gauche...
On comprend alors que les choses sont donc un « peu plus complexes » que cela dans le débat cartésien simpliste gauche-droite. La clé tient dans la compréhension -ou plutôt dans l'incompréhension- de la complexité des systèmes économiques, et de l'ignorance du concept de Variété requise et de la mesure de la complexité telle que proposées par A. Kolmogorov et R.W. Ashby, voir pour cela le (II-4-1-e), couplé à la Rationalité Limitée de H. Simon (Voir II-5-5). La difficulté ici tient dans l'aspect centralisé d'une telle gestion/pilotage interventionniste de l'économie. Tout piloter d'une manière centralisée « par le haut » en mode transcendant, ce qui est le cas d'un gouvernement marxiste, nazi, ou simplement dirigiste, par des individus ayant nécessairement un horizon d'information limité, doublé de capacité de cognition, de traitement de ces information également limités, face à l'hyper complexité d'une économie ou d'une société qu’ils prétendent piloter, c’est faire preuve d’une présomption fatale. A cet égard, on observe d'ailleurs que les membres des gouvernements divers et variés n'ont aucune notion de systémique, et sont plutôt très cartésiens, adeptes des solutions simples pour ne pas dire simplistes.

Enfin, nul besoin d'évoquer les changements brutaux de politiques d'interventions et leur instabilité souvent contradictoires au gré des changements de gouvernements... On est bien ici dans la Présomption Fatale dénoncée par F. Hayek [HAYEK, Friedrich A., 1988], mêmes si ces dirigeants se croient issus de l'élite proche des Idées Immuables de Platon... et se prennent souvent pour des dieux. On arrive alors à ce que souligne F. Hayek : « Nous sommes certainement aussi éloignés du capitalisme dans sa forme pure que nous le sommes de tout système de planification centrale. Le monde, aujourd'hui, n'est qu'un chaos interventionniste. » [HAYEK, Friedrich A., Nature et Historique du Problème p. 33 dans VON MISES L. 1938], phrase tout aussi actuelle aujourd'hui qu'en 1938 !

          V-17-4) Le diagramme de Nolan :

Certains comme David Nolan avec son diagramme du même nom ci-dessous, dans lequel il serait judicieux d'ajouter à « populiste » le terme « dictature », ont tenté de réorganiser le débat gauche-droite :
Cependant ce diagramme de D. Nolan est des plus contestable car qui peut soutenir que des régimes authentiquement de gauche comme les régimes staliniens, maoïstes ou de Pol-Pot étaient les garants des libertés individuelles ? De même dire que les Conservateurs anglo-saxons, ou que la droite française,  représentants clairement l'aile droite feraient la promotion des libertés économiques est tout autant contestable.
Et lorsque l'on prends le Nazisme (en français socialisme national) comme exemple de « droite » est des plus choquant comme on l'a vu car ce sont d'authentiques  socialistes, les libertés économiques étant alors carrément abolies. Si on veut aller un peu plus loin, on pourrait tenter le diagramme ci-dessous, lui aussi basé sur les deux échelles de libertés économiques et individuelles. Ce diagramme montre bien le positionnement « ni gauche ni droite » à la fois des dictatures mais également à l'opposé des Libertariens qui eux, défendent à la fois les libertés individuelles (ou sociétales) et les libertés économiques . Sachant qu'il est irréaliste de croire qu'il peut y avoir des libertés économiques sans libertés individuelles et inversement.


Remarque : le terme « anarcho-collectivistes » désigne les anarchistes tels que imaginé par Proudhon. Il professait un anarchisme dans une société collectiviste mais sans État, ce qui pose le problème traité en remarque (1) après les tableaux du (V-17) plus haut : celui de la rémunération selon les besoins du travailleur, besoins décrétés par… un organe de décision central qui ressemble violemment à l’État, ce qui est pour le moins paradoxal pour un anarchiste ! D’autre part comme positionné par le diagramme ci-dessus, cet anarchisme est supposé être pour les libertés individuelles mais dans un cadre collectiviste. Cela signifie que l’individu est supposé être libre mais doit obéir à la collectivité, personnification qui n’existe pas comme nous l’avons vu avec S. Weil et cachant la dictature d’un petit groupe de gens. Nous somme alors en pleine contradiction et à l'opposé du véritable anarchisme ! Ou bien nous sommes libre de penser, de nous exprimer, ET d’agir (entre autre en créant notre propre activité économique) ; ou bien nous ne le sommes pas ! On ne peut pas être libre comme individu sans être aussi libre économiquement (et vice-versa)... c'est incohérent.
 
Apport de la Systémique : la Systémique rejette ces deux étiquettes de droite et de gauche par trop simplistes et caricaturales voire incohérentes comme on vient de le voir. Utilisant les concepts de structures comme semble le faire le Marxisme mais non pour plaquer une théorie sur la réalité, mais bien au contraire pour tenter de comprendre, avec toutes les précautions et prudence vues plus haut, le réel. Ayant compris -comme F. Hayek sous le nom de catallaxie- les phénomènes d’auto-organisation et d’auto-équilibre, elle les englobe, contrairement au Marxisme et au Nazisme, dans un système de pilotage réparti à tous les niveaux adéquats ou dans les sous-systèmes… jusqu'à l'être humain seule référence admissible. Un pilotage centralisé et/ou dirigiste tel que voulu tant à droite qu'à gauche, ne peut pas, par définition, avoir la Variété requise (voir II-4-1-e) pour piloter d’un coup l’ensemble des niveaux et sous-systèmes composants le système complet. Il faut donc opérer, ou plus exactement faire opérer, voire laisser opérer, - le fameux « surtout sire, ne faites rien, laissez-nous faire » à l’envoyé de Colbert - via un pilotage réparti pouvant être auto-organisé sur l’ensemble des niveaux ou sous-systèmes, tout en conservant et respectant les équilibres dynamiques systémiques homéostatiques -tel que décrit par F. Hayek- nécessaires, dans une démarche de prudence vichienne. Une analogie pourrait exister avec les médecins (une élite en l’occurrence à l'époque) de Molière, qui ne comprenant rien au corps humain et à ses maladies (ses déséquilibres!), faisaient les pires erreurs -saignées ou autres-, jusqu'à tuer leur patient qui aurait peut-être pu survivre sans l'intervention dudit médecin... A l'inverse, la médecine moderne prends ses précautions (prudence!) avant de passer à une expérimentation humaine... prudence que ne prennent pas nos dirigeants modernes lorsqu'ils font leurs expériences sociales !
Enfin, l’histoire orientée l’est seulement au sens de la flèche du temps de la Systémique, mais non au sens messianique millénariste du socialisme Marxiste (et son symétrique le socialisme national nazi) , où l’homme réel doit rentrer dans le moule de l’Homme du Marxisme dit « Homme nouveau » ou « Homme total » ou « Homme aryen » du nazisme, et amenant tout droit aux camps de rééducations et aux génocides de la Chine, du Cambodge ou de l’Union Soviétique (ie ou du Nazisme symétriquement). Le sage réflexe d'Aristote et de Vico, la prudence, la modestie, et le juste milieu devraient donc prévaloir avant d'intervenir à tort et à travers dans l'économie ou la société avec des idées simplistes venues du clivage gauche-droite... On retrouve alors la Systémique de L. Von Bertalanffy, d'une manière surprenante au premier abord, mais somme toute logique au vu de l'ensemble de son œuvre et de son amitié avec K. Popper et F. Hayek, qui ont beaucoup travaillé eux aussi sur les concepts de complexité.


Benjamin de Mesnard
 Épistémologie Systémique Constructivisme

dimanche 8 novembre 2015

V-14) Âme versus Esprit versus Corps


V-14-1) Chez Platon :

Pour Platon, l’Âme est le principe d’organisation de l’individu (la Forme platonicienne, Idée Immuable), indépendante de lui et préexistante à celui-ci. Elle « tombe » dans l’individu à sa naissance en venant du Monde des Idées, immuable et incorruptible, monde à part, parallèle à notre monde qualifié de « bas-monde » sur la terre. L’Esprit est l’actualisation individuelle de cette Âme dans l’individu, c’est l’Esprit incarné, c’est la Raison. Le Corps, lui, est la matière individuelle modelée par l’Âme, l’actualisation de l’Âme dans la matière Tout comme un moule va donner sa forme à la matière d’une pièce de monnaie, tout en restant indépendant de celle-ci. L’Âme est donc bien principe d’organisation de l’Esprit (Idée incarnée) et du Corps (Matière incarnée). Cependant chez Platon (repris par Descartes), Forme (Idée du monde séparé des Idées) et Matière (du bas-monde) sont complètement dissociés. Âme et Esprit sont donc vus comme découlant du même monde, alors que le Corps est intrinsèquement séparés de ceux-ci puisque découlant du monde de la Matière. 

V-14-2) Chez Aristote :

 On retrouve chez Aristote les mêmes définitions de base à la différence près que l’Âme n’est pas préexistante à l’individu, mais apparaît avec lui, en étant sa cause, tout en restant le principe d’organisation de l’individu, sa Forme, qui actualisera, modèlera, formera l’Esprit et le Corps. Comme chez Platon, Esprit et Corps sont les actualisations de l’Âme dans l’individu. A l’inverse, l’Âme contient en puissance l’individu lors de son apparition. Mais pour Aristote, l’Âme ne vient d’aucun monde, encore moins d’un monde séparé, elle apparaît (par un mécanisme non compris à son époque mais peu importe), puis préside à la création de l’Esprit et du Corps. Esprit et Corps ne sont pas dissociés complètement comme chez Platon car bien que de natures différentes, ils sont modelés simultanément et dans le même élan par le même principe d’organisation, l’Âme. Ils sont donc intimement liés, mélangés, comme le cuivre et la forme individuelle d’une pièce de monnaie sont liés. C’est pourquoi Aristote qualifie la mort de l’individu de « catastrophe ontologique », car alors pour Aristote, Âme, Esprit et Corps disparaissent simultanément. C’est d’ailleurs cette thèse qui a valu dans un premier temps l’interdiction d’Aristote -et de Saint-Thomas d’Aquin- par l’Église Catholique au Moyen-âge pour qui les thèses de Platon convenaient mieux pour soutenir la survie puis l’immortalité de l’Âme après la «catastrophe ontologique ». En passant on peut remarquer le très intéressant recyclage philosophique opéré par Thomas d’Aquin qui a su pervertir le concept d’Âme individuelle aristotélicien, en un concept redevenant subitement platonicien à la mort de l’individu pour prétendre que l’Âme pouvait survivre après la mort. En effet pour ce philosophe, a cet instant, l’Âme se souvient subitement du monde des Idées séparé de Platon pour le rejoindre (mais non y retourner comme le soutenait Platon) et y demeurer éternellement…

V-14-3) Chez Descartes :

Descartes ne pouvait pas différentier comme le faisait ses prédécesseurs l’Âme et l’Esprit du fait de son incapacité à comprendre les concepts de Forme. Pensant que tout part d’une « Tabula Rasa » où seul compte la matière, « l’Étendue », qui se suffit à elle-même, la Forme n’existant pas, par conséquent Descartes identifie l’Âme à l’Esprit. L’Âme n’a plus sa place, l’Esprit étant nécessairement Esprit incarné dans un individu, l’Âme étant propre à l’individu, Descartes résout l’apparente identité entre les deux en les fusionnant. Plus grave, pour Descartes, d’une part l’Esprit est une substance au même titre que la matière (donc le Corps), et d’autre part, Esprit et Corps sont deux substances séparées, totalement dissociées, distinctes et indépendantes, c’est le dualisme cartésien. Cette dichotomie, est portée à son paroxysme par Bergson ou par la mode des esprits (des revenants) apparaissant sous des aspects fantomatiques et vaporeux au XIX° siècle. L’individu n’existant que par un « lien mystérieux » (dixit) entre le Corps et L’Esprit. Certaines questions insolubles alors apparaissent cependant comme par exemple : comment se fait-il que mon bras se lève effectivement lorsque mon Esprit veut qu’il se lève puisqu’ils sont complètement séparés ? Ou bien : combien pèse l’Âme qui s’échappe du Corps lorsque le mort survient ? etc.…

V-14-4) Chez Spinoza :

Spinoza a pris clairement une position holistique en opposition affichée à Descartes sur cette question. Rejetant le dualisme cartésien, il est donc proche d’Aristote, mais en soutenant l’immortalité « d’une partie de l’Âme » appartenant à la substance unique. Il pensait la substance comme cause d’elle-même : « J’entends par cause de soi ce dont l’essence enveloppe l’existence, ou ce dont la nature ne peut être conçue que comme existante. » (Spinoza dans Ethique I). La substance –contrairement aux matérialistes comme on l’a vu au sujet de Spinoza en (III-2-2)- est à la fois Forme et Matière et non Matière seule. Cette position à certains égards peut-être comprise comme proche de la Systémique car celle-ci soutient elle aussi qu’il est impossible, pour un système donné, de séparer la structure/forme de la matière sinon à découper (choix arbitraire comme on l’a vu) le système en sous-systèmes eux-mêmes structurés et organisés (Forme et Matière à nouveau) sans jamais tomber sur une matière informe d’un côté et une structure/forme immatérielle de l’autre. Il ne faut pas oublier ici, comme indiqué en (III-2-1) qu’Aristote, bien antérieurement précise : « chaque ordre inférieur est pour l’ordre supérieur une matière à laquelle celle-ci donne une forme », Spinoza et la Systémique, reprendront donc cette idée. De même, la substance unique et infinie de Spinoza n’est pas non plus Platonicienne car elle n’est pas comme dans le monde des Idées de Platon, Formes pures uniquement, mais encore une fois Forme et Matière. A cet égard on peu dire que Spinoza soutenait une position Immanente, Dieu et Nature étant la même chose. 

Apport de la Systémique :

Moyennant toute la transposition des termes déjà vue, la Systémique est effectivement proche d’Aristote et radicalement opposée à Platon et Descartes. Toujours dans l’exemple de l’être humain, l’Âme d’un individu pourrait être assimilée à son code génétique nouvellement constitué par la fusion des deux paires de gênes issues de ses parents, c’est le mode d’apparition non compris du temps d’Aristote ; et apparaissant donc bien à la « naissance » -la conception plus exactement- de l’individu. On parlerait aujourd’hui plutôt d’information que de Forme. Le Corps est bien « modelé » par ce code génétique lors de la gestation en suivant un schéma de développement systémique hypercomplexe mais précis. Cependant la Systémique positionnera plutôt l’Esprit, la conscience notamment, comme un phénomène émergeant très progressivement avec la maturité de ce nouvel être-système qu’est l’être humain. Cette conscience, comme la brillamment décrit J. Piaget, va se construire progressivement dans les premières années de l’enfance, lorsque l’enfant réalisera petit à petit qu’il est un individu séparé de sa mère, séparé du monde mais dans le monde et que son corps forme un tout qui lui appartient. Il va de soi que la question de l’immortalité de l’Âme soutenue par Thomas d’Aquin trouve dans ce schéma une réponse malheureusement évidente…

 SUITE du Blog : V-15) Référentiel Absolu versus Relatif

Benjamin de Mesnard
Épistémologie Systémique Constructivisme 

mardi 26 août 2014

V-11) Internalisme versus Externalisme


Dans la recherche d’un point de départ stable en vue de se bâtir des théories scientifiques, l’internalisme va rechercher cette stabilité à l’intérieur même de l’esprit du chercheur. Éliminant toutes interférences, croyances parasites, il arrive au bout d’un long travail d’introspection, par analyse de ses états mentaux, en méditation et en recueillement, au seul point incontestable : « je pense donc je suis ». On aura reconnu naturellement Descartes, le plus brillant représentant de cette démarche. Repartant de ce point fixe stable et incontestable –selon lui- il va retrouver par la démarche « géométrique », c'est-à-dire la méthode employée par les mathématiciens pour faire de la géométrie, toutes les lois universelles de la nature. Cette méthode géométrique est déductive, il suffit en effet selon Descartes de dérouler la suite des maillons simples du raisonnement pour arriver à ce résultat sans possibilité de se perdre, car se fiant au bon sens et à cette chaîne des maillons de l’évidence intuitive. L’internalisme se rattache à l’idéalisme et à Platon car comme le dit R. Pouivet : «  l’internaliste considère que l’action volontaire suppose une volition, c'est-à-dire une entité interne qui est la cause de l’action. En revanche, l’externaliste pense que l’action volontaire suppose des dispositions (capacité à l’action volontaire) propres à un agent, mais pas un état interne particulier sous forme d’une volition motivant l’action » [POUIVET, Roger, 1997, p 124]. Cette entité interne n’est autre que l’esprit, l’âme platonicienne et cartésienne séparée de la matière, du corps, et cause de la volition.
L’externalisme à l’opposé soutient que le monde étant externe au chercheur, lui étant imposé, non maîtrisé, largement incompris et le dépassant de loin en taille, diversité et complexité, c’est le « silence éternel de ces espaces infinis m’effraie » de Pascal, ou « le réel voilé » de B. d’Espagnat, celui-ci ne peut par définition que partir de ce monde externe pour tenter de le comprendre. L’introspection n’apporte rien, sauf peut-être en psychologie, seul est utile l’étude de l’objet -le monde- par le sujet, ce sujet faisant d'ailleurs partie du monde. L’externalisme pense aussi que l’individu chercheur appartient à une communauté linguistique, culturelle, religieuse ou morale. Il n’est pas possible de se sortir, se détacher de cette communauté comme le pense Descartes, bien au contraire cela est une erreur comme l’explique G.B. Vico car c’est le moyen via la dialogique d'Edgar Morin de provoquer de nouvelles idées, possibles candidates à de nouvelles théories à réfuter le cas échéant.

