dimanche 12 décembre 2021

V-18) Logique versus Polylogiques


Les mathématiques nous montrent qu’il y la Logique Formelle, la Logique Binaire, la Logique Floue, etc. mais ces logiques mathématiques sont universelles et s’imposent à tous les êtres humains de la même manière. Les Polylogiques revendiquent au contraire le fait qu’il existe plusieurs sortes de logiques en fonction de l’appartenance à un groupe donné. Chaque groupe, classe, race, sexe, préférence sexuelle ou tout autre groupe arbitrairement défini peut donc avoir sa propre logique, différente voire opposée aux autres. Cette idée à été étudiée et dénoncée plus particulièrement par L. von Mises dans « L’action humaine » en 1949. 
Elles sont apparues tout d’abord avec les religions, selon qu’un individu « appartient » à telle ou telle religion il devra alors croire à certaines choses, en adoptant la « logique » de sa religion aboutissant à une Vérité révélée incontestable. 
Cette approche Polylogique a ensuite été réutilisée par K. Marx et consorts : un individu est entièrement déterminé par son appartenance à une Classe, classe au demeurant personnifiée (le Prolétariat). Le Prolétariat sera soumis puis devra soumettre l’ensemble du Peuple (autre personnalisation) à la logique du Matérialisme Dialectique donnée comme supérieure à la Logique Formelle vue comme bourgeoise (voir IV-5-1) : « La logique dialectique, à l'opposé de l'ancienne logique, purement formelle, ne se contente pas comme celle-ci d'énumérer les formes du mouvement de la pensée, c'est à dire les diverses formes du jugement et du raisonnement, et de les accoler les unes aux autres sans aucun lien. » [ENGELS, F., « Dialectique de la nature », 1883, p 180]. 
Peu après, ce procédé a ont été employé par le Nazisme où cette fois l’individu est supposé déterminé non pas par sa classe mais par sa race, il aura alors la logique de sa race. Logique supérieure chez les supposés Aryens débouchant sur des sciences qualifiées de même, et inférieure chez les autres races. Aujourd’hui, on retrouve les Polylogiques avec la détermination de l’individu par son sexe, à nouveau sa race voire les deux par « l’homme blanc », ou encore par sa préférence sexuelle via le seul fait qu’il hétéro, homo ou bisexuel. 
A ce stade il est important de distinguer deux choses qui pourraient paraître contradictoires car d’aucuns seraient tentés de faire le rapprochement entre le Constructivisme épistémologique et les Polylogismes. Il pourrait être tentant de prendre comme prétexte que le Constructivisme épistémologique souligne deux choses très importantes : 
- les limites de notre rationalité avec la Rationalité limitée de H. Simon (voir II-5-5-e). Certes notre rationalité dépend notamment des modes de connaissances, des limites de nos sens, de nos cerveaux, de la culture, l’idiosyncrasie et de l’expérience personnelle d’un individu, mais cela n’autorise pas à conclure qu’il existe une logique différente par sous-ensembles d’êtres humains arbitrairement définis ;
- et qu’il recommande de faire le tour d’un problème par plusieurs points de vues différents avant de l’étudier plus avant, comme le dit Leibniz (voir III-2-3). Mais là encore cette démarche prudente vichienne ne signifie pas qu’il y autant de logiques « locales » que de points de vues… En effet ce serait retomber dans du relativisme, or Systémique, et le Constructivisme épistémologique ne sont pas des relativismes on pourra reprendre les arguments déjà vus plus haut (voir V-6 ). 
A cette conclusion erronée on peut opposer par ailleurs que c’est une chose que de constater que nous avons chacun une expérience, une vie différente, et une autre de dire que seul compte le supposé groupe auquel appartiendrait un individu. De plus un individu a toutes les chances d’appartenir à plusieurs groupes : comment classer en effet par exemple une ouvrière allemande lesbienne vivant en 1935 ?
Appartient-elle avant tout (et exclusivement) à la Classe ouvrière en ayant la logique de celle-ci (« La logique dialectique, à l'opposé de l'ancienne logique, purement formelle » de Engels), et donc au Prolétariat exploité comme le veulent les marxistes? Ou bien ne devrait-elle pas plutôt appartenir (et donc être supposée entièrement déterminée par…) son homosexualité ? A moins que ce ne soit le fait qu’elle est la représentante de la « race aryenne » dominatrice animée par la logique de sa « race » comme le voulait les nazis ? Ou encore le fait qu’elle soit une femme et donc défavorisée par sa logique féminine supposée inférieure à la logique masculine pour Hitler ? Autant d’incohérences qui n’ont aucun sens. Le seul fait qui tienne est que cette personne est une personne particulière avec sa vie propre, sa culture et son passé, son point de vue (mais non sa logique !) personnelle qu’elle peut et doit demeurer libre d’avoir et qui ne seront pas forcément identiques à celles de son/sa « camarade », compatriote allemand ou encore une autre lesbienne et surtout tels que décrétés par tel ou tel groupe de pression médiatique. On retrouve ainsi au cœur de ce débat la question de la liberté individuelle : personne n’a le droit d’enfermer