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mercredi 26 septembre 2018

V-17) Gauche versus Droite


Les débats Gauche-Droite mobilise l'énergie de nos politiques et journalistes. Or il est possible de voir de nombreuses incohérences et contradictions des positions à l'intérieur d'un même parti, ou à l'inverse de curieuses similitudes entre partis pourtant théoriquement opposés. De même un certain nombre d’idées ou modes de pensées ont « circulé » d’un côté à l’autre au cours de l’histoire. On peut tenter cependant de cerner par exemple ce qui défini « être de gauche », le symétrique étant supposé être « de droite » comme le fait Alain de Benoît (classé très à droite…) par exemple dans son papier « L'effacement du clivage gauche-droite » s'est interrogé sur ces incohérences. Prenons comme définition, sa méthode consistant à définir la gauche, la droite étant son opposé : « Sur le plan politique, à partir de 1920, être de gauche (…) C’est être socialiste ou communiste. La question sociale pose alors avant tout le problème du rôle de l’État dans la régulation de l’activité économique et l’éventuelle redistribution des richesses. Partagée entre réformistes et révolutionnaires, la gauche s’identifie au refus de l’économie de marché, voire de la propriété privée, et en tient pour une économie planifiée, centralisée et contrôlée par l’État. Son objectif est d’assurer la promotion ou l’émancipation collective par le moyen d’institutions économiques et sociales réalisant une sorte de contractualité générale à travers la collectivisation des moyens de production. La gauche pose par ailleurs des revendications de nature essentiellement quantitatives et matérielles, ce qui revient à dire qu’elle dénonce les méthodes du capitalisme (l’exploitation du travail et les inégalités dans la répartition des richesses) sans en contester l’objectif central (parvenir à développer toujours plus la production).» [DE BENOIT Alain, p 4, L'effacement du clivage gauche-droite]. 
On trouve par ailleurs beaucoup d’essais de définition de ce clivage. Mais à l’analyse il apparaît rapidement qu’il n’est pas possible d’établir un simple clivage droite-gauche. Les choses sont beaucoup plus complexe que cela et il faut aller plus loin en séparant la gauche sociale-démocrate du communisme d’une part, la droite démocrate conservatrice du nazisme d’autre part. Inversement, il est possible de rapprocher communisme et nazisme dans leur haine commune de la démocratie, leur totalitarisme,  leur Historicisme soutenant l’existence de lois dans l’Histoire -lois connues du Guide/Petit Père du Peuple seul-, et leur millénarisme avec une Histoire dirigée vers une victoire grandiose d’une « Race » ou d’une « Classe ». . En effet, les Socialismes nationaux tels qu’ils sont apparus en Allemagne (sous le vocable « nazisme ») et en Italie sont classés à l’extrême droite alors qu’ils sont d’authentiques socialismes, idéologie classée à gauche, lire sur ce sujet par exemple [MALBRANQUE Benoît, Le Socialisme en Chemise Brune]. On peut également citer sur ce point Simone Weil : « Un autre exemple d’absurdité sanglante, c’est l’opposition entre fascisme et communisme. Le fait que cette opposition détermine aujourd’hui pour nous une double menace de guerre civile et de guerre mondiale est peut-être le symptôme de carence intellectuelle la plus grave parmi tous ceux que nous pouvons constater autour de nous. Car si on examine le sens qu’ont aujourd’hui ces deux termes, on trouve deux conceptions politiques et sociales presque identiques. De part et d’autre, c’est la mainmise de l’État sur presque toutes les formes de vie individuelle et sociale ; la même militarisation forcenée ; la même unanimité artificielle, obtenue par la contrainte, au profit d’un parti unique qui se confond avec l’État et se définit par cette confusion ; le même régime de servage imposé par l’État aux masses laborieuses à la place du salariat classique. Il n’y a pas deux nations dont la structure soit la plus semblable que l’Allemagne et la Russie, qui se menacent mutuellement d’une croisade internationale et feignent chacune de prendre l’autre pour la Bête de l’Apocalypse. C’est pourquoi on peut affirmer sans crainte que l’opposition entre fascisme et communisme n’a rigoureusement aucun sens. Aussi la victoire du fascisme ne peut elle se définir que par l’extermination des communistes, et la victoire du communisme que par l’extermination des fascistes. Il va de soit que, dans ces conditions,l’antifascisme et l’anticommunisme sont eux aussi dépourvus de sens. […] Pour cette belle cause, chacun, dans les deux camps, est résigné d’avance à mourir, et surtout à tuer. ». [WEIL, Simone, Œuvres, « Ne recommençons pas la guerre de Troie » en 1937, Ed. Quarto Gallimard, p 478]. En passant, on peut noter que l'URSS s'est dépêchée de trouver un nouvel ennemi extérieur après 1945 une fois le fascisme vaincu...
Le tableau suivant tente d’établir sujet par sujet les positions de chacun et il montre bien les nombreux points communs entre Communisme et Socialisme national finalement assez indiscernables…. Enfin ce tableau montre également que les Libéraux ne peuvent être rapprochés d’aucune autre catégorie, y compris les conservateurs, auxquels la gauche tente souvent de les assimiler. Dans ce tableau on s’aperçoit par contre que les anarchistes sont finalement proches des libéraux partageant la même méfiance à l’égard des États, de leurs dirigeants.


(1) : Sauf pour les anarchistes collectivistes (ex : Proudhon) pour qui un travailleur doit produire en étant rémunéré selon ses besoins et non la qualité de travail ou le volume de sa production. Cette position est paradoxale car qui peut décider et définir les besoins de chacun, sinon un État assez fort pour imposer ses décisions et une redistribution massive ? On arrive alors à des économies dites communistes en régime de capitalisme d’État à l’opposé de l’anarchisme où l’État est supposé disparu. Le risque étant alors double : décourager le travailleur produisant beaucoup mais qui s’est vu assigner des besoins décrétés faibles par les individus dirigeant cet État, et l’accaparement par ces mêmes individus des richesses produites au détriment de ce travailleur, comme on l’a vu en URSS ou aujourd’hui au Venezuela. On a alors la raison essentielle de l’écroulement économique de ces pays.
(2) : Les deux systèmes reposent sur une économie totalement planifiée avec une légère subtilité : les communistes nationalisent les entreprises pour les contrôler avec une gestion centralisée bureaucratique, là où les nazis recourraient à la bureaucratie et la terreur sans avoir besoin de les nationaliser, mais pour le même résultat.
(3) : Le racisme est intrinsèque à l’idéologie socialiste nationale avec le mythe de la race supérieur. Il est réel également chez les communistes sous deux formes : le racisme de classe condamnant à mort les « bourgeois » mais aussi le racisme contre divers groupes comme les juifs persécutés en URSS ou les Mongols et Ouïghours en Chine communiste. Marx lui-même a écrit des propos très anti-sémites dans son article « Sur la Question Juive ».
(4) : les Conservateurs sont sur ce point eux-aussi assez paradoxaux. Ils sont pour l’économie de libre marché avec priorité à l’auto-organisation immanente via la libre entreprise, les libertés économiques , la responsabilité individuelle etc. Mais sur l’ensemble des questions de société et culturelles ils croient en des religions monothéistes où le monde est dirigé par un Dieu unique tout-puissant dans une organisation par conséquent centralisée et transcendante… !

           V-17-1) Les marqueurs de gauche :

Le Marxisme est à la base de l’idéologie de gauche, en apportant des concepts « nouveaux » (au XIX° siècle…) de lutte des classes, d’infrastructures, de matérialisme (voir V-1), et de dialectique -au sens du matérialisme dialectique qui n'a rien à voir avec la dialectique aristotélicienne- (Voir V-16). Cette "philosophie" est nécessairement basée sur la volonté inflexible de reconstruire non seulement le monde mais surtout l’homme lui-même en un sur-monde et un sur-homme, (« l'Homme total » chez Marx) seule référence, ou plus exactement auto-référence absolue. En effet dès lors que l'on vise à une fin de l'Histoire où la « Classe Ouvrière», le « Prolétariat » s'imposent seuls en régime de dictature, cela exige la disparition physique des « autres ». Cette « Classe Ouvrière » est jugée intrinsèquement bonne contrairement aux autres « Classes », et devra être guidée par des « Grands Timoniers » éclairés. On retrouve donc bien ici l’approche de Platon et de Rousseau où le problème se résume à mettre les « bons » dirigeants au pouvoir. Mais comme dit Lord Acton, dans « Letters of Lord Acton to Mary Gladstone », Ed. H. Paul, Londres, p.73 : « Le danger n'est pas qu'une classe soit inapte à gouverner. Aucune classe n'est apte à gouverner. La loi de liberté vise à abolir le règne de classes sur d'autres classes, de croyances sur d'autres croyances, de races sur d'autres races ». K. Popper ne dit pas autre chose : « on a dit aux marxistes de penser en terme non pas d’institutions mais de classes, cependant les Classes ne gouvernent pas, pas plus que les nations. Les gouvernants sont toujours certaines personnes. Et, quelque soit la classe à laquelle ils ont pu appartenir, quand ils gouvernent, ils appartiennent à la Classe des gouvernants. » [POPPER K., « Conjecture and Refutation », Ed. Routeledge, 1963, p 464]. Remarque : cette réflexion s’applique tout autant bien sûr au socialisme national dit « de droite », la « Race » par exemple remplaçant alors la « Classe », et rejoint ce que dit Simone Weil trente ans plus tôt... En somme, comme déjà vu, ces « classes d’objet » en matière de politique avec les « Classes » en luttes dialectiques entre elles chez Marx, le « Peuple », le « Parti », la « Patrie », la « Nation »,  la « Race », etc... ne sont rien d’autre que des personnalisations d’idées qui n’existent pas dont le but est d’exciter les sentiments des gens pour mieux les manipuler et leur faire oublier que derrière cela se trouve un petit nombre d’individus avides de pouvoir. La caricature en matière de personnalisation est par exemple Marianne, séduisante jeune femme censée incarner à la « République », la « Patrie », ou la « Nation ». Que l’on comprenne bien : il ne s’agit pas de mettre l’homme au centre comme le souhaite les humanistes, mais d’aligner l’homme normal sur le modèle de « l’Homme total » marxiste (à mettre en symétrie avec « l’Homme aryen » du nazisme), modèle absolu et parfait auquel tous les hommes devraient ressembler, et malheur à ceux qui n'y parviennent pas... Il faut que l’homme corresponde au modèle parfait prédéfini, élément d’un collectif (système donc...) supérieur. Le problème ici est qu’il ne s’agit plus de penser, comme le fait la Systémique, ce modèle comme un modèle d’étude qui doit être raisonnablement fidèle à la réalité dans les limites des objectifs de l’étude –et refléter autant que possible la réalité en faisant évoluer le modèle après les tests nécessaires-, mais de faire l’inverse : avec le Marxisme (et son symétrique le Nazisme), c’est la réalité qui doit correspondre au modèle. Cela est l’approche opposée à la Systémique. Par ailleurs, le Marxisme a été rangé dans la catégorie des "philosophies" matérialistes, anti-idéalistes (ie Nazisme idéaliste, anti-matérialiste), il évoque une structuration (ou plus exactement des infrastructures et des superstructures) de l’histoire et surtout une fin transfigurée de l'Histoire (avec un « H ») dans une vision millénariste propre à beaucoup de philosophies idéalistes (dont le Nazisme) d'inspiration hégélienne. Cela n’est pas étonnant car philosophies idéalistes et matérialistes, en dépit de leurs nombreuses oppositions officielles violentes affichées, sont en fait les deux côtés des même présupposés et principes de bases, déjà conceptualisés par Platon : Idées Immuables et Matière séparées. Pour les uns, comme chez Platon, l’Idée prime, pour les autres comme chez Marx la Matière prime, comme vu en (V-1). Ou encore avec Descartes l’Idée prime tout en la mettant en symétrie avec la Matière via l’Étendue et sa fameuse glande pinéale.
Un autre point intéressant à souligner avec le Marxisme, c’est l’idée de centralisme. Ce thème de centralisme bien que reprenant les idées de pilotage et de contrôle du système est contraire à la Systémique de par son thème même de centralisation en mode unique de pilotage. En effet un système -comme déjà vu- un tant soit peu important en taille/complexité -ici une cellule vivante peut être considérée comme « très importante et très complexe » !- sera stratifié en niveaux enchevêtres composés chacun de plusieurs systèmes, qui sont autant de sous-systèmes des systèmes du niveau supérieur... La Systémique insiste bien sur l’idée que chacun des systèmes d’un niveau a sa propre fonction de pilotage « locale », recevant en input des informations des autres systèmes ou des ordres des niveaux dits supérieurs. Par ailleurs, chaque sous-système est le plus souvent en inter-relations avec les autres sous-systèmes de son niveau, voir d’autres niveaux, ou bien même en réseaux de relations complexes. C’est certainement cette incompréhension fondamentale de la complexité -car profondément contraire à l’idée du Marxisme- qui explique l’échec final du « système communiste ». Les cybernéticiens modernes, la robotique de dernière génération ou encore les systèmes de reconnaissances de formes par exemples utilisent au maximum ces fonctions de pilotages locales ou décentralisées, ce que l'Union Européenne qualifierait de principe de subsidiarité. En passant il est intéressant de noter la violente opposition de Staline à la Cybernétique et au Darwinisme, opposition logique au vu de ce que nous venons de voir, opposition qu’ont chèrement payé les scientifiques de ces domaines en URSS.

           V-17-2)  Les marqueurs de droite :

Sous ce qualificatif, on trouve pèle-mêle toutes sortes d’idées très différentes voire opposées. Certaines de celles-ci ont d’ailleurs «circulé » entre la droite et la gauche :

                          a) Capitalisme :
 
Terme inventé par deux éminentes figures de la... gauche, A. Blanqui et Proudhon, ce dernier écrira en 1857 : « Capitalisme, régime économique et social dans lequel les capitaux, source de revenu, n’appartiennent pas en général à ceux qui les mettent en œuvre par leur propre travail ». Il est également associé à l’idée d’accumulation du capital, sous-entendu dans les mains des capitalistes, aussi souvent qualifiés du terme peu flatteur « d’accapareurs ». Ce terme de capitalisme a ensuite été surtout employé à gauche comme un épouvantail expliquant la plupart des malheurs du monde. Rappel : avec le terme « LE » capitalisme on retrouve une fois de plus cette méthode souvent citée de personnalisation métaphysique tendant à faire croire que « LE » capitalisme est un individu unique existant réellement, foncièrement mauvais et complotant pour faire le malheur du monde. Ce terme très flou recouvre au moins quatre cas de figures très différents :
  • Le capitalisme de libre entreprise ou de libre marché, terminologie finalement adoptée par les libéraux, notamment Ayn Rand, pour le revendiquer malgré la longue connotation négative appliquée par les socialistes au terme « capitalisme ». C’est le capitalisme au sens classique du terme, où un individu ayant mis de l’argent de côté en limitant sa consommation au jour le jour, décide librement d’investir celui-ci dans le projet d’entreprise d’un autre individu. L’entrepreneur de son côté pourra avoir la possibilité de mener son projet librement tout en rendant des comptes et en discutant avec ses investisseurs. Cet investisseur connaît bien cette entreprise, son environnement (ses marchés) et ses produits ou services ainsi que son entrepreneur, il y investit ses économies non pas pour quelques dizaines de microsecondes comme sur les places boursières actuelles, mais pour de longues années et en s’intéressant de près jour après jour à cette entreprise. On note en passant que ce capitalisme là, conforme à la définition initiale de Blanqui et Proudhon, repose sur la propriété privée. Il n'existe pratiquement plus aujourd'hui, sauf peut-être avec quelques personnes qualifiées alors de  "business angels" investissant dans quelques start-up. Même lorsqu'il s'agit d'investir dans une TPE ou dans l'affaire d'une profession libérale (boulanger, charcutier,...) les banques n'investissent pas leurs économies personnelles, mais celles des autres, impersonnelles et anonymes. Elles ne font à ces petits entrepreneurs que des prêts sur des grilles d'analyses préétablies sans s'intéresser au projet de l'entrepreneur. Dans ce cas-là, on est déjà plus dans le capitalisme de le libre marché.  mais il peut exister des capitalismes sans marchés comme on va le voir ci-dessous. Avec le capitalisme de libre marché on est typiquement dans un système ouvert (la société ouverte chère à K. Popper) où l’ensemble des flux d’informations (les prix), des flux de biens ou de services -et par conséquents des hommes- doivent pouvoir circuler pour permettre l’équilibrage de l’offre et de la demande sans perturbation notamment étatique comme dans le capitalisme de connivence vu plus loin. Son corollaire sont les libertés individuelles, dont la libre entreprise et le libre établissement. Le moteur de ce capitalisme vient de citoyens libres menant leurs projets d’entreprises diverses et variées et souhaitant voir d’autres citoyens investir -et donc accumuler leurs capitaux- dans leurs projets. Ces projets réussissent ou non, mais ont toujours en ligne de mire les besoins, la demande d’autres citoyens, car eux-mêmes sont libres d’acheter ou non les produits ou services de ces entreprises. C’est la « loi » de l’offre et de la demande, « loi » qui comme on l’a vu dans cet essai n’en est pas une car l’économie ne peut pas être une science, elle ne respecte pas le critère de démarcation de K. Popper, elle n’est pas réfutable. Contrairement aux autres capitalismes décrits ci-dessous, ce capitalisme là est le capitalisme historique, pratiqué bien avant la révolution industrielle et Proudhon. C'est le seul « vrai » capitalisme, celui qui fonctionne, et a permis à des milliards d'être humains de sortir de la misère, de l'analphabétisme et d'allonger l'espérance de vie car reposant sur une base saine  respectant les principes systémiques d'auto-organisation immanente en équilibre dynamique adaptatif.
  • Le capitalisme du trading haute fréquence, comme on vient de le voir les "business angels" étant très peu nombreux, le « vrai » capitalisme s'est trouvé remplacé progressivement au XX° siècle par une gestion boursière pilotée par les ordinateurs des grandes banques ou assurances. Ce sont des Intelligences Artificielles (I.A.) avec des algorithmes investissant sur la base de courbes mathématiques sans connaître les projets des entreprises, ces ordinateurs achètent et vendent en l'espace de quelques dizaines de microsecondes des actions. On est ici à l'opposé complet du capitalisme au sens proudhonien, il se rapproche plus du poker joué par des I.A. d'ordinateurs entre eux, que tout autre chose. Nul besoin de libertés individuelles, seul le besoin de libre circulation des ordres de bourses des I.A. des opérateurs virtuels bancaires est nécessaire... On est ici clairement sur un dévoiement, une falsification, du capitalisme aux conséquences délétères...
  • Le capitalisme de connivence, étudiée sous le nom de « Théorie des Choix Publics » [BUTLER Eamonn, Théorie des choix publics, The Institute of Economic Affairs 2013] : l’État va « vendre » des faveurs auprès des entrepreneurs - au sens figuré mais souvent littéral du mot via la corruption !- par des lois, ou des règlements protectionnistes consistant à protéger des segments de marché de la concurrence, en général contre de nouveaux entrants, tel la pétition des marchands de chandelles au Roi ou bien les manifestations des canuts contre les métiers à tisser. Tantôt corrupteur actif, tantôt passif, l’État fera du donnant-donnant selon le terme classiquement employé « en échange » de telle ou telle faveur dans un domaine, il obtiendra autre chose, en général dans un autre domaine qui n'aura rien à voir avec le premier. C'est un véritable marché des faveurs qui se développe alors entre élus, et fonctionnaires d'un côté et les citoyens de l'autre ou bien encore entre élus de partis différents. Il ne s'agit pas forcément d'enrichissement personnel, mais par exemple en échange d'un vote du parti B sur une loi 1 portée par le parti A, le parti A votera la loi 2 soutenue par le parti B même si ces deux lois  n'ont rien à voir ensemble. Il va orienter les choix publics en fonction des intérêts particuliers d'une corporation ou d'un groupe de pression ayant remporté la mise au nom -bien sûr- de « l'intérêt général » ou du « bien commun » fictif qui n'existe pas. Ces « échanges » peuvent se faire au moyen de manifestations de rues ou de "prise en otage" des citoyens par des grèves abusive au sein de monopoles étatiques pour faire pression sur l’État et/ou des élus et améliorer le terme de l'échange pour ces manifestants ou grévistes : syndicats, secteur économique, corporation, etc... Chacun essaye alors d'obtenir de l’État le plus possible, sans réellement réaliser que si les uns obtiennent plus, c'est au détriment des autres, et toujours au détriment du consommateur ou du contribuable, c'est à dire de la masse des citoyens, et en général des plus démunis... F. Bastiat résume fort bien cette situation :  « L'État, c'est la grande fiction à travers laquelle tout le monde s’efforce de vivre aux dépens de tout le monde. » [BASTIAT, Frédéric, L’État, réédition Guillaumin, 1863, tome 4, (p 327-341)]. Simone Weil en 1943 également : « L'État avait cessé d'être, sous le nom de nation ou de patrie, un bien infini, dans le sens d'un bien à servir par le dévouement. En revanche il était devenu aux yeux de tous un bien illimité à consommer. [...]  L'État a paru être une corne d'abondance inépuisable qui distribuait les trésors proportionnellement aux pressions qu'il subissait. Ainsi on lui en voulait toujours de ne pas accorder davantage. ». On voit alors se former des corporations légalisées grâce au soutien de l’État et qui lui sont alors redevables. Ces cartels, ces castes de privilégiés comme dans l'Ancien Régime avant 1789, ferment ainsi le système constitué par ce segment de marché, on arrive alors rapidement à une société fermée, rigidifiée ou plus aucunes initiatives individuelles ni innovations ne sont possibles. Malheureusement, et comme tout système fermé, ces corporations fermées à toutes formes de concurrence deviennent de moins en moins compétitives. Sous la pression des citoyens consommateurs ou tout simplement du monde extérieur elles tendent à imploser -souvent brutalement- par la disparition soudaine des verrous ainsi posés . On l’a vu récemment par exemple lors de l'implosion de l'URSS ou pour l’agriculture française avec la fin soudaine du système des prix subventionnés du système européen mettant en grande difficultés les agriculteurs tout comme un drogué se trouve brutalement privé de sa drogue....
  • Le capitalisme d’État, où les propriétaires des capitaux ne sont plus des individus finançant des projets d’entreprises en « coopétition » –coopération et compétition simultanément- entre eux, mais l’État, via les nationalisations, c’est à dire la spoliation par la force de biens appartenant à des citoyens. Suis la mise en place de monopoles, de grand cartels, de super-corporations n’ayant plus à se préoccuper de répondre aux demandes des citoyens, aux besoins de marché autrement dit, et qui vivent en dehors de toute mise en concurrence. La propriété des moyens de productions est souvent présentée alors comme celle du « Peuple » ou encore du « Prolétariat », mécanisme de personnalisation classique comme déjà vu en (III-2-14-f). Il s’agit en fait de l’appropriation des ces biens au profit d’un petit groupe d’individus dans un système d’ordre mafieux tel celui appelé « Nomenklatura » en URSS par exemple. Les capitalistes dans ce système étant l’État, ce même État qui contrôle la police politique et l’armée, il n’y a plus lieu de rendre compte à des actionnaires soucieux de leurs placement et de leur économies. Après tout, les actionnaires ne sont-ils pas alors autre que le « Peuple » et le « Prolétariat » ? Et comme le dit Trotski à Lénine « le parti à la place du prolétariat, ensuite le comité central à la place du parti, et finalement le secrétaire général du comité central à la place du comité central, et vous aboutirez à la dictature d’un homme »  (voir III-2-14-f) ? Libéré de toute concurrence et n'ayant plus à se préoccuper des demandes des consommateurs, ce capitalisme n’a plus lieu de chercher à améliorer ses produits, à innover, ou à optimiser ses process de production. C’est alors la porte ouverte à toutes les abus, corruptions et profiteurs d’une Nomenklatura vivant du travail des autres au nom du « Peuple », comble de l’ironie ! Ce système ne peut se mettre en place et se maintenir que par la coercition, la force et la terreur d’un régime totalitaire. Ce capitalisme d’État est toujours violent pour les simples citoyens, non seulement par son régime de terreur,, mais également suite aux décisions des dirigeants de l’État, d’investir –d’accumuler le capital !- massivement dans des optiques purement politiques soit de renforcement de leur pouvoir (armée, police politique, bureaucratie omniprésente contrôlant tout), soit de propagande stérile comme le stakhanovisme ou des chiffres de production falsifiés. Ainsi l’URSS a investi massivement dans les armes, la surveillance de sa population et l’industrie lourde au détriment des besoins réels des citoyens : industrie légère, et biens de consommation. Cela donne un capitalisme sans marchés au fonctionnement fortement dégradé, incapable d’innover -on n’innove pas dans la coercition et la terreur- loin de l’optimum systémique, et explique quasiment à lui seul la faillite du socialisme de l’URSS « sous ses propres contradictions ».
    1° remarque : il est intéressant de noter que capitalisme de connivence et capitalisme d’État vont de pair, et existent souvent ensembles et à des degrés divers, comme en France notamment. Parmi les socialistes on voit que des Socialistes Nationaux, les Nazis, ont préféré mettre sous contrôle étatique poussé les entreprises sans les nationaliser -contrairement au point 13 de leur programme,- via une bureaucratie toujours plus pesante et menaçante au nom, ici encore, d’une solidarité obligatoire avec la « volonté collective » et le « bien commun » dans le plus pur planisme comme on a pu le trouver en URSS ou avec Mao. Cela a été fait par les Nazis via une coercition violente, les entrepreneurs refusant d’obéir se retrouvant au mieux en faillite sous une avalanche d’amendes et de blocages administratifs, ou au pire en camp de la mort. Ainsi Hitler a préféré mettre sous contrôle étroit les entreprises plutôt que de les nationaliser comme les communistes, mais le résultat a été le même….
    2° remarque : dans sa « version douce », le Capitalisme d'État actuel allié au Capitalisme de connivence amène les banques a développer une préférence beaucoup plus grande pour les emprunts d’État que pour les investissements dans les TPE, PME ou professions libérales, stérilisant ainsi l'économie et provoquant le chômage de masse que nous connaissons. Ces capitalismes dévoyés créant un système économique fortement dégradé, les besoins financiers étatiques deviennent alors toujours plus intenses et génèrent des déficits publics énormes. Pour la France en 2017 : déficit de l'État de 83 milliards € pour une recette de 307 milliards €, soit  27% de déficit, très au delà du chiffre de 2,9 % que l'ont nous donne...! Les États se comportent alors comme de gigantesques aspirateurs à finances, asséchant d'autant les possibilités d'emprunts pour les particuliers, TPE, PME ou professions libérales. 
    3° remarque : dans la même logique ces deux capitalismes d’État et de connivence version moderne, sont à l'origine de la crise de 2008. Dans l'idée que tout américain devait pouvoir être propriétaire de sa résidence principale, le gouvernement américain avait fait passer une loi, la « Community Reinvestment Act » (la CRA) en 1977 sous J. Carter. Cette loi a été élargie en 1997 sous B. Clinton en obligeant les banques à prêter aux ménages à faibles revenus dans les zones dites « Red Line », en échange, ces prêts étaient garantis par la FED, déresponsabilisant de fait les banquiers. Elle partait de l'a-priori, sans aucune étude préalable, qu'à l'intérieur des zones « Red Line », les banques par racisme refusaient les dossiers de prêts immobilier systématiquement. Or si des prêts étaient refusés, c'est parce que beaucoup des ménages dans ces zones « Red Line » avaient de trop faibles revenus et donc étaient insolvables.  Donc, afin de respecter cette loi et échapper aux amendes en cas de non respect de celle-ci, les banques américaines ont eu alors recours à des prêts à taux variables, avec un taux d'intérêt très faible les trois ou cinq premières années. De plus le remboursement du principal de l'emprunt était décalé de la même durée. Par la combinaison des amendes en cas de refus de ces prêts et de leur garantie par la FED, tous les freins et la prudence habituelle ont été ainsi levés dans les banques américaines. Une bulle immobilière s'est alors gonflée progressivement. En parallèle, en 2001, les déficits de l’État américain s'aggravant et sa dette enflant, la FED, dans le but d'éviter la faillite à sa « maison-mère » l’État, a démarré une politique de « quantitaty easing », en français « planche à billet », afin d'inonder les banques de dollars et ainsi baisser progressivement à 1,75 % le taux directeur de la FED.  L'émission de dollars étant devenue trop importante, la FED a ralenti son rythme en laissant les taux remonter à 5,25 % mi 2006. Or en 2006, la plupart des prêts accordés arrivaient à l’échéance de leur période initiale de 5 ans. Ces ménages à faibles pouvoir d'achat on donc dû à la fois commencer à rembourser le principal de l’emprunt, plus payer un intérêt 4 fois plus élevé et ont donc vu leurs paiements mensuels exploser. Dans l'incapacité de payer, insolvables, ces ménages se sont vu exproprié de leur logement récupéré par leur banque à partir de 2007. Un très grand nombre de logements se trouvant alors mis en vente simultanément par les banques, les prix qui jusque là s'étaient envolés sous une demande artificiellement gonflée par la CRA, se sont alors effondrés. La bulle financière immobilière créée par la CRA a alors explosée, plongeant dans la misère des millions de ménages américains et la crise économique de 2008 s'est en suivie aussi grave que celle de 1929.
On voit donc clairement que le terme de « Capitalisme » dont on nous parle tant est très flou, les médias ou groupes de pressions omettant bien sûr de préciser de quel capitalisme ils parlent. Or deux de ces capitalismes, celui de connivence et celui d’État, relèvent très nettement de la  « gauche »... et pourtant ils sont et ont été également abondamment utilisés et mis en œuvre par des gouvernements dit de « droite » dans beaucoup de pays. Ainsi en France, c'est un gouvernement de « gauche », celui de M. Jospin, qui a privatisé des entreprises nationalisées, chose que les gouvernements de droite précédents s'étaient refusé à faire.... Quant au Capitalisme du trading haute fréquence, celui-ci est juste indifférent aux classements gauche-droite, se jouant des lois locales de tel ou tel État à la fois de par ses capacités d'adaptation à l'échelle de la milliseconde, et d'autre par la lourdeur des administrations étatiques par ailleurs incapables de comprendre le monde réel. Enfin, et pour revenir à la définition originelle finalement tout à fait valide de Proudhon, celui du Capitalisme de libre marché entre citoyens libres de leurs choix et de leurs actions, il a quasiment disparu et se trouve rejeté tant à « gauche » qu'à « droite », broyé par les trois autres capitalismes...
                           b) Mondialisation... et internationalisme
 
Les partisans de la mondialisation sont souvent classés à droite : ouverture des frontières, libre-échange, spécialisation des productions selon les pays ou régions, etc. Pourtant beaucoup de gouvernement dits « de droite » sont protectionnistes et ne rêvent que de fermetures des frontières... Au contraire après la première guerre mondiale l’internationale ne pouvait être (selon le discours officiel...) que prolétaire avec le slogan « prolétaires de tous les pays unissez-vous » de Trotski. Puis le totalitarisme Stalinien d’URSS s’étant mis en place dès 1924, c'est le « communisme dans un seul pays » qui a prévalu avec la fermeture généralisée des frontière de l’URSS (un passeport et visa étant requis pour aller d’une ville à l’autre). Cette fermeture s'est étendue aux pays de l’est européen après 1945, avec entre autre le mur de Berlin, et la Corée du Nord, Cuba... confirmant la fin de l’internationale…

                          c) Libertés individuelles :
 
Souvent associées à la droite, le « monde libre » selon les terminologies de la guerre froide, la défense des libertés individuelles se retrouve pourtant aussi chez les sociaux démocrates, pourtant classés à gauche. Mais elles peuvent être sévèrement mise en parenthèse chez certains courants à droite, tels les conservateurs craignant d’ouvrir la porte à des évolutions sociétales dont ils ont peur. Une constante : c’est au contraire une idée centrale chez les libéraux. La gauche, y compris les sociaux démocrates, défendrons par ailleurs l’égalité imposée par l’État via des impôts et autres prélèvements sociaux inégalitaires -puisque le pourcentage de prélèvement varie arbitrairement d’un citoyen à l’autre et au cours du temps- coercitifs au mépris de nos libertés les plus élémentaires. Tout cela au nom d’une « Solidarité », obligatoire pour un « Intérêt Commun », personnalisation et marqueur idéologique que pourtant nul ne sait définir ! A l’inverse, des partis classés à droite pourront aussi afficher des positions colbertistes où l’État se doit de définir des plans imposés aux entreprises, en niant les principes de libre entreprise et de libre établissement…

                      d) Les « conservateurs » :
 
Se rangeant sous une bannière anti-marxiste, opposés au socialisme et évidemment au communisme, on y retrouve -souvent en théorie- l’esprit de liberté de circulation des marchandises, de libre entreprise, mais pas nécessairement celui des libertés individuelles. Mais on trouve également souvent avec les conservateurs le refus du changement, ou plutôt la peur du changement, notamment sur les questions de société, le volonté de garder les traditions, quelles qu'elles soient, avec des réflexes de fermeture des frontière, d’interdictions diverses touchant aux libertés individuelles (mariage, divorce,…), d'exclusion de certains sous-groupes (étrangers, races, orientations sexuelles,...) et de surveillance généralisées des citoyens, au nom de notre « protection ». Ainsi par exemple sous le règne de la reine Victoria, les conservateurs britanniques – au grand désespoir des whigs, le parti libéral britannique- avaient obtenus la fermeture des frontières au blé étranger, au nom de la protection des grands producteurs locaux, déclenchant des prix du pain très élevés et des famines au détriment de leur propre population.

                    e) Les infrastructures d’un pays doivent être privées :
 
Il est d’usage d’associer entreprises privées et droite. Dans les simplifications que l’on nous présente ainsi toutes les entreprises doivent être privées avec la droite, et toutes doivent être publiques -nationalisées- avec la gauche, c’est la fameuse expropriation des moyens de production de Marx. Or F. Hayek [HAYEK, Friedrich A., 2010] insiste sur le fait qu'au-delà des devoirs purement régaliens de l’État, il appartient bien à celui-ci, de (faire) construire les infrastructures d'un pays, telles que routes, voies ferrées, réseaux d'eau potable, réseaux de gaz, d'électricités ou de télécommunications construits et opérés par l'état et financé par l'impôt. On peut citer F. Hayek dans « La Route vers la Servitude » par exemple p. 34-35 : « Ainsi ni les poteaux indicateurs, ni la plupart du temps les routes elles-mêmes  ne peuvent être payées par chaque usager. De même, ni les effets funestes du déboisement, de certaines méthodes agricoles, de la fumée ou du bruit des usines ne peuvent être réservés aux propriétaires intéressés ni à ceux qui sont disposés à en subir le dommage en échange d'une compensation. Dans ces cas-là, il nous faut imaginer quelque chose qui remplace le mécanisme des prix. Il faut, certes, faire intervenir l'autorité chaque fois qu'il est impossible de faire fonctionner la concurrence; mais cela ne prouve pas qu'il faille supprimer la concurrence quand on peut la faire fonctionner. ». En passant on voit que F. Hayek aborde une forme d’écologie libérale…On trouve les mêmes réflexions dans « La Constitution de la Liberté » p. 141-142 : « Relèvent de cette catégorie [l’action publique] tous les services qui sont nettement souhaitables, mais qui ne sont pas fournis par l'entreprise concurrentielle parce qu'il serait soit impossible, soit difficile de faire payer les bénéficiaires. On pourrait citer là l'essentiel des services sanitaires et de santé publique, la construction et l'entretien des routes, et la plupart des équipements urbains créés par les municipalités pour leurs administrés. On pourrait citer aussi les activités qu'Adam Smith décrivait comme « ces travaux publics qui, bien qu'ils soient au plus haut point avantageux à une grande société, sont d'une nature telle que le profit ne pourrait compenser la dépense qu'ils représenteraient pour un individu ou un groupe peu nombreux» (Adam SMITH, Wealth of Nations, livre V, chap l, partie Il (II, 214).-). » p. 224.
Le raisonnement de F. Hayek est très simple : tout ce qui n'est pas achetable/consommable par un ménage peut relever de l'état : un réseau de voies ferrées, tout comme la police, la justice ou l'armée, -donc le régalien- ne peut pas être acheté (surtout pas...) par un ménage. Par contre un ménage pourra acheter un billet de train pour un trajet à un jour et une heure précis. Les compagnies de trains utilisant l'infrastructure publique des rails devront donc être privées et en libre concurrence car s’adressant aux ménages directement. Dès lors, l’État – l’état de Droit avec un petit « e » et un grand « D » en l’occurrence...- via ses lois, son « code de la route » clair et stable selon F. Hayek, avec ses pouvoirs régaliens de justice etc.. et ses infrastructures, fourni en somme l'environnement -l’écosystème pour la Systémique- adéquat aux entreprises qui elles s'adressent aux ménages, mais en se gardant de supprimer cette mise en concurrence : c’est tout un jeu de subtiles -et fragiles- équilibres dynamiques ponctués non linéaires de pouvoirs et contre-pouvoirs tels qu’imaginés par Aristote, Montesquieu, etc.  concepts éminemment systémiques !
 
    V-17-3) Une troisième voie :

On voit ainsi qu'un certain nombre de « concepts » ne peuvent pas en réalité être définis de droite versus gauche. Seuls les libéraux semblent à même d'accueillir favorablement les évolutions de la société ou de l'économie (innovations), même si -comme l'explicite K. Popper [POPPER Karl, T2, 1979]- ils sont très complexes : mais ils n’ont pas la présomption fatale (refer F. Hayek…) de prétendre les comprendre et les dicter comme veulent le faire les marxistes ou les conservateurs. Par contre les libéraux, eux, sont conscient de l'hyper complexité des évolutions des systèmes économiques ou sociétaux composés avant tout d'êtres humains comme l'a souligné L. von Mises et non de « Partis », de « Nations », de « Patries » de « Races » ou de « Classes » (en luttes dialectiques les unes contres les autres comme il se doit), qui ne sont que des personnalisations fictives inventées pour mieux enrégimenter les malheureux qui y croient. 
Certes ces personnalisations sont bien pratiques pour les politiciens (et les médias). Par une sorte de syllogisme « systémique » erroné implicite, on attribue une personnalité humaine (souvent mauvaise) à ce qui ne l’est pas. Ce syllogisme est en quelque sorte le suivant :
 a) Tout personne humaine est un système ; 
 b) Or une « organisation » humaine (entreprise privée, organisme d’État, « Capitalisme », « Patrie », « Nation », « Race », « Classe », « Prolétariat » etc... est un système ; 
 c) Donc cette « organisation » humaine est une personne, qui surtout pense et agit comme un être humain.
Dans ce syllogisme, dont se servent volontiers les extrêmes, si (a) est exact, (b) est lui discutable, par contre (c) est totalement faux. Mais il est bien pratique, notamment à beaucoup de dirigeants politiques, pour désigner un coupable caché responsable de tout ce qui ne va pas ou encore entraîner dans une servitude volontaire des millions de gens en marche vers un avenir radieux ...
Arrivé à ce stade de la réflexion, il faut revenir à F. Hayek (voir III-2-14-c). La droite c’est croire aux vertus des systèmes naturels inintentionnels, c’est donc la mise en avant des traditions, du conservatisme, de l’ordre établi anciennement le plus souvent basé sur un monarque de droit divin. C’est le retour aux corporations établies, un fils de tisserand ne pouvant être que tisserand et un fils d’aristocrate , un aristocrate. La gauche croit que seuls les systèmes artificiels intentionnels soumis à la raison de quelques dirigeants décrétés éclairés et bons tels que définis par Platon et Rousseau peut fonctionner. C’est donc le retour au tribalisme avec un chef de tribut qui organise et décide tout centralement. Ce dirigeant pourra alors se livrer à de l’ingénierie sociale selon ses idées personnelles et reconstruire toute la société par la violence et la coercition s’il le faut, c’est le constructivisme social. Les deux commettent la même erreur en ignorant l’existence des systèmes naturels inintentionnels auto-organisés. Or c’est précisément le cas des sociétés humaines, indéniablement artificielles puisque résultant des actions des êtres humains, mais n’ayant pas fait, le plus souvent, l’objet d’une intention délibérée d’un ou d’un petit groupe d’individus. Le libéralisme est le seul à appréhender cette troisième catégorie en faisant appel à des concepts de systèmes avec en sus l’idée d’auto-équilibre dynamique et d’auto-organisation (Voir III-2-14) mais sans prédire une fin de l'histoire, les libéraux ne sont donc ni millénaristes ni historicistes et donc ne sont pas tenant du finalisme (voir « équifinalité » en (II-4-1-g) et (III-2-1-c)). Avant d'aller voter telle ou telle loi interventionniste/dirigiste selon une approche transcendante, -sans études d’impacts avant et après la loi d’ailleurs- il est vital d'être conscient de la complexité de nos sociétés, et de comprendre les points de vue multiples des différents acteurs économiques et non de seuls technocrates. Ce point est très important dans la mesure où il fait l'objet d'âpres débats, (voir II-4-1-f), il faut tenir compte ici des artefacts dus à l'approche adoptée, du point de vue utilisé et la découpe arbitraire dans le réel, etc... Il faut garder à l'esprit le fait que les systèmes de pilotages (répartis) doivent obligatoirement exister, sinon le « système » globalement n'en n'est pas un et courre à sa disparition. On retrouve ici dit sous une forme systémique la règle vitale édictée par Montesquieu au sujet de la séparation des pouvoirs dans un État : on ne peut être en même temps juge et partie. Par conséquent, que le système de pilotage soit vu comme interne (immanent) ou externe (transcendant) au système, celui-ci devra de toutes manières être piloté non pas exclusivement par un pilote central externe (le Grand Timonier/Führer/Petit Père des Peuples) génial comme le croient les marxistes, nazis et autres dirigistes mais par des citoyens libres via autant de pilotes répartis subsidiaires aussi proches du terrain que nécessaires.... C'est décrire d'une autre manière les idées de libertés individuelles, de libre entreprise et libre établissement (pilotage réparti au plus près des réels acteurs de l'économie), ou encore libre circulation des idées, biens, services, informations, médias (la circulation des informations et des différents flux d'énergie et de matériaux est une nécessité vitale au sein d'un système) comme vu en détail en (II-2).

Il faut encore insister sur le fait, comme le dit L. Von Mises, qu’une société ou une économie est composée d’êtres humains, en dépit de toutes les personnalisations que l’on a vu « Peuple », « Prolétariat », etc... Ces êtres humains ne réagissent pas d’une manière régulière et stable même dans des circonstances semblant identiques. Contrairement aux sciences physiques, où des molécules d’hydrogène et d’oxygène en présence d’une étincelle donneront toujours de l’eau et un fort dégagement d’énergie parfaitement calculables et testables ; les êtres humains sont largement imprévisibles : comme l’a montré H. Simon avec la Rationalité Limitée (Voir II-5-5), « l’homo economicus » ayant une connaissance parfaite des marchés et prenant des décisions 100 % rationnelles est une vue de l’esprit. Enfin les « sciences » économiques, politiques ou sociales ne satisfont pas au critère de démarcation de K. Popper : leurs théories ne sont pas réfutables. Cela n’est en rien un reproche, car cela est intrinsèque à ces secteurs d’études. En effet, contrairement (à la plupart…) des sciences physiques il est impossible de réaliser des expériences, des tests, où par exemple l’économie mondiale d’avant 1929 serait reconstituée afin de tester différents scenarii au cours d’autant d’expériences scientifiques permettant le cas échéant de réfuter telle ou telle théorie économique. A cela les plus brillants des économistes, sociologues ou politologues n’y pourront rien.

Il y a une autre énorme différence entre les sciences physiques (hormis la médecine...) et les « sciences » humaines (économie, sociologie, politique,…) : lorsqu’en astronomie une théorie à laquelle tout le monde croyait se révèle finalement fausse, normalement, personne ne meurt (sauf quelques martyrs comme G. Bruno condamné pour avoir remis en question une théorie astronomique fausse soutenue par l’Église Catholique…). Mais lorsque qu’une théorie aberrante est mise en œuvre en économie ou en sociologie, ce sont des dizaines de millions d’êtres humains qui peuvent se trouver réduit à la misère, perdre toutes leur libertés ou périr... Un autre point très important est souligné par K. Popper, il peut même être vu comme un nouveau critère de démarcation entre les défenseurs des libertés et les autres. Les uns recherchent un système social et économique via une constitution garantissant d'elle-même qu'un gouvernement sera empêché de devenir autoritaire ; alors que les autres tablent sur la qualité des dirigeants via une formation adéquate, voire via un pouvoir réservé à une élite. Le premier cas corresponds à la société ouverte, et le deuxième à la société fermée, dite encore tribale pour K. Popper [POPPER Karl, Tomes 1 et 2, 1979]. Ce qui est très intéressant ici, c'est de relever que K. Popper note que c'est Platon, puis Hegel et Marx qui défendent la société tribale. Chez Platon, ce système des dirigeants issus d'une élite est en parfaite cohérence avec ses Idées Immuables, l'élite étant la plus proche de celles-ci, et en particulier de l'Idée Immuable « État Parfait », n'a donc nul besoin de gardes-fous. On peut noter qu'avec Aristote, c'est l'inverse qui prévaut, Aristote -et plus tard Montesquieu et Machiavel- pense à juste titre qu'il y aura tôt ou tard des « mauvaises personnes » au pouvoir, c'est donc au système politique, à l'organisation intrinsèque de la Cité, à la Constitution, de mettre en place les gardes-fous efficaces pour équilibrer les pouvoirs, via une solide séparation de ceux-ci . On ne peut alors que citer Lord Acton : « Le pouvoir tend à corrompre, le pouvoir absolu corrompt absolument. Les grands hommes sont presque toujours des hommes mauvais. », on est ici à l’opposé de Rousseau pour qui l’homme est bon par nature. On peut citer également Raymond Aron [ARON, Raymond, Introduction à la Philosophie Politique, p 72] : «  Certaines philosophies de la démocratie sont des philosophies optimistes, et l’on peut dire que la démocratie rousseauiste est fondée sur une vue optimiste de la nature humaine : c’est parce que les hommes sont bons que l’on imagine qu’il suffit d’écarter les traditions irrationnelles et les privilèges pour que les hommes se gouvernent eux-mêmes. Mais si l’on peut justifier la démocratie par l’optimisme, on peut aussi la justifier par le pessimisme. Rousseau justifiait la démocratie par l’idée que les hommes sont bons. Disons que les machiavéliens justifient la démocratie par l’idée que les hommes ne sont pas tous bons. (…) donc limitons les pouvoirs que nous donnons à quelques-uns ; moins les hommes sont bons, moins il faut laisser de pouvoir aux gouvernants. ». Clairement, le danger totalitaire issu des approches rousseauistes vient alors aussi bien de la droite que de la gauche...
On comprend alors que les choses sont donc un « peu plus complexes » que cela dans le débat cartésien simpliste gauche-droite. La clé tient dans la compréhension -ou plutôt dans l'incompréhension- de la complexité des systèmes économiques, et de l'ignorance du concept de Variété requise et de la mesure de la complexité telle que proposées par A. Kolmogorov et R.W. Ashby, voir pour cela le (II-4-1-e), couplé à la Rationalité Limitée de H. Simon (Voir II-5-5). La difficulté ici tient dans l'aspect centralisé d'une telle gestion/pilotage interventionniste de l'économie. Tout piloter d'une manière centralisée « par le haut » en mode transcendant, ce qui est le cas d'un gouvernement marxiste, nazi, ou simplement dirigiste, par des individus ayant nécessairement un horizon d'information limité, doublé de capacité de cognition, de traitement de ces information également limités, face à l'hyper complexité d'une économie ou d'une société qu’ils prétendent piloter, c’est faire preuve d’une présomption fatale. A cet égard, on observe d'ailleurs que les membres des gouvernements divers et variés n'ont aucune notion de systémique, et sont plutôt très cartésiens, adeptes des solutions simples pour ne pas dire simplistes.

Enfin, nul besoin d'évoquer les changements brutaux de politiques d'interventions et leur instabilité souvent contradictoires au gré des changements de gouvernements... On est bien ici dans la Présomption Fatale dénoncée par F. Hayek [HAYEK, Friedrich A., 1988], mêmes si ces dirigeants se croient issus de l'élite proche des Idées Immuables de Platon... et se prennent souvent pour des dieux. On arrive alors à ce que souligne F. Hayek : « Nous sommes certainement aussi éloignés du capitalisme dans sa forme pure que nous le sommes de tout système de planification centrale. Le monde, aujourd'hui, n'est qu'un chaos interventionniste. » [HAYEK, Friedrich A., Nature et Historique du Problème p. 33 dans VON MISES L. 1938], phrase tout aussi actuelle aujourd'hui qu'en 1938 !

          V-17-4) Le diagramme de Nolan :

Certains comme David Nolan avec son diagramme du même nom ci-dessous, dans lequel il serait judicieux d'ajouter à « populiste » le terme « dictature », ont tenté de réorganiser le débat gauche-droite :
Cependant ce diagramme de D. Nolan est des plus contestable car qui peut soutenir que des régimes authentiquement de gauche comme les régimes staliniens, maoïstes ou de Pol-Pot étaient les garants des libertés individuelles ? De même dire que les Conservateurs anglo-saxons, ou que la droite française,  représentants clairement l'aile droite feraient la promotion des libertés économiques est tout autant contestable.
Et lorsque l'on prends le Nazisme (en français socialisme national) comme exemple de « droite » est des plus choquant comme on l'a vu car ce sont d'authentiques  socialistes, les libertés économiques étant alors carrément abolies. Si on veut aller un peu plus loin, on pourrait tenter le diagramme ci-dessous, lui aussi basé sur les deux échelles de libertés économiques et individuelles. Ce diagramme montre bien le positionnement « ni gauche ni droite » à la fois des dictatures mais également à l'opposé des Libertariens qui eux, défendent à la fois les libertés individuelles (ou sociétales) et les libertés économiques . Sachant qu'il est irréaliste de croire qu'il peut y avoir des libertés économiques sans libertés individuelles et inversement.


Remarque : le terme « anarcho-collectivistes » désigne les anarchistes tels que imaginé par Proudhon. Il professait un anarchisme dans une société collectiviste mais sans État, ce qui pose le problème traité en remarque (1) après les tableaux du (V-17) plus haut : celui de la rémunération selon les besoins du travailleur, besoins décrétés par… un organe de décision central qui ressemble violemment à l’État, ce qui est pour le moins paradoxal pour un anarchiste ! D’autre part comme positionné par le diagramme ci-dessus, cet anarchisme est supposé être pour les libertés individuelles mais dans un cadre collectiviste. Cela signifie que l’individu est supposé être libre mais doit obéir à la collectivité, personnification qui n’existe pas comme nous l’avons vu avec S. Weil et cachant la dictature d’un petit groupe de gens. Nous somme alors en pleine contradiction et à l'opposé du véritable anarchisme ! Ou bien nous sommes libre de penser, de nous exprimer, ET d’agir (entre autre en créant notre propre activité économique) ; ou bien nous ne le sommes pas ! On ne peut pas être libre comme individu sans être aussi libre économiquement (et vice-versa)... c'est incohérent.
 
Apport de la Systémique : la Systémique rejette ces deux étiquettes de droite et de gauche par trop simplistes et caricaturales voire incohérentes comme on vient de le voir. Utilisant les concepts de structures comme semble le faire le Marxisme mais non pour plaquer une théorie sur la réalité, mais bien au contraire pour tenter de comprendre, avec toutes les précautions et prudence vues plus haut, le réel. Ayant compris -comme F. Hayek sous le nom de catallaxie- les phénomènes d’auto-organisation et d’auto-équilibre, elle les englobe, contrairement au Marxisme et au Nazisme, dans un système de pilotage réparti à tous les niveaux adéquats ou dans les sous-systèmes… jusqu'à l'être humain seule référence admissible. Un pilotage centralisé et/ou dirigiste tel que voulu tant à droite qu'à gauche, ne peut pas, par définition, avoir la Variété requise (voir II-4-1-e) pour piloter d’un coup l’ensemble des niveaux et sous-systèmes composants le système complet. Il faut donc opérer, ou plus exactement faire opérer, voire laisser opérer, - le fameux « surtout sire, ne faites rien, laissez-nous faire » à l’envoyé de Colbert - via un pilotage réparti pouvant être auto-organisé sur l’ensemble des niveaux ou sous-systèmes, tout en conservant et respectant les équilibres dynamiques systémiques homéostatiques -tel que décrit par F. Hayek- nécessaires, dans une démarche de prudence vichienne. Une analogie pourrait exister avec les médecins (une élite en l’occurrence à l'époque) de Molière, qui ne comprenant rien au corps humain et à ses maladies (ses déséquilibres!), faisaient les pires erreurs -saignées ou autres-, jusqu'à tuer leur patient qui aurait peut-être pu survivre sans l'intervention dudit médecin... A l'inverse, la médecine moderne prends ses précautions (prudence!) avant de passer à une expérimentation humaine... prudence que ne prennent pas nos dirigeants modernes lorsqu'ils font leurs expériences sociales !
Enfin, l’histoire orientée l’est seulement au sens de la flèche du temps de la Systémique, mais non au sens messianique millénariste du socialisme Marxiste (et son symétrique le socialisme national nazi) , où l’homme réel doit rentrer dans le moule de l’Homme du Marxisme dit « Homme nouveau » ou « Homme total » ou « Homme aryen » du nazisme, et amenant tout droit aux camps de rééducations et aux génocides de la Chine, du Cambodge ou de l’Union Soviétique (ie ou du Nazisme symétriquement). Le sage réflexe d'Aristote et de Vico, la prudence, la modestie, et le juste milieu devraient donc prévaloir avant d'intervenir à tort et à travers dans l'économie ou la société avec des idées simplistes venues du clivage gauche-droite... On retrouve alors la Systémique de L. Von Bertalanffy, d'une manière surprenante au premier abord, mais somme toute logique au vu de l'ensemble de son œuvre et de son amitié avec K. Popper et F. Hayek, qui ont beaucoup travaillé eux aussi sur les concepts de complexité.


Benjamin de Mesnard
 Épistémologie Systémique Constructivisme

lundi 30 mars 2009

III) Théories alliées à la Systémique (Hayek)

III-2-14) Friedrich Hayek 

Le Cercle de Vienne, déjà été cité dans cet essai, a été fréquenté par K. Popper mais également par F. Hayek et L. Von Bertalanffy jeunes pour en divorcer ensuite. Les trois autrichiens se connaissent bien et se sont rencontrés à plusieurs reprises notamment à Londres après avoir quitté Vienne. Selon Paul Lewis dans son papier -qui constitue une bonne introduction aux travaux de L. Von Bertalanffy- [LEWIS Paul, 2015], celui-ci a par exemple relu et commenté « L’ordre sensoriel : Une enquête sur les fondements de la psychologie théorique » de F. Hayek [HAYEK F. 1952] avant sa parution. F. Hayek a fait de même pour K. Popper pendant la guerre.

      a) Approche systémique, complexité….
Dans ce document « l'esprit humain est un vaste réseau de neurones interconnectés (...) ce que nous appelons « esprit ».» [LEWIS Paul, 2015, p 10], on a un exemple typique d'approche systémique en droite ligne des travaux du biologiste L. Von Bertalanffy. On retrouve ici le même refus que L. Von Bertalanffy d'avoir à choisir entre les deux approches mécaniste ou vitaliste pour choisir celle de systèmes complexes dynamiques présentant un caractère d'émergence. Autre exemple très marquant : « The Theory of Complex Phenomena » de F. Hayek où il fait référence directe à L. Von Bertalanffy dans une note et où l'ensemble de ce papier reprend les concepts de Systémique : complexité, émergence, équilibre dynamique, ordre spontané, niveaux d'organisation, et bien sûr la prudence et la démarche anti-réductionniste et anti-scientiste qui en découlent comme souvent mentionné dans cet essai avec Aristote et sa phronesis ou J.B. Vico. Dans ce débat il est à noter que F. Hayek dans «  L’ordre sensoriel... » paragraphe 8.41 va très loin avec une réflexion particulièrement remarquable : « … une habitude que les hommes ont acquise (…), d'assumer que chaque fois où nous observons un processus particulier et distinct, celui-ci doit être dû à la présence d'une substance particulière et distincte correspondante. ». Simone Weil dès 1937, dix ans avant, parlait ainsi « qu'on donne des majuscules à des mots vides de signification, pour peu que les circonstances y poussent, les hommes verseront des flots de sang, amoncelleront ruines sur ruines en répétant ces mots. ». Cette mauvaise habitude, comme le souligne F. Hayek montrant que le dualisme n'est qu'une forme de matérialisme où l'existence supposée d'une matière « supérieure » est inévitable. Cela explique pourquoi les vitalistes/idéalistes de la fin du XIX° siècle appréciaient autant le spiritisme... qui soutient qu'à la mort l'âme s'échappe de la bouche du mourant sous la forme d'une vapeur éthérée... l'âme devenant donc subitement matérielle... Ou encore comme mentionné en [IV-2], l'âme est la glande pinéale bien matérielle pour Descartes. Plus tard dans « Droit, Législation et Liberté » [HAYEK F. 1979, p 158-59], F. Hayek écrit « ...la prise en compte d'un ordre inexplicable par analogie avec un autre également inexpliqué, a été maintenant remplacée par la théorie des systèmes, développée originellement par encore un autre ami Viennois, Ludwing Von Bertalanffy, et ses nombreux successeurs. Cela a mis en exergue les concepts communs de ces divers ordres complexes qui sont aussi discutés par les théories de l'information et de la communication et de la sémiotique. ».

     b) Auto-organisation
Par ailleurs F. Hayek dans « The result of human action but not of human design » [HAYEK F. 1967, p 298] cité par Paul Lewis [LEWIS Paul 2015, p 23] aborde le parallèle avec la théorie de l'évolution vis à vis des institutions sociales, en particulier sur la question de l'apparition d'un ordre spontané (i.e. Auto-organisation). Cet ordre spontané peut apparaître y compris là où l'homme agit mais sans avoir l'intention d'organiser délibérément quelque chose (le design). C'est le cas d'une économie, au sien de laquelle les individus vont agir, travailler, créer, acheter ou vendre, sans que cette économie (dans son organisation ou ses comportements) soit le résultat d'une intention globale délibérée. F. Hayek cite alors L. Von Bertalanffy : « Ce qui est appelé structures sont aussi des processus lent de durée longue, les fonctions sont des processus rapides de durée courtes. Si nous disons qu'une fonction telle que la contraction d'un muscle est réalisée par une structure, cela signifie qu'un processus de vagues rapides et courtes est surimposé sur une vague longue en déplacement lent ». [VON BERTALANFFY L., 1952 dans « Problem of Life », p 134]. Cette citation lui permet de faire le rapprochement avec les organismes vivants (processus rapides) au sein d'une espèce et d'un environnement (processus lent) et également avec des acteurs économiques, tels que les individus, entreprises, etc... (processus rapide) dans l'économie de marché libre garantie par la Constitution d'un État de droit (processus lent). Ces processus vont donner lieu à une sélection -en l'occurrence naturelle- entre les acteurs économiques. Cette analyse rejoint la question de la Finalité versus Équifinalité abordé en (II-5-2) et en (V-13). C'est une question centrale posée à nouveau par la Systémique après avoir été niée pendant plusieurs siècles par le positivisme cartésien.

    c) Trois type de systèmes
F. Hayek apporte un éclairage précieux sur l'existence de trois types de systèmes :
  •  Systèmes entièrement naturels : êtres vivants par exemple, où on parle d'auto-équilibre dynamique ponctué, d'ergodicité ou d'équifinalité, terme préféré à celui de finalité (tel qu'employé par Aristote) trop connoté par des questions de religions. F. Hayek qualifie ces systèmes "naturels inintentionnels".
  •  Systèmes entièrement artificiels : voitures, avions, machines de toutes sortes, où on parle sans aucun risque d'incompréhension de finalité, puisque celle-ci a clairement été donnée par l'ingénieur. C'est  l'ingenium avec Vinci et Vico. F. Hayek qualifie ces systèmes "artificiels intentionnels".
  •  Systèmes artificiels mais inintentionnels tels que clairement explicités par F. Hayek : par exemple l'économie d'un pays, où il faut revenir aux termes systémiques d'auto-équilibre dynamique ponctué, d’auto-organisation et d'équifinalité, comme pour les systèmes naturels, bien qu'ils soient artificiels. Ce dernier type de système est un concept clé de F. Hayek.
On retrouve le concept clé proprement systémique d'éco-auto-ré-organisation tel que réinventé par E. Morin.... Ainsi F. Hayek continue en soulignant « les idées jumelles d'évolution et d'ordre spontané » [HAYEK F. 1967, p 299].

    d) La Rationalité limitée
F. Hayek a également repris le concept systémique de la Rationalité limitée d'H. Simon (Voir II-5-5-e) sous le terme de « l'ignorance », ainsi il écrit : « nous présumons bien plus de choses que nous ne pouvons en connaître au sens cartésien du terme » dans « Droit Législation et Liberté » [HAYEK F. 1980, p 14]. Il a largement développé cette thèse dans « La Présomption Fatale », [HAYEK F. 1988] entièrement axé sur ce sujet. A cet égard, F. Hayek cite souvent K.Popper pour reprendre son concept de scientificité par le fait qu'une théorie doit être réfutable pour être scientifique. C'est l'un de ses arguments principaux contre les « sciences » économiques car celles-ci ne sont pas réfutables, ne pouvant pas faire l'objet d'un test, ou d'une expérience : il est impossible de recréer l'économie mondiale de 1928 pour tester des scenarii sur la crise de 1929. Tout comme pour L. Von Mises, et K. Popper, l'étude de l'économie ne peut que porter sur le passé, pour tenter de comprendre ce qui s'est produit, tout comme le ferait un historien. Cela est faisable via une attitude scientifique, c'est-à-dire un état d'esprit, méthodique, sérieux, et ordonné, il est possible de faire même des simulations, autant d’éléments qui tendent à rapprocher tout cela d'une méthodologie dite « scientifique », comme le font la plupart des historiens modernes, mais sans jamais -par définition- pouvoir prétendre au statut de science. A ce propos, certains économistes croient, en testant dans leurs simulations sur ordinateurs divers scénarii, tester par là même l'économie du monde réel et donc soumettre à tests et éventuelles réfutations leurs théories économiques. Bien que cette approche ne soit pas sans intérêt comme déjà mentionné, car elle permet de soumettre à une toute première étape, c’est-à-dire un test de cohérence interne, la théorie/modèle. Il ne faut pas pour autant à partir de là croire que l’on a réalisé une expérimentation scientifique, c’est-à-dire un test dans/sur le monde réel, seule référence acceptable, ce serait confondre la réalité avec les simulations, éternel danger de la Systémique, comme le dit A. Korzybski :  « la carte n'est pas le territoire » !

     e) L'explication de principe : pour ne pas ignorer son ignorance
Sur ce point extrêmement important, F. Hayek apporte une idée clé, celle d' « explication de principe » en matière d'économie. Les sciences économiques ne peuvent que fournir des explications de principes aux phénomènes rencontrés dans le passé, après coup : la masse monétaire a cru trop rapidement..., les intérêts de la dette de l'état allemand ne pouvant plus être payée…., les ménages emprunteurs n'étant plus solvables…, etc. mais ne peuvent pas prédire un phénomène particulier précis du fait même qu'il ne s'agit pas d'une sciences, car non reproductible, non expérimentale et non testable et donc non réfutable au sens de K. Popper. Ainsi la chimie ou encore la physique ou les mathématiques peuvent -dans une certaine mesure !- prédire un résultat particulier (le produit d'une certaine réaction chimique), parce qu'elles sont des sciences véritables. Ainsi à ce sujet F. Hayek évoque dans son papier « La Théorie des Phénomènes Complexes » [HAYEK F., 1961] le fait que nous ignorons notre ignorance, démarche typiquement scientiste. Citation : « Comme l'a fait remarquer Popper et quelques autres, « plus notre savoir sur le monde sera étendu, et plus il sera profond, plus nous serons conscients de ce que nous ne savons pas, plus précise et nette sera la connaissance de notre ignorance » [K. Popper, “On the Sources of Knowledge and Ignorance”, in Proceedings of the British Academy, 46, 1960, p. 69. (Repris comme introduction, dans "Conjectures and Refutations", K.Popper, Londres, 1963, tr. fr. Payot, 1985. (N. d. T.)]. Or il est vrai que dans bien des domaines nous en avons appris assez pour savoir que nous ne pouvons pas savoir tout ce que nous aurions à savoir pour expliquer complètement les phénomènes. Ces limites peuvent ne pas être absolues. Bien que nous puissions ne jamais en savoir autant sur certains phénomènes complexes que sur des phénomènes simples, nous pouvons dépasser partiellement ces limites en favorisant délibérément une technique qui vise des objectifs plus modestes, à savoir l’explication non plus des événements singuliers mais seulement de l’apparition de certains patterns ou ordres. Il importe peu que nous nommions ce type d’explication « explications du principe » ou « prédictions structurales » (pattern predictions), ou encore « théories de haut niveau ». Une fois que l’on a explicitement reconnu que l’intelligence du mécanisme général qui produit les patterns d’un certain type n’est pas seulement un instrument pour faire des prédictions singulières, mais a en elle-même une grande importance, et qu’elle peut fournir d’irremplaçables guides pour l’action - voire parfois indiquer qu’aucune action n’est souhaitable -, on peut alors s’apercevoir du fait que cette connaissance limitée est de la plus grande valeur. ». Ici F. Hayek rejoint G. Bachelard avec sa « connaissance du réel est une lumière qui projette toujours quelque part des ombres. » [BACHELARD, Gaston, 1934, p 16 tiré de « La Formation de l’Esprit Scientifique  », J. VRIN 1967], voir (III-2-7).

F. Hayek a développé de son côté un vocabulaire spécifique appliqué à l'économie, bien que les concepts soient les mêmes. A l'inverse il y a bien sûr toute une série de concepts travaillés par F. Hayek qui n'existe pas en Systémique, car en dehors de son propos. A titre d'exemple : démocratie, individualisme et libertés individuelles, égalité, justice commutative versus distributive, justice dite sociale, etc... qui nous emmènent très loin sur d'autres débats.

     f) Le danger de la personnification holiste
Enfin F. Hayek met en garde sur un danger, qui est un danger auquel une systémique dévoyée, caricaturée et surtout mal comprise peut conduire, c'est l'approche holiste, non dans la compréhension du fait qu'il existe des systèmes -dans ce cas elle est correcte car opposée au cartésianisme- mais plutôt dans le fait de plaquer sur un système (naturel ou artificiel in-intentionnel comme l'économie) un pilotage transcendant, « top-down » externe, dans une démarche qu'il qualifie de planiste, positiviste ou scientiste (et donc précisément cartésienne). Ce danger est détaillé tout au long de la « Route de la Servitude » [HAYEK F., 2010] et de « La Présomption Fatale » [HAYEK F. 1988]. Pour lui, il faut raisonner en partant des individus et non d’une quelconque entité supérieure supposée (ou inventée de toutes pièces). Il évoque alors le concept clé d’individualisme méthodologique qui « va donc de la partie (les individus) au tout (la société) et il se présente non comme une réflexion sur le supra-individuel (perspective holiste) mais comme un effort de recomposition de l'ordre social global à partir des relations inter-individuelles. » [FRANCATEL-PROST L. 2003, p 29]. Ce danger porte un nom : réification (prendre pour une chose ce qui ne l'est pas) ou pire encore personnification. Nous avons déjà vu cela avec le concept (erroné) d’émergence métaphysique en (II-5-1), sorte de caricature de celui d'émergence épistémologique que seul retient L. von Bertalanffy. Cette personnification revient à doter un système d'une personnalité, tout comme un être humain, alors qu'il n'en est rien, seuls un ou des individus existent réellement derrière cette personnification pour « tirer les ficelles ». Elle permet également de créer un absolu là il où il n'existe pas, le premier à avoir ainsi dénoncé ce type d'absolu, a été Spinoza, comme vu en (III-2-2) avec Le Bien et Le Mal en soi qui doivent être remplacés par le bon ou le mauvais pour soi. Lorsque l'on se met à parler du « Parti », du « Pays », de la « Nation », du « Peuple de Gauche » ou encore chez les mafieux de la « Famille », et autres cultes de la personnalité « Petit Père des Peuple », « Guide / Führer », « Grand Timonier » les voyants d'alertes doivent s'allumer d'urgence.... C'est alors la porte ouverte à tous les interventionnismes (sur les prix, les règlements, les lois, les médias, vies privées, libertés individuelles, etc...) fruit notamment de la méconnaissance du concept de la « Variété requise » de W. Ashby et de la Rationalité limitée d'H. Simon, loin de toute prudence et modestie aristotélo-vichienne. Toutes ces personnifications couplées avec ces cultes de la personnalité des dirigeants, voire de leur déification vont de pair avec la réduction des citoyens en fourmis ou robots auxquels on dénie toute intelligence. Ils sont alors comme le dit Marx lui-même « simples organes de travail » d’ouvriers moyens. [Marx, « Contribution... », Chap 1, p 19]. Cette mise en garde est clairement exprimée chez L. von Bertalanffy : «  La société humaine n’est pas une communauté de fourmis ou de termites, gouvernés par un instinct héréditaire et contrôlés par les lois d’un tout sur-ordonné ; elle est fondée sur les réalisations de l’individu, et est condamnée si l’individu est transformé en un simple rouage de la machine sociale. C’est, je le crois, le principe ultime qu’une théorie de l’organisation peut donner : non un manuel pour que des dictateurs d’une quelconque conviction puissent plus efficacement soumettre des êtres humains par l’application de Lois d’Airain, mais un avertissement du fait que le Léviathan de l’organisation ne saurait avaler l’individu sans sceller par là-même inévitablement son propre destin funeste. » [BERTALANFFY, L. von, « Théorie Générale des Systèmes » Ed Dunod, 1980, p 82]. C'est ce que F. Hayek nomme aussi l'atavisme, rejoignant ainsi K. Popper qui parle de tribalisme dans « La Société Ouverte et ses Ennemis » [POPPER, Karl, 1979] (voir tableau ci-dessous). On voit en effet resurgir des comportements tribaux où les individus s'en remettent au chef tribal, un sauveur, un Guide (Führer en allemand…) ou autre « Petit Père des peuple » et avec au bout une « Route de la Servitude » totalitaire assurée au service de certains individus. On note en passant que cette idée est exprimée également par L. Von Bertalanffy lui-même : « Une autre objection met en avant le danger que la théorie générale des systèmes puisse aboutir à des analogies dénuées de sens. Le danger existe, certes. Par exemple, c'est une idée répandue de considérer l'état ou la nation comme un organisme d'un niveau super-organisé. Une telle théorie constituerait cependant le fondement d'un état totalitaire dans lequel l'individu apparaîtrait comme une cellule insignifiante dans un organisme, un travailleur sans importance dans une ruche. » [Ibid, p. 34]. Elle est également grandement développée par K. Popper dans « La Société Ouverte et ses Ennemis ». On doit également rappeler la mise en garde de… Trotski comme Raymond Aron [ARON, Raymond, Introduction à la Philosophie Politique, p 175] l’explique : « Trotski a opposé à Lénine que la conception d'un parti de révolutionnaires professionnels, avec l’autorité absolue du comité central, comportait un risque extrême. Il a dit à Lénine : vous allez mettre le parti à la place du prolétariat, ensuite le comité central à la place du parti, et finalement le secrétaire général du comité central à la place du comité central, et vous aboutirez à la dictature d’un homme ».

On retrouve la même préoccupation chez Benjamin Constant : « Lorsqu’on établit que la souveraineté du peuple est illimitée, on crée et l'on jette au hasard dans la société humaine un degré de pouvoir trop grand par lui-même, et qui est un mal, en quelques mains qu'on le place. (...) L'erreur de ceux qui, de bonne foi dans leur amour de la liberté, ont accordé à la souveraineté du peuple un pouvoir sans bornes, vient de la manière dont se sont formées leurs idées en politique. Ils ont vu dans l'histoire un petit nombre d'hommes, ou même un seul, en possession d'un pouvoir immense qui faisait beaucoup de mal ; mais leur courroux s'est dirigé contre les possesseurs du pouvoir et non contre le pouvoir même. Au lieu de le détruire, ils n'ont songé qu'à le déplacer. C'était un fléau, ils l'ont considéré comme une conquête. Ils en ont doté la société entière. Il a passé forcément d'elle à la majorité, de la majorité entre les mains de quelques hommes, souvent dans une seule main : il a fait tout autant de mal qu'auparavant ; et les exemples, les objections, les arguments et les faits se sont multipliés contre toutes les institutions politiques. Dans une société fondée sur la souveraineté du peuple, il est certain qu'il n'appartient à aucun individu, à aucune classe, de soumettre le reste à sa volonté particulière ; mais il est faux que la société tout entière possède sur ses membres une souveraineté sans bornes.».[CONSTANT, Benjamin, « Principes de politique », 1872].

Le tableau ci-dessous résume les équivalences entre F. Hayek et Systémique :

Vocable F. Hayek Systémique Commentaire
Atavisme Cartésianisme... Raisonnement pré-moderne tendant à rejeter les phénomènes systémiques
Positivisme Positivisme Même concept
Scientisme Scientisme Même concept
Organisation Organisation Même concept
Environnement (dont économique) Environnement Même concept
Boucle de rétroaction des acteurs économiques Idem, Récursivité Même concept
Formalisation/ modèles. Méfiance sur les modèles économétriques Formalisation/ modèles Même concept, avec la même prudence et modestie à appliquer aux modèles qui ne sont pas la réalité et ne sont que des analogies (la carte n'est pas le territoire)
Complexité Complexité Même concept
Sélection / Concurrence Sélection / Concurrence Même concept
Les prix comme système d'information entre acteurs économiques Flux d'informations entre systèmes Même concept.
Les prix (et taux d'intérêts qui ne sont que les prix de l'argent) sont une information vitale échangée entre acteurs qui en ont besoin pour se diriger au sein de leur environnement économique. Idem Systémique avec les flux d'informations entre systèmes. Réguler les prix, c'est bloquer le système d'informations entre individus (alias sous-systèmes pour la Systémique).
Constitution d'un État Environnement d'un ou de N systèmes Pour F. Hayek, la Constitution doit pouvoir servir d'environnement stable et garanti aux individus (c'est l'état de Droit avec un petit "e" et un grand "d", la "Rule of Law" des anglais).
Catallaxie État d'équilibre Homéostasie/ Domaine de Stabilité/ Ergodicité/ Régulation/ Équifinalité Même concept. Pour F. Hayek c'est la coordination spontanée et in-intentionnelle des efforts des individus libres au sein d'une société libre, ouverte et élargie.

Concept clé chez Hayek, à juste titre...
Structure Structure Même concept, F. Hayek met l'accent sur les processus lents vs rapides
Niveaux Niveaux-Strates/ Niveaux Ordonnés/ Niveaux Hiérarchiques Même concept.
Mais détaillé plus précisément par la Systémique.
Non prévisibilité des interactions des acteurs économiques Variété requise Même concept. Va de pair avec la complexité. Voire (V-7) et (II-4-1 et II-4-2). C'est le reproche principal adressé par F. Hayek aux socialistes / planistes / dirigistes / scientistes.
Ignorance Rationalité Limitée d'H. Simon (Voir II-5-5) Même concept
Ordre spontané ou ordre auto-généré Émergence Même concept. Voir Catallaxie
Intentionnalité/ Finalité Intentionnalité/ Finalité Même concept. Voir Catallaxie
Auto-Organisation « Main invisible » Auto-Organisation Même concept. Voir Catallaxie
Cosmos Ordre/ Organisation endogène Même concept. Auto-organisation. Immanence. Pilotage interne au système.
Taxis Ordre/ Organisation exogène Même concept. Transcendance. Pilotage externe au système. Peut être une entreprise ou une famille ordonnée par un chef (dictateur) qui impose sa volonté. F. Hayek utilise aussi le terme de « constructivisme » (constructivisme social qui n'a rien à voir avec le constructivisme épistémologique !) route ouvertes vers la servitude...

Cela ne signifie pas, comme souligné par P. Lewis que Hayek ait pris notamment ces concepts d'émergence exclusivement de L. Von Bertalanffy, il s'est également inspiré des travaux du biologiste J. Woodger et du psychologue allemand W. Wundt, mais par contre la lecture de L. Von Bertalanffy a permis à F. Hayek « de raffiner et articuler sa compréhension de l'émergence d'une manière plus claire et sophistiquée » [LEWIS Paul 2015, p13 note 12].

SUITE du Blog : K. Popper et les « sciences » sociales

Benjamin de Mesnard
 Épistémologie Systémique Constructivisme 

samedi 13 décembre 2008

III) Théories alliées à la systémique (Pascal et Vico)

III-2-4) Pascal (1623-1662)

Il y aurait beaucoup de choses à dire sur Pascal dont on peut rappeler cette citation : « Donc toutes choses étant causées et causantes, aidées et aidantes, médiates et immédiates et toutes s'entretenant par un lien naturel et insensible qui lie les plus éloignées et les plus différentes, je tiens impossible de connaître les parties sans connaître le tout, non plus que de connaître le tout sans connaître particulièrement les parties. » [PASCAL, Blaise, 1852, p 15].
Cette citation pourrait parfaitement être utilisée aujourd’hui comme définition de la Systémique. Elle synthétise tout ce qui caractérise l’approche Systémique. Enfin rappelons-nous de ce qu’a dit Pascal sur Descartes : « Descartes inutile et incertain ».
On pourrait ajouter sur Pascal, qu’il était en fait allé plus loin que Descartes, tant sur le plan mathématique que philosophique. En particulier, Descartes, ébloui en quelque sorte par son succès, a considéré qu’il avait compris son propre esprit et le monde et a commencé à développer les thèses scientistes reprises par Laplace et amenée à leur maximum avec le positivisme et A. Comte. Au contraire, Pascal a entrevu la dimension infinie de l’espace et du temps dépassant de loin les capacités humaines : « Le silence éternel de ces espaces infinis m’effraie » [Pensée 187]. Il a compris l’extrême complexité du monde dans lequel nous nous trouvons, et la faiblesse de nos moyens matériels et spirituels. En cela il donc bien anticipé la Systémique dans cette dimension « modeste » du savant comparé à la dimension et la complexité du monde, ainsi que le problème de la rationalité limitée. Loin de renoncer à la science, il a continué son œuvre mais dans une perspective opposée à celle de Descartes et son approche « triomphante ».
Par ailleurs, il a repris l’approche par de multiples points de vues de Leibniz, insistant sur le fait qu’il faut multiplier ceux-ci pour comprendre une chose terrestre, du fait de la relativité du monde et pour « s’ouvrir à l’infini ». Ainsi, et contrairement à Descartes dans les domaines scientifiques Pascal ne prétends pas utiliser une méthode générale simple. Au contraire, au-delà des multiples points de vues, il n’hésite pas à adopter pour chaque problème étudié une approche spécifique pragmatique sans revendiquer de solutions générales absolues, ni encore moins une Vérité absolue. Il emploiera une approche, les « hexagrammes », pour l’étude des coniques, et une autre complètement différente pour démontrer l’existence du vide, etc... Il a donc devancé la Systémique et ses découpages ad-hoc construits à partir du réel en vue d’élaborer des modèles scientifiques. La Systémique a repris cette idée d'approches multiples comme centrale, elle sera plus développée en (III-3-6) et en (VI-14).
Enfin, il a fait le troisième choix -repris par la Systémique-, entre le besoin du point fixe, référence absolue, fondement stable et inébranlable sur lequel tout se construit –cher à Descartes- et le relativisme absolu où toute connaissance est vaine car « tout coule tout s’écoule » (Héraclite) qui conduit à l’abandon intellectuel, au repli sur soi et au désespoir. C’est le troisième choix orthogonal si l’on peut s’exprimer ainsi, qui consiste « à aller au-delà de la croyance et du désespoir » (B. Vergely) pour découvrir une réalité infinie, complexe, « sphère infinie dont le centre est partout et la circonférence nulle part » comme le dit Pascal. On retrouve ici la récursivité Systémique décrite en (II-3-5) et la maison « comme une construction bâtie sur pilotis » de K. Popper [POPPER Karl, 1984, p 111], qui accepte délibérément une construction certes branlante et pouvant tomber à tout moment sous les coups d’une preuve réfutant la théorie, mais qui va malgré tout entreprendre cette construction en écartant sciemment à la fois le point soi-disant fixe si rassurant, et le désespoir. Enfin, il a anticipé l’épistémologie de K. Popper dans une lettre au Père Étienne Noël : « Pour faire qu’une hypothèse soit évidente, il ne suffit pas que tous les phénomènes s’en ensuivent, au lieu que, s’il s’ensuit quelque chose de contraire à un seul des phénomènes, cela suffit pour assurer de sa fausseté ». Il avait compris qu’une théorie, une hypothèse ne pourrait jamais être prouvée vraie, même après avoir passé N tests ou expériences avec succès. A l’inverse il suffit qu’un seul nouveau test soit en désaccord avec la théorie pour que celle-ci puisse être déclarée fausse.

III-2-5) G.B. Vico (1668 - 1744)

G.B. Vico, est un italien qui a vécu juste après Descartes et s’est opposé violemment à lui. Il est probable que s’il avait été français et écrit en français, l’épistémologie, voir même les sciences occidentales, auraient pris une toute autre tournure et nous aurions pu gagner peut-être deux siècles. Auteur d’un ouvrage resté ignoré jusqu’à assez récemment : « Principi di scienza nuova d’intorno alla comune natura delle nazioni » en 1725 et auteur de l’idée d’une science nouvelle. Il est la référence historique du Constructivisme épistémologique, comme Descartes l’est de l’empirisme positiviste. Il professe que le cœur des sciences est « l’ingenium » et non la découverte de faits préexistants. L’ « ingenium » rejoint tout à fait l’ingenio de Léonard de Vinci 150 ans plus tôt, où la science doit être invention de modèles créatifs, dynamique d’hypothèses construites (d’où le nom de constructivisme) à vérifier scientifiquement (réfuter avec K. Popper).
Comme l’explique G.B. Vico, Descartes veut appliquer la « méthode géométrique » à toutes les sciences, c’est-à-dire la méthode utilisée pour la géométrie. Or, si cette méthode est soit-disant efficace pour des choses créées par l’homme de toutes pièces (la géométrie), dans les autres sciences, où il s’agit de tirer les lois universelles du monde réel auquel nous sommes confrontés et qui n’ont pas été créé par nous, cette méthode ne fonctionnera plus. Ainsi G.B. Vico dit « C’est pourquoi ces propositions de physique, qui sont présentées comme vraies en vertu de la méthode géométrique, ne sont que vraisemblables, et, de la géométrie, ne tiennent que la méthode, et non la démonstration : nous démontrons les choses géométriques, parce que nous les faisons ; si nous pouvions démontrer les choses physiques, nous les ferions. » [VICO, GiamBattista, 2001, p 51]. Bien au contraire cette démonstration géométrique chère à Descartes et au Positivisme amènera à une stérilisation certaine pour deux raisons :
  • Application d’une démarche dite « internaliste » d’introspection chère à Descartes, le « je pense donc je suis », légitime (???) pour la géométrie invention humaine, mais non à un secteur scientifique dont le but est de comprendre le monde physique et donc externe. Les théories scientifiques tentant de comprendre le monde doivent donc relever de la démarche « externaliste » défendue par J.B. Vico, et la Systémique, car s’appuyant sur un monde qui est externe à l’observateur, même si cet observateur fait bel et bien, partie de ce monde. Pour employer une image, ce n’est pas en observant et en analysant son esprit par introspection cartésienne, que l’on fera de l’astronomie…
  • Application de la démarche déductive positiviste où le but est de trouver le vrai, référence absolue, et donc LA théorie scientifique validée comme vraie. G.B. Vico par contre rétabli l’équilibre aristotélicien, il remet la démarche scientifique sur ses deux jambes. Il utilise la 1° phase d’imagination, de création, et d’induction nécessaire à l’apparition des nouvelles théories sans rejeter la 2° phase qui suit, caricaturée par Descartes. Dans cette 2° phase il s’agira de s’assurer de la vraisemblance de la théorie mais sans prétendre atteindre la vérité absolue, le point fixe. On retrouve donc très clairement ici à la fois Bachelard avec sa flamme vacillante des connaissances, Kant et K. Popper avec la maison sur pilotis et à nouveau K. Popper avec son critère de réfutabilité des théories –qui va plus loin que G.B. Vico-, et bien sûr la Systémique actuelle.
Sur ce point il faut citer G.B. Vico : « Pour éviter l’un et l’autre défauts, je serais donc d’avis d’enseigner aux jeunes gens tous les arts et les sciences en formant leur jugement de façon complète, afin que la topique enrichisse leur répertoire de lieux communs et que, tout en même temps, ils se fortifient, grâce au sens commun, dans la prudence et l’éloquence, et s’affermissent, grâce à l’imagination et à la mémoire, dans les arts qui reposent sur ces facultés de l’esprit. Qu’ils apprennent ensuite la critique, et qu’ils jugent alors, sur nouveaux frais et avec leur propre jugement, les choses qu’on leur a apprises, et s’exercent à raisonner sur elles en soutenant les deux thèses opposées. » [VICO, GiamBattista, 2001, p 48 et 49]. Il s’agit bien de ne rejeter aucune des deux phases, mais au contraire de les exercer l’une et l’autre puis de revenir à la première en boucle rétroactive : c’est la dialogique d’E. Morin dès le XVIII° siècle…
Par ailleurs G.B. Vico réhabilite la praxis des grecs antiques. Pour Descartes la science doit être un ensemble de théories valides par elles-mêmes, par leurs logiques internes (autre forme d’internalisme), vraies dans l’absolu, comme l’est la géométrie. Dans l’approche vichienne, la science doit plutôt être le soutien d’une praxis, d’une pratique, une aide au praticien, comme c’est le cas de la biologie pour la médecine, (n’oublions pas que L. Von Bertalanffy était biologiste…).
Enfin G.B. Vico attache une très grande importance à la prudence, thème souvent repris dans cet essai. C’est la reprise de la phronèsis d’Aristote et de la prudencia des Romains comme le rappelle A. Pons. Pour Vico, le chercheur doit avancer dans le domaine du vraisemblable, et non du certain, face à un monde externe, et non interne, qu’il lui est imposé, qui le dépasse et qu’il ne maîtrise pas, mais qu’il tente –seulement et modestement- de comprendre avec prudence sans sauter trop vite à des conclusions en voulant s’appuyer sur l’évidence cartésienne. Enfin cette prudence est à opposer au doute cartésien. Le doute cartésien ne doit pas être rapproché de la prudence aristotélo-vichienne, il relève en réalité d'une démarche opposée : le doute cartésien est donné comme systématique, mais le problème est qu'il ne dure que le temps d'une phrase, il ne relève donc pas d'une démarche. En effet tout d'abord il disparaît comme par magie subitement dès la phrase suivante devant l'évidence (de quoi et pourquoi ?) ; ensuite la prudence s'inscrit dans une véritable démarche, une méthode, qui est la délibération, la dialogique, l'adoption de multiples points de vue, en l'occurrence ceux des autres sages (Aristote) ou des autres scientifiques (constructivisme) au cours d'une procédure de dialogique volontaire et suffisamment longue. Car « quand on délibère, on y met souvent beaucoup de temps; et l'on dit ordinairement que, s'il faut exécuter rapidement la résolution qu'on a prise après délibération, il faut délibérer avec lenteur et maturité. » [ARISTOTE, 1992 p 255].

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Benjamin de Mesnard