Apport de la Systémique : La systémique est à première vue plus proche de l’externalisme car les systèmes modélisés, construits pour les besoins de la recherche ne le sont pas à la suite d’une introspection mais bien de l’observation construite et modélisée du monde extérieur (mais monde voilé) en adoptant si possible de multiples points de vues. Cependant la Systémique garde à l'esprit que le chercheur n'est pas séparé du monde, qu'il fait partie d'une culture, etc... et qu'il fait également partie d'un système (chercheur + objet étudié), le chercheur pouvant aussi perturber l'objet étudié. Avec la Systémique, il s’agit d’expliquer l’intérieur par ses fonctions téléonomiques vis-à-vis de son environnement et donc de l’expliquer par l’extérieur. Mais la systémique ne nie pas pour autant que le sujet chercheur se situe au sein d’un système englobant celui-ci et l’objet d’étude, les deux étant en interaction. On ne peut donc ignorer les présupposés du chercheur, sa culture, etc… qui est la communauté, la ville, le pays dans lequel il vit. En cela, la systémique n’est pas à proprement parler une forme de phénoménologie, encore moins transcendantale car la phénoménologie est internaliste. Enfin d’une manière qui rappelle la systémique, l’externalisme se rattache à Aristote. L’externalisme était la philosophie dominante puis a connu une éclipse avec la période internaliste cartésienne et positiviste avant de revenir de nos jours. Ainsi R. Pouivet explique : « l’externalisme nous renvoie à Thomas Reid et avant lui saint Thomas d’Aquin et à Aristote. […] La tradition philosophique dominante aurait été externaliste et l’internalisme serait une affaire récente. » [POUIVET, Roger, 1997, p 7].

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Benjamin de Mesnard 
Épistémologie Systémique Constructivisme 

jeudi 19 novembre 2009

V-5) Réductionnisme versus approche holistique


Comme décrit plus haut avec Descartes, le réductionnisme est la méthode Cartésienne consistant à découper le réel en parties de plus en plus petites jusqu’à obtenir la compréhension complète de chacune d’entre elles. Implicitement, on considère donc que cela suffit et que la somme des connaissances de chacune des parties représente correctement la chose initiale étudiée.
L’opposition entre le réductionnisme et une approche holistique peut être résumée par les points suivants :
a) Critère d’évidence cartésien versus critère de pertinence prudente du choix de découpe du sujet/objet à étudier par rapport au reste du réel ;
b) Critère de réduction/division simplificatrice versus l’approche holistique, globale, multicritères, s’appuyant sur plusieurs types de modèles et angles de vues ;
c) Critère de la simplicité supposée du petit élément découpé versus prise de conscience que « l’élément » n’est rien d’autre qu’un sous-système lui-même hypercomplexe ;
d) Critère de causalité directe versus étude des fins du système (intentionnalité) par approches téléologiques des équifinalités et des ergodicité du système ;
e) Critère d’exhaustivité versus recherche pragmatique d’un optimum de compréhension minimum du système, en restant conscient des insuffisances de nos approches ;
f) Critère de certitude, d’arrogance de la science versus prise de conscience de nos incertitudes (pas seulement quantiques), de prudence et d’humilité vichienne de la science face à la complexité du réel.

Le réductionnisme peut donc être vu :
  • soit comme la première étape d’une opération correcte d’analyse, ceci, n’est valable que si cette phase est bien menée dans cet esprit, et est bien suivi des autres telles que décrites par la Systémique (voir II-3-6-b). Même la question de la non prise en compte de la sensibilité aux conditions initiales par Laplace, peut être un outil utile si cette opération est faite en spécifiant le degré d’incertitude volontairement accepté, incertitude normale des mesures (laissons de côté ici l'incertitude quantique), dans le but d’analyser un système sur un point particulier avec l’optique d’une théorie particulière à réfuter le cas échéant au sens poppérien du terme.
  • soit comme erronée et insuffisante car menée dans un esprit cartésien, ignorant les concepts systémiques.
Dans tous les cas, et comme il a déjà indiqué ici, il faut prendre garde à ne pas découper aveuglément le réel dans cette phase, cette découpe pouvant cacher des présupposés plus ou moins inconscients chez le scientifique menant cette phase. Plusieurs découpes du réel sont possibles dans pratiquement tous les cas, chaque découpe pouvant cacher des propriétés globales du sujet d’étude qui pourront être rendues visibles par d’autres découpes/approches.
On retrouve ici la question des modèles et des simulations dont les différents types, surtout lorsque le sujet d’étude est complexe et non simplement compliqué, apportent autant d’éclairages enrichissants de ce sujet.
Il est possible ici d'évoquer l'image du macroscope de J. de Rosnay, où le réductionnisme serait un zoom avant (un microscope) alors que l'approche holistique/systémique serait un zoom arrière. Descartes et le réductionnisme sont l'équivalent du zoom maximum, en grossissement maximum où l'on voit les détails de la carte, mais où l'on perd la vision globale de celle-ci. Le débat n'est donc pas de dire que cette approche, cet angle de vue, est mauvais, mais de dire qu'il est nécessaire mais pas suffisant. A deux titres :
  • risque de faire un zoom maximum sur un seul endroit de la carte en ignorant les autres
  • besoin de faire des zooms arrières pour récupérer une vision globale holistique de l'ensemble de la carte.
  • besoin de repartir en zooms maximum OU intermédiaires pour focaliser à nouveau sur un autre détail, à un autre endroit de la carte.
  • l'approche systémique c'est l'ensemble de cette démarche, ce n'est pas seulement le zoom arrière de vue globale de la carte. C'est bien l'ensemble des deux en une série de zooms avant et arrières incessants en allers-retours qui permettent précisément l'approche par multiples angles de vues, comme le recommande Leibniz (voir III-2-3) et par différents avis prudents, c'est la phronesis d'Aristote ou de la prudence de Vico.
On retrouve cette incompréhension très souvent, ainsi dans le site de la Fondation Constructiviste, on trouve un article très intéressant sur le supposé échec du constructivisme en éducation, sur le constat que l'application de l'approche par seule implication de l'élève dans l'enseignement ne suffit pas et donne un bilan décevant en terme de quantité de choses apprises par ce dernier. Ce constat relève simplement de cette incompréhension : il faut opérer par un mixage des méthodes d'enseignement en alternant sans idéologie :
  • l'apprentissage par « méthode directe » où que l'on peut qualifiée de méthode magistrale où l'élève absorbe directement les connaissances, voire apprend par cœur. Cette méthode est plus rapide à court terme mais démotivante pour l'élève et le professeur à terme.
  • l'apprentissage via l'auto-découverte par l'élève où celui-ci reconstruit les connaissances, certes plus lente à court terme, mais beaucoup plus motivante pour l'élève et son professeur. Méthode souvent à tort considérée comme exclusivement constructiviste, alors que la véritable méthode constructiviste consistera entre l'alternance des deux, tout comme les successions de zooms avant et arrière cités plus haut.
Apport de la Systémique : La Systémique accepte la réduction (mais non le réductionnisme c’est-à-dire la réduction érigée en méthode absolue comme l’a fait Descartes), comme une étape d’un processus délicat et à risques décrit en (II-3-6-b) dans la méthode systémique. Il s’agira donc de découper le réel –au sens du constructivisme- en pleine conscience que ce découpage « arbitraire » peut entraîner des artefacts dont il faudra savoir tenir compte.

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 Benjamin de Mesnard

samedi 31 octobre 2009

V-4) Essentialisme versus Substantialisme


L’ontologisme (ou substantialisme) soutient que chaque être est un être intrinsèquement, et qu’il possède donc en lui-même (en son âme dirait Aristote) ses propriétés. C’est un en quelques sortes le principe des vertus (les vertus dormitives de l’opium par exemple) tant moquées par Molière qui n’explique en effet rien en définitive sauf qu’il est supposé vain de chercher les causes de l’action constatée de tel ou tel corps ou substance. La version moderne de l’ontologisme soutient plus simplement que le monde s’articule autour du principe très général d’être, de système, qui doit par conséquent être étudié avant tout en tant que tel dans toutes recherches. Cet ontologisme a déjà été remis en cause dès l’antiquité avec Démocrite et l’atomisme -à noter l’opposition entre atomisme et ontologisme - pour qui les atomes s’accrochaient entre eux au hasard de leurs rencontres. Au XX° siècle, la philosophie a essayé de trouver d’autres bases en tentant d’opérer une reconstruction complète après Kant qui a été en quelque sorte le sommet de la philosophie ontologique. Cette destruction/ tentative de reconstruction moderne s’est perdue dans les méandres d’un sol qui se dérobait toujours plus comme l'avait prédit Kant et confirmé K. Popper. 
Au cœur du débat sur l’ontologie, se trouve celui entre Essentialisme et Substantialisme. L’Essentialisme est défendu par les « platoniciens » (Descartes et autres), donc les idéalistes, tandis que le Substantialisme est défendu par les « aristotéliciens » (Spinoza entre autres). L’essence vient des idées “ tombées ” en notre bas monde, tandis que la substance est le mélange intime -ontologique- entre forme et matière. On voit bien alors la proximité entre les approches idéalistes et essentialisme, où l’Être est considéré comme un référentiel absolu stable comme les Idées de Platon. On retrouve cette opposition radicale tout au long de l’histoire de la philosophie sous diverses formes et divers débats quelques fois sous couverts de débats “ nouveaux ” ou débats “ modernes ” alors qu’il s’agit au fond toujours de celui-ci. Ainsi par exemple le débat en politique ou économie entre libéraux et socialiste. Les premiers croient implicitement que le système économique est substantiel, c'est à dire qu'il comporte intrinsèquement, en lui-même tout ce qui lui faut pour s'auto-piloter et s'auto-réguler (autonome). Les second croient au contraire que le système économique n'est pas auto-suffisant, qu'il a besoin d'un pilotage venu d'en-haut, d'une régulation externe, et donc essentielle (hétéronome). De même que les idées de Platon tombent dans un corps depuis le monde immuable des Idées essentielles, cette fonction de pilotage doit tomber depuis le haut (par exemple l'état marxiste centralisé ou tout autre état autoritaire/interventionniste) sur le système économique. On retrouve ainsi les liens idéologiques sous-jacents bien que quelque fois paradoxaux entre le socialisme et l'idéalisme alors que celui-ci se réclame du matérialisme... une fois de plus les extrêmes se rejoignent dans leurs oppositions. 

Apport de la Systémique : la Systémique se rapproche du substantialisme, mais à la manière d'Aristote. Car la Systémique ne perd jamais de vue que ce qui peut être interprété comme substance à un certain niveau du réel -ou pour un certain sous-système découpé dans le réel-, pourra être complètement redéfini ou remis en question via une autre découpe. C’est pourquoi la Systémique recommande fortement d’avoir recours à plusieurs approches/découpes simultanées dans l’étude du réel afin de vérifier et conforter ou au contraire infirmer (avec une prudence vichienne...) une conclusion quant aux propriétés « substantielles » de l’objet étudié. Le caractère substantiel est donc bien mis ici entre parenthèses car non seulement il n’est pas Essentiel avec un grand « E », mais est bien relatif à la découpe/approche adoptée pour l’étudier. Ainsi, -comme déjà évoqué- l’action d’un médicament sur un type de maladie, pourra être considéré dans l’approche d’un praticien au quotidien comme substantielle, alors qu’elle sera vue comme circonstancielle par le chercheur spécialiste du domaine qui sait que cette action dépend d’un jeu complexe d’interactions et inter-relations qui fait que celle-ci pourra ne pas fonctionner dans certains cas, voire déclencher des effets pervers dans d’autres. Ou encore en matière d'économie, un système de pilotage peut être vu comme externe au système piloté. Mais il peut être également considéré que le pilote (régulation) et le système piloté sont deux sous-systèmes au sein du même système. On retrouve ici sous une autre approche la nécessaire séparation des pouvoirs chère à Montesquieu. Tout cela, ne signifie pas pour autant que la Systémique soit une philosophie relativiste, car si les approches/découpes opérées dans le réel par le chercheur sont relatives à son point de vue ou à ses choix de recherches, le réel lui existe bel et bien.

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Benjamin de Mesnard

samedi 30 mai 2009

IV) Théories opposées à la Systémique (IV-5 Matérialisme Dialectique)

IV-5) Matérialisme Dialectique

1° Remarque préliminaire : cet article suit logiquement celui sur le Positivisme, comme on va le voir.
2° Remarque préliminaire : la logique dialectique de Hegel, puis la logique dialectique matérialiste d’Engels et de Marx n’ont rien à voir avec la Logique Formelle qu'elle prétends remplacer. La Logique Formelle ne s’intéresse pas au contenu subjectif d’un énoncé mais à son contenu formel. Son but est de faire logiquement découler un énoncé d’un autre énoncé objectivement et sans ambiguïté possible. Pour cela chaque énoncé doit être défini « formellement », c'est-à-dire dans un langage dénué de tout contenu subjectif. Sa première apparition vient d’Aristote avec les syllogismes, (voir III-2-1). Cette approche est propre aux mathématiques en général, dans le but de parvenir finalement à ramener tout raisonnement à une tautologie : A=A.

Selon Engels la Dialectique repose sur trois « lois » :
  •  l’unité et l'interpénétration des contraires ;
  •  la négation de la négation ;
  •  la transformation de la quantité en qualité.
[ENGELS F., « Dialectique de la nature », 1883, collection "Les classiques des sciences sociales", Éditions sociales, 1968, (Ed. Originale 1925), p 52].

IV-5-1) Pour l’unité et l'interpénétration des contraires

Selon Engels ou Lénine, la dialectique, « dialectique comme à la forme suprême de la pensée » [ENGELS, Friedrich, « L’Anti-Dühring », 1878], se veut successeur de la Logique Formelle. Étant conforme à ce que Hegel appelle la « philosophie des identités » ou panlogisme, philosophie soutenant que les idées faisant le monde (ou l'inverse chez les matérialistes), il y a identité entre les idées et les objets réels. Elle s’attache à étudier l’objet ou l’idée, le concept (panlogisme) ou encore une théorie (A), c’est la thèse. En passant on remarque que ce (A) est de fait découpé dans le réel par les dialecticiens, mais sans aucune réflexion ni précaution sur les conséquences de cette découpe arbitraire… De ce (A) ils en tirent son opposé contradictoire, objet, ou idée, concept ou encore théorie (non A), c’est l’anti-thèse. Selon eux, sans cette analyse dialectique, souvent réalisée après coup, après la découverte de cet objet, idée ou théorie, la démarche scientifique est vidée de son sens et surtout incomplète car le processus doit continuer. Après la thèse et l’anti-thèse, le dialecticien se doit d’en opérer la synthèse [(A) et (non A)]. Ensuite le dialecticien pourra continuer encore en faisant l’anti-thèse [non ((A) et (non A))] de la synthèse, suivi d’une nouvelle synthèse encore [((A) et (non A)) et (non ((A) et (non A)))] et ainsi de suite… sans jamais faire référence à de quelconques tests, expérimentations de toutes ces thèses, anti-thèses et synthèses dans le monde réel. D’aucuns pourront plaider en faveur de cette « méthode » en disant qu’elle permet d’être complet dans l’analyse de l’objet étudié. Or si Leibniz dit, lorsqu’il souhaite découvrir une ville qu’il ne connaît pas, commencer par en faire le tour complet, il ne dit pas qu’il va en prendre l’opposé, la négation de cette ville !Cette approche est aujourd’hui décriée voire méprisée ou combattue comme dangereuse en souvenir douloureux du matérialisme dialectique et ses dégâts notamment sous Staline ou sous Mao et la « science matérialiste » ou encore la « science prolétarienne » qui étaient autant de pseudo-sciences.

Il apparaît que la Dialectique est utilisée sous trois modes différents malheureusement confondus entre eux :

   a) Le mode méthodologique (outil de pensée) :

Le matérialiste dialectique revendique le fait d’être non seulement scientifique et philosophique mais surtout d’être LA Méthode scientifique devant être utilisée par tous les scientifiques. En passant, on peut noter que cette ambition n’est pas sans rappeler celle de Descartes, avec des résultats tout aussi désastreux. Cette méthode consiste donc a prendre un objet ou un être étudié ou encore une idée en l’analysant directement, en tant que tel (thèse), puis de faire l’hypothèse de son contraire/ opposé/ antinomie ou encore de sa non-existence « pour voir » ce qui se produirait dans ce cas (antithèse) et enfin d’en tirer les conclusions qui s’imposent en gardant « le meilleur » (mais sur quels critères ?) des thèses et antithèses (synthèse). Cependant on peut s’interroger en passant sur ce que l’on entend exactement par antithèse lorsqu’il s’agit par exemple d’un être humain, d’un ordinateur, d’une fleur ou tout autre objet ou être du monde réel… car quelle est l'antithèse d'une pomme ? Vaste débat !
On est au cœur ici du point soulevé par Mario Bunge dans « Matérialisme Scientifique » [BUNGE, Mario, 2008] : la dialectique prétend s'appliquer aussi bien aux objet réels qu'aux idées, c’est le panlogisme évoqué plus haut. Mais comme le fait remarquer K. Popper, ce n’est pas parce que l’anglais est une langue qui peut exprimer des idées, des concepts, sur le monde, que le monde est anglais. Autant il est possible d'imaginer l'opposé d'un concept (vide vs plein, ouvert vs fermé,...) bien que cela soit contestable car tout n'est pas binaire (un verre peut être à moitié plein...), autant il est impossible d'imaginer l'opposé de clé, de vache ou de barre de fer...
Mais il y a plus grave encore avec le matérialiste dialectique utilisé en tant que méthode scientifique comme l’a souligné K. Popper dans, par exemple, « Conjecture and Refutation » :
- Une théorie, une thèse, ne génère pas une antithèse, ce sont les chercheurs qui se livrant à une mise à l’épreuve critique d’une nouvelle théorie, peuvent arriver soit à une autre théorie (pas forcément opposée à la première), soit produire plusieurs autres théorie (et non une antithèse unique), soit… à rien.
 - Cela est la première étape, après la phase de mise à l’épreuve critique, des tests, des expérimentations selon un protocole strict, rigoureux et reproductible, doivent impérativement être réalisées, pour tester cette théorie. Or cette phase de tests, si vitale pour déterminer si une théorie est scientifique (car réfutable) et si elle « survit » au tests (où elle sera éventuellement réfutée donc), n’est jamais mentionnée par les tenants du matérialisme dialectique. Pour eux on fait une thèse, puis une antithèse, puis on en conclu une synthèse et on continue par une anti-thèse de la synthèses etc., c’est tout. Il n’y a jamais aucune référence à des expérimentations qui pourrait permettre au monde réel de trancher par le rejet des théories fausses car réfutées par celui-ci, refer le texte de K. Marx au paragraphe suivant. Le matérialisme dialectique est donc en cela détaché du monde réel
 -  Pour le matérialisme dialectique, ce qui compte c’est trouver des oppositions, des contradictions à une thèse pour arriver à une antithèse via des couples d’oppositions binaires (voir V-16). Or, comme expliqué par K. Popper, le véritable intérêt de la démarche scientifique est de produire des théories testables (intrinsèquement réfutables). Puis de les tester dans le but de tenter de les réfuter pour les éliminer et tirer des leçons de ces échecs par essais/erreurs, ce qui permet de produire de nouvelles théories meilleures car capable de survivre aux tests précédents... puis peut-être échouer à de nouveaux tests. Inventer à toute force une antithèse, une anti-théorie face à une théorie ne présente aucun intérêt, et encore moins vouloir à tout prix en sortir une synthèse ! On est ici en plein dans les pensées confuses et virevoltantes de Marx comme cité en (b) ci-dessous.
 
   b) Le mode logique contre la Logique Formelle :

Le mode logique consiste à ériger la Dialectique en une nouvelle sorte de logique, opposée à, et remplaçant, la Logique Formelle. Au lieu d’avoir recours à des concepts formels objectifs dénuées de toutes ambiguïtés, on invente donc un item logique (A), on l’affirme, puis on le nie par (non A), c’est l’anti-thèse, puis on opère la synthèse, « l’union des contraires » d’Engels, en concluant par [(A) et (non A)]. (A) peut être ici n’importe quel affirmation, idée, chose ou sujet : « la porte est ouverte », « telle fréquence lumineuse est perçue comme une couleur bleue », « il pleut », « l’astrologie est une science », cet animal est un éléphant » etc… Elle peut être aussi bien une idée, un concept, un être vivant qu’un objet réel suivant ce que Hegel, repris par Marx, appelle la « philosophie des identités » ou « panlogisme ».
Or, rien n'est plus efficace pour détruire la Logique dialectique que la vraie logique, la Logique Formelle ou la Théorie des Ensembles. En effet, les détracteurs de la Dialectique n’ont pas manqué d’observer que cette logique n’est pas réfutable puisque si [(A) ou (non A)] est toujours vrai, [(A) et (non A)], c’est à dire la synthèse dialectique est par contre toujours fausse. Or si en Logique Formelle d'une proposition vraie il est possible de conclure quelque chose, par contre d'une proposition fausse, par définition, on ne peut rien conclure… C’est en somme Aristote à l’envers puisque celui-ci prenait bien l’exemple de la porte nécessairement ouverte ou fermée, mais pour expliquer la logique du « tiers exclu » : la porte ne peut pas être à la fois fermée et ouverte, elle est soit l’un soit l’autre. Il avait donc bien compris, lui, 2400 ans avant Engels, Lénine et Staline que [(A) et (non A)], la synthèse dialectique est nécessairement fausse ! C’est bien le reproche souvent fait à la Dialectique : on ne peut rien en conclure, c’est à dire, en conclure n’importe quoi comme tout charlatan le ferait.

Peut-être faut-il alors aller chercher du côté de Marx lui-même dans «  Misère de la Philosophie » p 72 ? : « Mais une fois qu'elle est parvenue à se poser en thèse, cette thèse, cette pensée, opposée à elle-même, se dédouble en deux pensées contradictoires, le positif et le négatif, le oui et le non. La lutte de ces deux éléments antagonistes, renfermés dans l'antithèse, constitue le mouvement dialectique. Le oui devenant non, le non devenant oui, le oui devenant à la fois oui et non, le non devenant à la fois non et oui, les contraires se balancent, se neutralisent, se paralysent. La fusion de ces deux pensées contradictoires constitue une pensée nouvelle, qui en est la synthèse. Cette pensée nouvelle se déroule encore en deux pensées contradictoires qui se fondent à leur tour en une nouvelle synthèse. De ce travail d'enfantement naît un groupe de pensées. Ce groupe de pensées suit le même mouvement dialectique qu'une catégorie simple, et a pour antithèse un groupe contradictoire. De ces deux groupes de pensées naît un nouveau groupe de pensées, qui en est la synthèse. ». Pensées déconnectées de la réalité, confuses et virevoltantes de Marx, on est si loin des réflexions si profondes et lumineuses d’un Aristote, Bachelard, Popper, Hayek, Morin, etc. Et c’est avec ces pensées là, que le Marxisme va se revendiquer comme science et philosophie… Misère de la philosophie en effet. C’est une autre parenté avec Descartes dont la méthode repose sur l’introspection, et donc ses idées personnelles, et non l’expérimentation, et s’en satisfait.

   c) Le mode d’opposition des contraires pré-identifiés :

L’opposition des contraires factuels déjà identifiés, consiste à prendre deux états (par exemple) d’une machine, un objet ou un être dont on a constaté l’opposition de fait : états d’une être vivant : vivant versus mort, états d’un morceau de bois : sec versus mouillé, etc… pour analyser chacun d’entre eux – démarche légitime -, analyser comment et de quelle manière ils sont en contradiction et en opposition. On en tire alors une conclusion qui est une espèce de mise en exergue, un éclairage, de cette opposition. L'intérêt de ce mode dialectique ne dépasse guère le niveau de la tautologie n’apportant aucune information « un être vivant doit, certes, être vivant ou bien mort » un peu à la manière d’un M. Jourdain de Molière... mais peut être utile notamment en pédagogie.

F. Engels nous donne ainsi une exemple très parlant d’opposition de contraires pré-identifiés : « La chaleur est une « force » de répulsion, elle agit donc en sens opposé à celle de la pesanteur et de l'attraction chimique, elle est de signe -, si celles-ci sont affectées du signe +. Si donc Helmholtz a constitué sa réserve primitive de force avec de l'attraction universelle et chimique, une réserve de chaleur qui existerait encore outre celle-ci ne devrait pas être ajoutée à cette réserve de force, mais en être retranchée. Sinon la chaleur solaire devrait renforcer la force d'attraction de la terre, lorsque, - précisément contre celle-ci, - elle fait évaporer l'eau et s'élever la vapeur ; ou bien la chaleur d'un tube de métal incandescent, dans lequel on fait passer de la vapeur d'eau, devrait renforcer l'attraction chimique de l'oxygène et de l'hydrogène, alors qu'au contraire elle la fait cesser. ». [Engels F., « Dialectique de la nature », 1883, p 69] Ce passage fait fortement penser à la « physique » de l’Antiquité : à cette époque certains philosophes pensaient que comme la vapeur s’élevait dans l’air, c’est qu’elle devait regagner « son lieu naturel », le ciel, tandis que si la pierre tombait sur la terre, c’était pour rejoindre « son lieu naturel » terrestre. Ici Engels est sur une légère variante : la chaleur fait s’ « évaporer l'eau et s'élever la vapeur » c’est qu’elle est une force de répulsion, à l’opposé (dialectique) de la pesanteur qui est une force d’attraction ! Évidence toute cartésienne et dialectique de LA Méthode scientifico-philosophique du Matérialisme dialectique. Il faut noter qu’à cette époque, en 1883, lorsque Engels a écrit cette « œuvre », « Dialectique de la nature », tous les gens un peu éduqués savaient pourtant que si la vapeur s’élevait dans l’air, c’est tout simplement parce que sa densité est plus faible. C’est juste un principe découvert par Archimède, grand savant de… l’Antiquité ! Il faut rappeler qu’une vraie science traitant de la chaleur et de l’énergie, la Thermodynamique, existait déjà à l’époque où Engels rédigeait ces fantaisies matérialistes dialectiques sur « la chaleur « force » de répulsion »… Après la misère de la philosophie, c’est le néant scientifique...

Ces trois modes si souvent confondus étant précisés, il devient alors possible de clarifier le positionnent de la Dialectique par rapport à la Systémique :
  • Le mode méthodologique, peut ne pas être opposé à la Systémique s’il est utilisé par un… non dialecticien. Tout comme une certaine réduction du réel, le découpage conscient d’un sous-système dans ce que l’on croit être le réel, peut être utilisé par un non cartésien, c'est-à-dire un chercheur qui ne l’utilisera qu’en tant qu’outil limité et à risques ; ce mode dialectique pourra être utilisé à certaines phases de l’étude, et à certaines phases seulement et avec la plus grande prudence... mais il est clair que ce mode sera surtout un risque de perte de temps au minimum, voire un risque de se fourvoyer pour un chercheur qui gagnerait grandement à utiliser la directement la méthode de conjecture et réfutation de K. Popper.
  • Le mode logique par contre est clairement anti-systémique, nous pourrions plus exactement dire : erroné. Résolument contraire à la Logique Formelle –qui, elle, est compatible avec la systémique-, elle permet tous les abus, toutes les dérives de types Lyssenko, ou autres « sciences matérialistes » du communisme. C’est pour cette raison, qu’il convient de ranger le matérialisme dialectique clairement du coté des approches opposées à la Systémique, contrairement à la volonté affichée de certains des tenants de ce matérialisme dialectique –comme L. Sève dans « Émergence, Complexité et Dialectique »- en voulant la récupérer à leur profit. En effet la Dialectique est le plus souvent comprise sous le mode logique uniquement  par ses défenseurs autant que par ses détracteurs.
  • Le mode d’opposition des contraires pré-identifiés pourra de même être utilisé par un non dialecticien, dans le seul but de faire le tour d’une opposition, par exemple un changement de phase avant/après ce changement et seulement dans ce cadre limité, avec la même prudence aristotélo-vichienne et les mêmes limitations que pour le mode méthodologique.

IV-5-2) Pour la négation de la négation

Il faut ici citer un très bel exemple d’Engels pour bien comprendre ce « concept » dans « L’Anti-Dühring » p 75 : « Il en va de même en mathématiques. Prenons une grandeur algébrique quelconque, par exemple a. Nions-la, nous avons - a. Nions cette négation en multipliant - a par - a, nous avons +a², c'est-à-dire la grandeur positive primitive, mais à un degré supérieur, à la seconde puissance. (…) la négation niée est si ancrée dans qu'il a dans tous les cas deux racines carrées, soit a et -a. Et cette impossibilité de se débarrasser de la négation niée, de la racine négative contenue dans le carré prend une signification très sensible dès les équations du second degré. ».
De cet exemple on peut tirer trois enseignements :
 • Engels est nul en arithmétique : pour faire sa 1° négation, il multiplie correctement a par – 1 pour avoir -a, mais au moment de faire la 2° négation, au lieu de multiplier à nouveau par -1, tout à coup, il multiplie -a par lui-même (en quoi est-ce une négation ?) pour arriver évidemment à ! Et personne ne peut comprendre pourquoi la négation est tantôt un carré tantôt une multiplication par -1 ! Il est vrai, qu'il aurait fait sa négation de la négation en multipliant à nouveau comme il faut par -1, il serait alors retombé sur a... ce qui ne présentait aucun intérêt et donnait même un exemple d'un ennui sans nom.
 • Suis une belle envolée lyrique sur bien supérieur à a... On comprend le message : si la classe ouvrière fait sa négation de la négation, grâce au Matérialisme Dialectique, elle sera la « classe ouvrière au carré », bien supérieur à la classe ouvrière simple pré-marxiste et deviendra donc la classe dominante !
 • Enfin Karl Popper, sur cet exemple de matérialisme dialectique d’Engels, ajoute perfidement la remarque suivante : « Et dans quel sens a² est « plus grand » que a ou -a ? (Certainement pas dans le sens d’être numériquement plus grand car si a = 0,5 alors a² = 0,25). Cet exemple montre l’arbitraire extrême avec lequel les idées vagues de la dialectique sont appliqués. » [POPPER K., « Conjecture and Refutation », 1963, Ed. RouteLedge, p 434]
 • Nous somme bien devant une pseudo-philosophie, ou pseudo-science au choix.

Autre exemple des apports irremplaçables de la logique dialectique, toujours p 75 : « Les mathématiques élémentaires, les mathématiques des grandeurs constantes, se meuvent, du moins dans l'ensemble, à l'intérieur des limites de la logique formelle; les mathématiques des grandeurs variables, dont le calcul infinitésimal forme la partie la plus importante, ne sont essentiellement que l'application de la dialectique à des rapports mathématiques. ». Note : Où voit-il une telle chose ? « (…) Mais presque toutes les démonstrations des mathématiques supérieures, dès les premières démonstrations du calcul différentiel, sont, à strictement parler, fausses du point de vue des mathématiques élémentaires. ». Note : Heureusement, Engels est là car aucun de nos grands mathématiciens ne l’avait vu ! « Il ne peut en être autrement, dès que, comme c'est ici le cas, l'on veut démontrer au moyen de la logique formelle les résultats obtenus sur le plan de la dialectique. ». Note : on connaît bien les résultats très riches de la Logique Formelle ou du calcul différentiel, mais encore faudrait-il qu’il nous démontre quels sont les « résultats » obtenus par la dialectique ?

Dernier exemple d’Engels p75, montrant ici l’apport déterminant du matérialisme dialectique et sa négation de la négation à la biologie et à l’horticulture : « par exemple un dahlia ou une orchidée; traitons la semence et la plante qui en naît avec l'art de l'horticulteur : nous obtiendrons comme résultat de cette négation de la négation non seulement davantage de semence, mais aussi une semence qualitativement meilleure, qui donne de plus belles fleurs, et toute répétition de ce processus, toute nouvelle négation de la négation renforce ce perfectionnement. ».
Remarque importante : Cet exemple est intéressant car il avait été utilisé il y a 2400 ans par Aristote puis repris il y a 800 ans par Thomas D’Aquin, comme on le voit ce n’est pas récent… Mais ces deux philosophes avaient eux compris correctement ce que signifiait la transformation de la graine en plante générant à son tour des graines. La nature, la propriété de la graine, son être, est précisément de pouvoir se transformer, d’évoluer en plante par la germination. Cette possibilité fait partie intrinsèquement de son être, c’est même selon Aristote sa finalité. Ces deux philosophe nous expliquent que la graine est en puissance plante, elle-même en puissance graines. Loin de se nier, la graine se réalise positivement en devenant plante, car c’est le propre de son être. Sans le savoir Aristote et Th. D’Aquin ont souligné, par là même, la plus grave des erreurs du Matérialisme Dialectique : Marx et Engels prennent pour une négation, voire une négation de négation, ce qui est en réalité hautement positif, car passage de la puissance à l’acte, de la graine, se réalisant pleinement en germant et en devenant plante. Cette grave erreur est pire qu’une erreur, c’est une inversion de la pensée, qui prends pour une négation (donc destruction) une évolution normale et positive d’un être qui se réalise librement pour ce qu’il est vraiment : passage de la graine qui est en puissance une plante, à la plante en acte. On comprend mieux alors toutes les destructions systématiques qui ont pu accompagner et accompagne encore les prises de pouvoir par des régimes Marxistes. Ces destructions étant vues comme autant de négations (et négations de la négation) bien fondées et nécessaires à l’avènement de la dictature supposée du prolétariat, voire même vengeance contre les bourgeois et leurs réalisations.

IV-5-3) Pour la transformation de la quantité en qualité

C'est la transformation de la quantité en qualité, Engels, mais aussi Marx en donnent de nombreux exemples. L’exemple préféré de Engels - qui revient souvent chez Marx, Lénine puis Staline - est celui de l’eau à différentes températures. Ainsi : « Nous avons donné là un des exemples les plus connus : celui de la transformation des états d'agrégation de l'eau qui, sous pression atmosphérique normale, à 0 °C, passe de l'état liquide à l'état solide et à 100 °C, de l'état liquide à l'état gazeux, en sorte qu'à ces deux tournants, le changement purement quantitatif de la température entraîne un état de l'eau qualitativement changé. ». [Engels « L’Anti-Dühring » p 71]. Certes, mais cela ne fait pas une science. Tout d’abord ce genre d’analyse très intéressante, n’apporte rien aux vrais scientifiques. Ensuite on a l’impression d’être revenu à l’Antiquité ou au Moyen-Age dont les penseurs avaient déjà amplement travaillé les problèmes de de qualité des corps, qualité (Forme) opposée à la quantité (Matière), comme avec Platon ou au contraire unies comme avec Aristote et Thomas D'Aquin. Arrivé au au XIX ° siècle, il aurait été temps de dépasser cela.. D’ailleurs, à la même époque, les vrais scientifiques étaient capables de quantifier précisément le flux d’énergie nécessaire pour faire passer un kilo d’eau de glace à liquide en fonction de la pression atmosphérique. Cela s’appelle la Thermodynamique. Cette (vraie) science a permis de créer les machines à vapeur, car elle maîtrisait les flux d’énergie nécessaires (ex : l’enthalpie libre de la 2° loi de la Thermodynamique) par contre on n’a jamais vu une locomotive avancer avec de la « loi de la  transformation de la quantité en qualité » dialectique ! En physique, et en Systémique, on appelle cela un changement de phase, mais cet apport d’énergie ne change pas la qualité de l’eau, elle va provoquer un changement de phase de l’eau, les molécules d’eau restant des molécules d’eau ! Ce qui est différent. Car ici précisément, la qualité de l’eau est unique, en physique on parle d’ailleurs de propriété : le propre de l’eau, sa caractéristique, sa propriété, son être aurait dit Aristote, est d’avoir deux changement de phases à 0 °C et 100 °C à 1 bar de pression atmosphérique, sous l’effet d’un flux d’énergie. La Systémique évoque aussi dans ce type de cas l’émergence, (voir II-5-1), d’une nouvelle organisation du système (ici l’organisation des molécules d’eau entre elles), c’est l’auto-éco-ré-organisation de la Systémique. Mais il ne s’agit en aucun cas d’une nouvelle « qualité ». De plus avec cette notion de « quantité se transformant en qualité », c'est l’énergie qui devrait se transformer de glace en liquide à 0 °C, puisque c'est l'énergie dont la quantité s'accroît et non l'eau !

Dans un autre exemple Engels cherche à faire varier la quantité de la matière directement concernée par le changement de qualité afin d’éviter l’écueil de la variation de l’un (l’énergie) censé faire changer la qualité de l’autre (l’eau) et ainsi mieux répondre au précepte de la dialectique de la transformation de la quantité en qualité : « Cependant le domaine dans lequel la loi de la nature découverte par Hegel connaît ses triomphes les plus prodigieux est celui de la chimie. On peut définir la chimie comme la science des changements qualitatifs des corps qui se produisent par suite d'une composition quantitative modifiée. Cela, Hegel lui-même le savait déjà (Logique, éd.. compl. III, p. 433). ». Note  : technique habituelle chez les marxistes matérialistes dialectiques : s’approprier après coup des découvertes scientifiques faites par d’autres, ici c’est grâce à Hegel, qui était un grand chimiste selon Engels, qu’il a été possible de découvrir et fabriquer les protoxyde d'azote et pentoxyde d'azote… belle falsification de l’histoire ! : « (…) Quelle différence entre le gaz hilarant (protoxyde d'azote N2O) et l'anhydride azotique (pentoxyde d'azote N2O5) ! Le premier est un gaz, le second, à la température habituelle, un corps solide et cristallisé. Et pourtant toute la différence dans la combinaison chimique consiste en ce que le second contient cinq fois plus d'oxygène que le premier. » [Engels F., « Dialectique de la nature » p 55].
Engels ne comprends pas que dans l'exemple qu’il donne sur le protoxyde d'azote N2O versus le pentoxyde d'azote N2O5, il ne s’agit pas d’un simple ajout de quatre atomes d’oxygène à un tas de deux atomes d’azote et un d’oxygène pour donner un nouveau tas de deux atomes d’azote et cinq atomes d’oxygène. Il s’agit au contraire de réactions chimiques complexes, produisant de nouvelles structures atomiques, organisées autrement et d’une manière très précise. Les chimistes ne peuvent d’ailleurs pas produire du pentoxyde d’azote N2O5 en ajoutant 4 atomes d'oxygène au protoxyde d’azote N2O ! Il doivent opérer par une réaction chimique complexe : P4O10 + 12 HNO3 → 4 H3PO4 + 6 N2O5 à partir de composés chimiques, l'acide nitrique HNO3 et le pentoxyde de phosphore P4O10 eux aussi complexes et qui auront dû être produit préalablement... et n'ont rien à voir avec le protoxyde d'azote N2O. Sa soit-disant dialectique de la quantité se transformant en quantité, est juste fausse : la production de pentoxyde d’azote N2O5 se fait au contraire par l’émergence Systémique d’un nouveau système moléculaire, par une auto-ré-organisation via des réactions chimiques complexes des inter-relations entre atomes et en partant de molécules qui ne sont pas le protoxyde d'azote N2O
La molécule qu’il prend en exemple, le pentoxyde d’azote, a aussi une configuration spatiale très précise – comme toutes les molécules d’ailleurs – avec un angle de 114° entre les deux liaisons électroniques reliant l’atome d’oxygène central aux deux atomes d’azote. Cette géométrie spécifique est cruciale dans la compréhension de cette molécule et de ses propriétés, chose qu’Engels ne voit pas avec sa dialectique et son simple ajout de quantité bien cartésien… D’ailleurs ces configurations spatiales, l’organisation, la structure du système constitué par une molécule est une clé incontournable de la compréhension en chimie organiques. On ne peut pas faire de chimie organique sans cela. De plus cette nouvelle molécule peut être instable, comme c’est le cas du pentoxyde d’azote. Il est en double réaction ionique N2O5 ↔ [NO2+][NO3-] en se décomposant puis se recombinant au niveau de l’atome d’oxygène relié aux deux atomes d’azote, entre trois types de structures atomiques différentes N2O5, NO2+ et NO3-, sans apport d’aucune quantité supplémentaire d’atomes ! :


On voit bien que l’un des plus grand penseur du Marxisme vénéré encore maintenant par beaucoup, a lu à droite et à gauche quelques littératures plus ou moins scientifiques, il analyse de même sur un chapitre entier de « Dialectique de la nature » le… spiritisme. Il a ensuite tout mélangé pour y retrouver à tout prix son matérialisme dialectique sacro-saint à travers un charabia pseudo-scientifique. On est donc en pleine confusion avec les Matérialistes Dialectiques Marxistes, qui s’apparentent ainsi à des charlatans cherchant à revendiquer (via des erreurs et des incompréhensions grotesques) l’appropriation après coup des découvertes scientifiques. En réalité, pas une seule découverte scientifique n'a été faire avec cette « méthode »...

IV-5-4) Positivisme, évidence cartésienne de la « vérité objective » et du socialisme scientifique pour J.V. Staline

Conscient de la faiblesse philosophique du matérialisme dialectique, J.V. Staline a voulu en 1938 faire rédiger par une commission un texte à sa signature, et donc incontestable : « Matérialisme dialectique et Matérialisme historique ».
Le but de ce texte court était de remettre au clair les fondements du matérialisme dialectique, puis du matérialisme historique : « Le matérialisme historique étend les principes du matérialisme dialectique à l’étude de la vie sociale ; il applique ces principes aux phénomènes de la vie sociale, à l’étude de la société, à l’étude de l’histoire de la société. » [Ibid, p 1]. Afin de montrer « quel trésor théorique Lénine a sauvegardé pour le Parti contre les atteintes des révisionnistes et des éléments dégénérés, et quelle importance a eu la parution de l'ouvrage de Lénine, Matérialisme et empiriocriticisme, pour le développement de notre Parti. » [Ibid, p 20].
Staline commence par user du même artifice que Marx (voir IV-6) : il assène des affirmations répétées sans démonstrations via des glissements sémantiques, des manipulations psychologiques, afin de les faire passer comme étant valides pour un lecteur peu attentif (ou déjà convaincu…). Il ainsi recours à maintes reprises au tour de magie suivant :
  1. il part d’une implication (A → B) qui peut sembler d'une évidence toute cartésienne au sens commun bien qu’aucunement prouvée scientifiquement.
  2. Puis il écrit « si A est vrai, il est clair que B est naturel, vrai, inévitable, justifié etc... », ce que le lecteur est contraint d’approuver. Il ne cherchera pas à le contester puisque « évident » intuitivement au sens cartésien du terme, or on a vu en (IV-2) la peu de valeur de ces « évidences ».
  3. Puis il conclu « Par conséquent B est vrai », et la pseudo démonstration est faite! 
Or, quand as-t-il démontré que A est vrai ? Quand as-t-il démontré que l'implication (A → B) est vraie ? Jamais ! Il confirme ainsi que le Matérialisme Dialectique ne repose pas sur le réel, tester l’hypothèse – au sens de Popper - « Si A est vrai » via une expérience menée dans le monde réel n’est jamais envisagé... de même que le test de l'implication (A → B) d'ailleurs.
Par exemple : « S’il est vrai que le passage des changements quantitatifs lents à des changements qualitatifs brusques et rapides est une loi du développement, il est clair que les révolutions accomplies par les classes opprimées constituent un phénomène absolument naturel, inévitable. Par conséquent, le passage du capitalisme au socialisme et l’affranchissement de la classe ouvrière du joug capitaliste peuvent être réalisés, non par des changements lents, non par des réformes, mais uniquement par un changement qualitatif du régime capitaliste, par la révolution. Par conséquent, pour ne pas se tromper en politique, il faut être un révolutionnaire et non un réformiste. Poursuivons. S’il est vrai que le développement se fait par l’apparition des contradictions internes, par le conflit des forces contraires sur la base de ces contradictions, conflit destiné à les surmonter, il est clair que la lutte de classe du prolétariat est un phénomène parfaitement naturel, inévitable. » [Ibid, p 6].
Ici, la pseudo-démonstration s’écroule car il n’a jamais été démontré la vérité de sa soit-disant « loi » historique typiquement historiciste du « passage des changements quantitatifs lents à des changements qualitatifs brusques et rapides est une loi du développement, » ni celle du « développement se fait par l’apparition des contradictions internes  ».
Non seulement « Si A est vrai » n’est jamais démontré, mais Il peut même avoir recours à une implication (A→ B) ad-hoc inventée de toute pièce, non démontrée et ne relevant ni du sens commun ni de l’évidence cartésienne. Ici il décrète une implication logique entre une supposée « loi de la nature » censée se retrouver mécaniquement dans une « loi de la vie sociale »… tout en ayant toujours recours à son tour de magie répétitif : « S'il est vrai que la liaison des phénomènes de la nature et leur conditionnement réciproque sont des lois nécessaires du développement de la nature, il s'ensuit que la liaison et le conditionnement réciproque des phénomènes de la vie sociale, eux aussi, sont non pas des contingences, mais des lois nécessaires du développement social. Par conséquent, la vie sociale, l'histoire de la société cesse d'être une accumulation de "contingences", car l'histoire de la société devient un développement nécessaire de la société et l'étude de l'histoire sociale devient une science. Par conséquent, l'activité pratique du parti du prolétariat doit être fondée, non pas sur les désirs louables des "individualités d'élite", sur les exigences de la "raison", de la "morale universelle", etc., mais sur les lois du développement social, sur l'étude de ces lois. » [Ibid p 8].
Staline démontre donc une fois de plus le caractère résolument historiciste et le scientisme positiviste pseudo-scientifique du matérialisme dialectique marxiste... Grâce à cette « méthode », il arrive ainsi à la conclusion du caractère prétendument scientifique du socialisme : «  Poursuivons. S'il est vrai que le monde est connaissable et que notre connaissance des lois du développement de la nature est une connaissance valable, qui a la signification d'une vérité objective, il s'ensuit que la vie sociale, que le développement social est également connaissable et que les données de la science sur les lois du développement social, sont des données valables ayant la signification de vérités objectives. Par conséquent, la science de l'histoire de la société, malgré toute la complexité des phénomènes de la vie sociale, peut devenir une science aussi exacte que la biologie par exemple, et capable de faire servir les lois du développement social à des applications pratiques. Par conséquent, le parti du prolétariat, dans son activité pratique, ne doit pas s'inspirer de quelque motif fortuit que ce soit, mais des lois du développement social et des conclusions pratiques qui découlent de ces lois. Par conséquent, le socialisme, de rêve d'un avenir meilleur pour l'humanité qu'il était autrefois, devient une science. » [Idem p8]. Or, comme l’explique K. Popper, Bachelard ou B. d’Espagnat le monde n’est pas connaissable directement, il est voilé, on ne peut qu’espérer éliminer, réfuter, les théories fausses, et plus la flamme vacillante des sciences progresse, plus elle dévoilent des ombres de plus en plus grandes et mouvantes comme le dit si bien G. Bachelard. En aucun cas les théories scientifiques ne peuvent prétendre à une « vérité objective » !
Par cette « méthode » Staline parvient ainsi à « démontrer scientifiquement » que :
  1. le socialisme est scientifique et qu'il est capable d’atteint la « vérité objective » ; 
  2. le socialisme atteint cette « vérité objective » scientifiquement également pour les phénomènes de la vie sociales, autant que pour la nature ; 
  3. le « parti du prolétariat » peut par conséquent se passer des « exigences de la "raison", de la "morale universelle" », justifiant ainsi toutes les persécutions, Goulags, privations de libertés et massacres. 
  4. il faut mieux faire des révolutions que des réformes, en cela d’ailleurs Staline contredit Engels et Lénine pour qui l’ajout de quantité (en l’occurrence de réformes ici) doit suffire à amener « la transformation de la quantité en qualité » c’est à dire l’évolution qualitative de la société, c’est la 3° « loi » du Matérialisme Dialectique (voir IV-5-3) qui devient subitement fausse ! 
Le matérialisme dialectique marxiste est un positivisme : Staline y exprime la croyance naïve que la science peut atteindre la Vérité avec un grand "V". A partir de là, on comprends très bien le comportement des communistes chaque fois qu’ils sont arrivés au pouvoir : détenant la Vérité, tout individu tentant de mettre en doute celle-ci ne peut être que dans l’erreur et, s’il persiste dans son erreur manifeste, doit être rééduqué voire éliminé physiquement pour les plus récalcitrants d’entre eux à la Vérité absolue marxiste.

Le matérialisme dialectique marxiste est également une idéologie extrémiste : Staline, (et Engels ou Lénine) ne donne ici que le choix entre deux positions extrêmes : le « tout idéalisme » ou le « tout matérialisme » , il n’y a pas d’alternative. C’est un tiers exclu « philosophique » qui rends impossible l’approche systémique qui se refuse à séparer, tout comme Aristote, Idée/Forme et Matière, qui sont au contraire intimement liés comme on l’a vu dans cet essai. Pour eux, il n’y a que le matérialisme ou l’idéalisme, ce dernier étant considéré comme l’ennemi à abattre, il n’y a pas de juste milieu comme le recommandait pourtant Aristote. Ainsi Hegel et consorts soutiennent que les Idées créent le Monde/Matière. Alors qu’il apparaît avec Aristote et la Systémique que Idées/Formes/Structures/Organisations (peu importe comment on l’appelle) étant inséparables de la Matière, les uns ne peuvent exister sans l’autre et vice-versa. Les Idées ne peuvent donc pas créer ou précéder la matière (et inversement), ce débat est autant puéril que stérile, stérilisant d’ailleurs toute pensée. C’est un autre grand point d’opposition à la Systémique.
Ce point est très important car alors qu’idéalistes et matérialistes sont des panlogisme soutenant la « philosophie des identités » c’est à dire seulement une correspondance entre Idées et Matière, la Systémique avec les Constructivistes épistémologiques et K. Popper ne soutiennent absolument pas cette position : Le Monde réel est donné mélange intime de Matière et Idée/Forme, mais il est voilé et ce que Hegel et Marx appellent Idées ne sont que nos théories, qui – si elles sont scientifiques - ne pourront au mieux qu’être testées afin de savoir si elles sont fausses et donc à réfuter, et sans jamais savoir si elles sont vraies, contrairement à ce que croient les Positivistes ou les Marxistes (et beaucoup de religions….) qui prétendent atteindre la Vérité.
Cette « science » ou méthode du Matérialisme Dialectique Marxiste est donc opposée à la Systémique. Chose qu’Engels lui-même confirme : « Le tout est plus grand que la partie. Cette proposition est une pure tautologie, puisque l'idée quantitative de “ partie ” se rapporte d'avance d'une manière déterminée à l'idée de “ tout ”, en ce sens que le mot “ partie ” implique à lui seul que le “ tout ” quantitatif se compose de plusieurs “ parties ” quantitatives. En constatant cela expressément, ledit axiome ne nous fait pas avancer d'un pas. » [ENGELS F. « L’Anti-Dhuring », p 32], passant ainsi à côté du concept d’émergence systémique, incompatible avec « la transformation de la quantité en qualité »..
En effet il apparaît que la Systémique, comme décrit en (II-3-6-b) et plusieurs fois dans cet essai, s’attache à prendre :
   • de multiples points de vue, de multiples dimensions ou angles d’attaques d’une question, ou bien même de découpes différentes dans le réel, de l’objet étudié. Cette approche multiple toute pascalienne s’opère avec prudence, via des aller-retours de constructions et déconstructions progressifs (voir Derrida), multiples du système étudié, au cours d’un cheminement constructiviste. Elle est donc plus riche et diverse que la chaîne bien cartésienne des thèses/ anti-thèses/ synthèses par couple binaires d’oppositions supposées. 
   • en compte des transformations progressives via des boucles de rétroactions non-linéaires avec ou sans retards temporels, mais pouvant déclencher des changements d’équilibres ponctués, des déséquilibres explosifs, voire même des évolutions structurelles. Elle travaillera sur l’étude d’équilibres ponctués homéostatiques, ici encore, multiples. La dialectique, elle, ne prends en compte que des oppositions binaires : être et néant, l’eau en-dessous et en-dessus 0°C, vie et mort, contingence et nécessité, cause et effet, identité et différence, thèse et antithèse sur un point de vue unique aboutissant nécessairement à une synthèse unique, globale et se voulant explicative. 

La Systémique utilisera autant d’approches et oppositions qu’il le faudra pour l'étude d’un système complexe non linéaire en équilibre dynamique ponctué. Ainsi, nous sommes loin du système clos de catégories prédéterminées d’Hegel, révélateur en passant du caractère idéaliste de sa dialectique : catégories immuables et incorruptibles comme les Idées platoniciennes en recherche du point fixe cartésien. Ceci explique d’ailleurs la facilité avec laquelle Engels et Marx ont pu récupérer et développer la dialectique matérialiste en partant de la dialectique d’Hegel, et démontre une nouvelle fois la proximité qu’il y a entre matérialisme et idéalisme, comme deux soit-disant opposés qui se rejoignent, en vraie fracture avec la Systémique et Aristote. Ainsi apparaît la véritable opposition de la dialectique avec la Systémique : ni matérialiste ni idéaliste, ni pour ni contre, ni être ni néant, mais opérant par de multiples approches, de multiples dimensions. En effet comment accepter la cause et l'effet comme catégories dialectiques (opposition avant/après la cause) lorsque l’on a pris conscience du multiple jeu des boucles de rétroactions existantes à étudier sous chacun de leurs angles : temporel (effet retard ou non), flux de matière, flux d’énergies, flux d’informations… ? Comment accepter la nécessité et contingence comme catégorie alors que l’on connaît le caractère relatif de ces concepts, dans les boucles inter ou rétro-actives non linéaires ou quelque chose pourra être tout à la fois nécessaire et contingent ? Comment accepter – une fois de plus - une approche de type binaire (la « di-alectique » ?) cartésienne, réductrice et positiviste lorsque l’on voit la complexité des systèmes non linéaire, ou [(A)] doit est supposé opposé à [(non A)] dans une tautologie fausse unique et appauvrissante du [(A) et (non A)] ? Cette réflexion sur l’aspect doublement multiple de l’approche Systémique en opposition à celle simplement unique et faite d’oppositions binaires de la dialectique sera développée en (V-16).

Finalement on peut noter que Staline lui-même abandonne sans hésiter le matérialisme dialectique à la fois science et philosophie lorsque les choses deviennent dramatiques et que son sort personnel est en danger. Il revient alors à la bonne méthode des essais, confrontation/tests face à la réalité du terrain et rejet des théories réfutées par le réel, en l’occurrence les champs de batailles de 1942 réfutant les MIG-3 mais non les IL-2. Ainsi Staline « adressa le télégramme suivant à Shenkman et Tretiakov: Vous avez laissé tomber notre pays et notre Armée rouge. Vous avez le culot de ne pas fabriquer d'IL-2 jusqu'à présent. Notre Armée rouge a maintenant besoin d'un avion IL-2 comme l'air qu'il respire, comme le pain qu'il mange. Shenkman produit un IL-2 par jour et Tretyakov construit un ou deux MiG-3 par jour. C'est une moquerie de notre pays et de l'Armée rouge. Je vous demande de ne pas essayer la patience du gouvernement et d'exiger que vous fabriquiez plus de IL. Ceci est mon dernier avertissement. » -  Staline Ilyushin Il-2 – https://fr.qaz.wiki/wiki/Ilyushin_Il-2.  

SUITE du Blog : Marxisme (Marw, Engels, Lénine)

Benjamin de Mesnard