les pensées et les opinions d’un individu dans celles supposées d’un supposé groupe personnifié (Classe, Race, etc.). Ainsi ce n’est pas parce qu’un individu est allemand qu’il doit adhérer automatiquement aux thèses de la soit-disant supériorité de la supposée race aryenne. Ce n’est pas parce que quelqu’un est ouvrier à un moment de sa vie qu’il doit adhérer aux thèses de lutte des classes et aux erreurs du matérialisme dialectique du marxisme. Etc… Le plus grave dans la Polylogique, est qu’au nom du groupe d’appartenance supposé d’un individu, on va s’autoriser à rejeter ses propos ou même ses théories scientifiques au seul titre qu’il est classé bourgeois, juif, homme blanc ou hétérosexuel. Ainsi c’est comme cela que les communistes soviétiques et chinois ont rejeté la Théorie de la Relativité classée « science bourgeoise » de même que les nazis au motif qu’elle était cette fois-ci décrétée « science juive ». L. von Mises donne ainsi un autre exemple concernant les théories économiques : «  Aux yeux des marxistes la théorie ricardienne des coûts comparés est sans valeur parce que Ricardo était un bourgeois. Les racistes allemands condamnent la même théorie parce que Ricardo était juif, et les nationalistes allemands parce qu'il était Anglais. » [Von MISES, L., « L’action humaine. », 1949, Ed Institut Coppet, p 87]. Ces rejets se faisant au profit de théories, des logiques, dites prolétariennes pour les uns, nationalistes, sexistes ou aryennes pour les autres, théories décrétées Vraies par définition avec un « V » majuscule et non discutables. En passant on retrouve une fois de plus un important point commun entre communisme et nazisme… Ainsi au lieu de suivre la méthode popérienne, c’est à dire de proposer une autre théorie après avoir jugé fausse une première théorie suite à une expérience invalidant la celle-ci, on va rejeter à priori cette théorie au seul titre de l’appartenance de son auteur à tel ou tel groupe. 
Comme on le constate, le polylogisme est face à des graves difficultés ne serait-ce que sur l’appartenance d’un individu à des groupe multiples comme on l’a vu avec l’exemple de l’ouvrière allemande lesbienne ou encore avec par exemple ceux qui, bien qu’allemand, refusaient d’adhérer aux thèses raciales nazies. Pour résoudre ces incohérences, on en vient à retourner le problème : on décrète la logique d’un groupe (classe, nation, race ou autre), puis tous ceux qui sont en accord avec cette logique sont donnés comme appartenant au groupe et ceux qui sont contre sont identifiés comme ennemis ou traîtres. « Ainsi, les marxistes sont prêts à décerner le qualificatif de « penseur prolétarien » à quiconque soutient une doctrine qu'ils approuvent. Tous les autres, ils les disqualifient soit comme ennemis de classe, soit comme « social-traîtres ». Hitler eut même la franchise d'admettre que la seule méthode dont il disposait pour trier les vrais Allemands d'entre les bâtards et les étrangers, consistait à énoncer un programme authentiquement allemand et à voir qui était prêt à appuyer ce programme. » [Ibid, p 88]. 
De nos jours encore, des universitaires sont censurés voire même rejetés de leur université au seul titre qu’ils sont des hommes blancs hétérosexuels. A l’inverse, on va s’autoriser à être ouvertement raciste (en l’occurrence « anti-blanc ») au prétexte que l’on est pas « blanc », alors même que le concept de race est des plus contestable scientifiquement. 
Cette opposition entre Logiques mathématiques et Polylogiques est l’une des plus importante car elle rejoint étroitement les mécanismes de personnifications déjà vus précédemment où un groupe défini arbitrairement est supposé déterminer un individu qui n’existe plus en tant que tel mais seulement comme membre de ce groupe. Elle rejoint également la recherche du « point fixe » cartésien rassurant, roc solide et inébranlable sur lequel on pourra revendiquer une théorie soit-disant scientifique atteignant la Vérité avec un grand « V » incontestable. En effet chaque groupe fournira ainsi aux individus censés lui appartenir la logique absolue de leur groupe, sans qu’ils aient besoin de se poser la moindre question… et ceux qui tiendraient à continuer à penser par eux-même seront « rééduqués » comme il se doit.
 
Apport de la Systémique : On l’aura compris, la Systémique ne peut que rejeter avec la plus grande énergie les Polylogiques. Il n’y pas une logique différente par groupe, par sous-ensembles de populations décrétés par tel ou tel « penseurs », logique absolue et vraie censée s’imposer aux individus appartenant à ce sous-ensemble. Les êtres humains ne sont pas des robots auxquels on « impose » un programme informatique variant d’un groupe à un autre. Enfin il n’y a qu’un seul ensemble unique de logiques, celles issues des mathématiques, et elles sont universelles, valables pour tous les êtres humains. Non, la Logique formelle n’est pas dépassée car supposée être remplacée par le matérialisme dialectique comme le soutient Engels.


SUITE du Blog : VI) Une Nouvelle Ligne de Fracture Apparaît 


Benjamin de Mesnard
Épistémologie Systémique Constructivisme 

Aucun commentaire: