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lundi 13 décembre 2021

VI) UNE NOUVELLE LIGNE DE FRACTURE APPARAÎT


Cette ligne de fracture nouvelle qui apparaît tend à remettre à leur juste place les anciennes oppositions « classiques ». Cette fracture s’articule finalement autour du concept d’immanence versus transcendance évoqué en (V-7) : 
 
     ● Immanence : d’un côté la Systémique et le Constructivisme épistémologique avec la « pensée complexe » synthétique et prudente, l’ingénium, l’indéterminisme, la dialogique, et ne confondant ni la carte avec le territoire, ni l’idée avec le réel. Elles sont immanentes avec les concepts d’éco-auto-ré-organisation, d'équilibre dynamique ponctués et d’émergence. Elles sont conscientes des limitations de notre rationalité, prêtes à adopter de multiples point de vues et à se remettre en cause par des théories se prêtant à réfutation. Elles s’appuient sur des philosophies comme celles d’Aristote, le Structuralisme, la Systémique, la cybernétique de second ordre de G. Bateson, A. Korzybski, Pascal, H. Simon, la « pensée complexe » d’E. Morin, et K. Popper ou F. Hayek. 
 
    ● Transcendance : et de l’autre côté les philosophies platoniciennes, cartésiennes, analytiques , positivistes, scientistes, réductionnistes, recherchant le point fixe et l’évidence cartésienne (succédant immédiatement au pseudo-doute grâce au « je pense donc je suis»). Elles se réclament de l’Idéalisme ou du Matérialisme - dont le dialectique -, deux fausses oppositions, toujours à livrer diverses luttes pour la victoire d’une hypostase, c'est à dire d’une personnification artificielle supposée être par définition dans le camp du Bien absolu avec un grand « B » : « Classe », « Parti », « Nation », « Race », « Prolétariat », « Peuple », « Peuple de gauche » ou « Peuple de Dieu », ou bien le Mal absolu : « Grand Capital » afin de faire appel aux émotions et éteindre notre raison. Pour Simone Weil, « on donne des majuscules à des mots vides de signification » qui n’existent pas en réalité et pour lesquels des millions de gens sont censés se sacrifier voire même donner leur vies, avec la promesse d’un futur paradis radieux. Transcendantes car croyant qu’une organisation ne peut être pensée que « d’en-haut » par un Dieu, un guide ou un grand timonier géniaux. Elles viennent de Platon, Descartes, A. Comte, le Cercle de Vienne, des religions monothéistes et des deux socialismes national ou non : le Nazisme et le Marxisme. Ces hypostases sont supposées être représentées – guidées - par un « homme providentiel » ou un Dieu, affublé de toutes une séries de qualités extraordinaires, qu’il soit être humain ou divinité. On peut qualifier de magique cette « pensée » alors même que les socialismes marxistes ou national nazi se disent scientifiques, ils ne sont en fait que pseudo-sciences car scientistes et irréfutables à la manière de l’astrologie. Typique de la « pensée tribale » comme vu avec K. Popper, elle ne sait que suivre un chef de tribu proposant des solutions simplistes – cartésiennes - inadaptées aux problèmes complexes. On arrive ainsi rapidement aux divers régimes totalitaire comme Simone Weil l’explique : «  De toutes parts on est obsédé par une représentation de la vie sociale qui, tout en différant considérablement d’un milieu à l’autre, est toujours faite de mystères, de qualités occultes, de mythes, d'idoles, de monstres ; chacun croit que la puissance réside mystérieusement dans un des milieux où il n'a pas accès, parce que presque personne ne comprend qu'elle ne réside nulle part, de sorte que partout le sentiment dominant est cette peur vertigineuse que produit toujours la perte du contact avec la réalité. Chaque milieu apparaît du dehors comme un objet de cauchemar. Dans les milieux qui se rattachent au mouvement ouvrier, les rêves sont hantes par des monstres mythologiques qui ont nom Finance, Industrie, Bourse, Banque et autres ; les bourgeois rêvent d'autres monstres qu'ils nomment meneurs, agitateurs, démagogues ; les politiciens considèrent les capitalistes comme des êtres surnaturels qui possèdent seuls la clef de la situation, et réciproquement ; chaque peuple regarde les peuples d'en face comme des monstres collectifs animés d'une perversité diabolique. On pourrait développer ce thème à l'infini. Dans une pareille situation, n'importe quel soliveau peut être regardé comme un roi et en tenir lieu dans une certaine mesure grâce à cette seule croyance ; et cela n'est pas vrai seulement en ce qui concerne les hommes, mais aussi en ce qui concerne les milieux dirigeants. Rien n'est plus facile non plus que de répandre un mythe quelconque à travers toute une population. Il ne faut pas s'étonner dès lors de l'apparition de régimes « totalitaires » sans précédent dans l'histoire. ». [WEIL, Simone, Œuvres, « Les origines de l’hitlérisme » en 1940, Ed. Quarto Gallimard, p 381]. 
 
Deux questions se posent alors : 
   - Quelle est la légitimité du Dictateur (ou du supposé Représentant du Dieu Unique) transcendant ? : « Qui t’as fait Roi ? » a dit Adalbert à Hugues Capet… 
  - Et si l’État (ou le Représentant d’une Église) contrôle tout, qui alors les contrôlent ? C’est le problème de la récursivité sans fin du système de pilotage « top-down » des sociétés tribales reposant sur la transcendance. 
 
Le tableau suivant montre les incohérences philosophiques que l’on rencontre entre certains tenants de l’Immanence et de la Transcendance selon que l’on se met du point de vue de l’économie ou des religions monothéistes (création de l’univers ou des êtres vivants). Ainsi certains seront pour la Transcendance religieuse mais pour l’Immanence en économie (les conservateurs « libéraux ») ; et d’autres pour l’Immanence religieuse (les athées) mais pour la Transcendance en économie (marxistes, socialistes, communistes) avec un État centralisateur contrôlant tout. D’autres, plus rares aujourd’hui, sont par contre cohérents, c’est à dire soit tenants de la Transcendance en tout : conservateurs étatistes/colbertistes, socialistes nationaux nazis, fascistes, ou franquistes (avec une alliance forte entre l’Église et l’État centralisateur) aboutissant aux dictatures ; soit tenants de l’Immanence en tout : les Libéraux athées… et la Systémique avec ses concepts d’éco-auto-ré-organisation. 

 

                              Économie →→

 Religion  ↓ ↓

Immanence
(auto-éco-organisation systémique des libres marchés)

Transcendance (Étatisme, Centralisme, Communisme)
La Vérité absolue vient du Guide, Grand Timonier, Petit Père des Peuples, etc...

Immanence (Athées ou Monothéistes tenants de « Intelligent Design »)

Libéraux ou Anarchistes
(cohérents)

Communisme (incohérents entre religion et économie)

Transcendance (Monothéistes créationnistes)
La Vérité absolue vient de Dieu Unique

Conservateurs (incohérents entre religion et économie)

Socialismes Nationaux : nazisme, fascisme, franquisme, royauté absolue, colbertistes… (cohérents entre religion et économie)


Les anciennes oppositions sont donc remises en perspectives, comme l’Idéalisme opposé au Matérialisme, le Rationalisme opposé à l’Empirisme, le Nominalisme opposé au Réalisme, la Dialectique opposée à la Logique Formelle, le Mécanisme opposé au Finalisme, l’Induction opposé à la Déduction, ou encore le clivage Gauche-Droit en politique. Ces anciennes oppositions semblent devenir caduques lorsqu’elles sont réétudiées à la lumière de la Systémique. Car on peut alors comprendre qu’elles n’existaient que parce certains aspects de la réalité que montre la Systémique étaient ignorés. On peut citer dans le désordre : existence de différents niveaux de réalités, effets de rebouclages rétroactifs non linéaires, rebouclages avec ou sans retards temporels, différence entre modèles/théories et systèmes réels, équifinalité versus finalisme ou prise en compte de l’ergodicité, de l’homéostasie, et des équilibres dynamiques ponctués non linéaires. 
 
Cette nouvelle ligne de fracture pourrait être étudiée plus à fond afin de reconstruire la philosophie en réunissant d’un même côté : Aristote, Pascal, la Systémique, le Constructivisme épistémologique, Gödel, le Gestaltisme, la théorie de l’Information, la Thermodynamique et sa flèche du temps, Darwin, A. Korzybsky, T. Kuhn, Karl Popper, H. Simon, F. Hayek, E. Morin le tout dans une démarche…dialogique prudente et modeste car ne prétendant pas détenir la Vérité. Le but de la Systémique et du Constructivisme épistémologique est de permettre de comprendre les phénomènes d’éco-auto-ré-organisations immanents des systèmes complexes. En ce sens la Systémique est bien un méta-paradigme, comme décrit par L. Moreira, plutôt qu’un « simple » nouveau paradigme de l’épistémologie. Ce méta-paradigme, représentant d’un courant épistémologique, est un dépassement des philosophies « classiques », réelle émergence, au sens précisément de la Systémique. C’est un nouvel outil de pensée moderne, mais également un courant épistémologique profond et ancien, qui avance avec une humilité et une prudence recommandée par G.B. Vico, et non une nouvelle idéologie. Cette démarche doit être menée dans le respect des libertés individuelles, et économiques au sein de sociétés ouvertes. Il faut prendre garde à la tentation technocratique où l'être humain, l'économie ou la société seraient considérés sans prudence exclusivement comme de purs sous-systèmes ou robots obéissants. Il faut donc éviter de tomber dans la présomption fatale de « l’ingénierie sociale », l'expérimentation économique ou l'expérimentation humaine… A ce titre tant au plan sociologique qu’économique, la Systémique et le Constructivisme épistémologique semble donc être de bons candidats pour donner une solide base épistémologique aux défenseurs de nos libertés. 
 
Benjamin de Mesnard
 Épistémologie Systémique Constructivisme 

samedi 6 avril 2019

IV) Théories opposées à la Systémique (IV-6 Marxisme)

IV-6) Marxisme (Marx, Engels, Lénine, Staline…)

Le Marxisme s’est posé depuis l’origine comme étant à la fois scientifique et philosophique, muni d’une nouvelle logique, le matérialisme dialectique  (voir IV-5). Il se veut nouveau paradigme d’une  science économique refondée, à même de surpasser définitivement la « science économique bourgeoise ». Le terme « matérialisme dialectique » n’apparaîtra qu’après Marx, avec Engels et Lénine et sera érigé en totem idéologique par Staline. 
Pour analyser le Marxisme, il faut revenir aux sources : « Le Capital » T1,2 et 3, « Contribution à la critique de l’économie politique », ou « Le Manifeste du Parti Communiste » de Marx.
Le Marxisme repose sur une nouvelle vision de l’économie, et surtout sur une analyse de la valeur - pierre angulaire du Marxisme - que Marx différencie en « valeur d’usage », « valeur d’échange » pour finir par évoquer les prix.
Remarque préalable : Il faut tout d’abord souligner qu’en cherchant dans tous les textes cités plus haut, il est difficile de trouver un passage donnant une démonstration claire et stable de la « valeur d’usage » et il est impossible d’en trouver une de la « valeur d’échange ». Même si Marx revient souvent sur la « valeur d’usage », on comprend bien que c’est pour répéter que « valeur d’usage » = « nombre d’heures de travail indifférencié de l’ouvrier moyen », notion vitale au Marxisme. La « valeur d’échange » revient aussi de temps en temps, mais soit elle est utilisée pêle-mêle avec la « valeur d’usage » comme dans « Contribution... » ce qui a pour effet de brouiller les pistes, soit elle est habilement discréditée par le terme « aliénation », ou bien mise de côté via quelques glissements sémantiques. Ainsi c’est le cas dans « Le Capital » comme on va le voir ci-dessous. Ici aussi on voit bien que la « valeur d’échange » ne convenant pas du tout à l’édifice idéologique édifié par Marx, cette notion doit être éradiquée. 

IV-6-1) La « valeur d’usage » chez Marx : pour Marx, il le répète souvent, la « valeur d’usage » est proportionnelle au nombre d’heures de travail de l’ouvrier moyen, ainsi dans « Le Capital » T1 p 44 : « C'est donc seulement la quantité de travail socialement nécessaire ou le temps de travail socialement nécessaire à la fabrication d'une valeur d'usage qui détermine la grandeur de sa valeur. La marchandise singulière ne vaut ici tout bonnement que comme échantillon moyen de son espèce. Les marchandises qui contiennent des quantités de travail égales, ou qui peuvent être fabriquées dans le même temps de travail, ont donc la même grandeur de valeur. Le rapport de la valeur d'une marchandise à la valeur de n'importe quelle autre marchandise est donc celui du temps de travail nécessaire pour produire l'une au temps de travail nécessaire pour produire l'autre. En tant que valeurs, toutes les marchandises ne sont que des mesures déterminées de temps de travail coagulé ». 
Deux choses à noter : 
a) glissement de « valeur d’usage » à « valeur » tout court à plusieurs reprises… 
b) on est dans l’affirmation, on ne trouve pas de démonstration dans tous ces textes, en dépit du « C’est donc... » du début du passage ici... 
Or, en langage économique, la « valeur d’usage » de Marx s’appelle en réalité un coût partiel, partiel car se limitant au coût salarial de l’ouvrier moyen et ne prenant pas en compte les autres coûts : autres salariés, conception/ingénierie, locaux, machines, impôts, transports, distribution, défauts de fabrication, vente, etc. etc.. Attribuer, via un artifice de dénomination le mot de « valeur d’usage » à un coût d’ailleurs partiel, c’est soit une erreur de débutant, soit une grossière tromperie. Cet extrait serait correct en remplaçant le terme « valeur d’usage » par « coût salarial de l’ouvrier moyen »…. mais cela reviens à dire une tautologie qui n’apporte rien car déjà bien connue avant Marx ! Exemple d'un tel remplacement : « Les marchandises qui contiennent des quantités de travail égales, ou qui peuvent être fabriquées dans le même temps de travail, ont donc la même grandeur de valeur  coût salarial de l’ouvrier moyen. Le rapport de la valeur du coût salarial de l’ouvrier moyen d'une marchandise à la valeur au coût salarial de l’ouvrier moyen de n'importe quelle autre marchandise est donc celui du temps de travail nécessaire pour produire l'une au temps de travail nécessaire pour produire l'autre.».
Par ailleurs, avec cette « définition » de la valeur, un ouvrier peut bien passer 1 million d’heure de travail sur un bien qui n’intéresse aucun acheteur, ce bien aura un coût de production énorme mais n’aura aucune valeur (ni d’usage ni d’échange) et ne vaudra rien. D’autre part, ce « concept » ignore le degré d’automatisation et de robotisation dans la production. Aujourd’hui il existe des usines presque sans ouvrier avec un temps de travail de « l’ouvrier moyen » proche de zéro, selon Marx faudrait-il en conclure que la valeur (ou « valeur d’usage ») des biens produits par cette usine sont nuls ? Pourtant Marx avait conscience que l’automatisation pouvait se développer, mais n’en tire aucune conséquence, ex : « Après l'introduction du métier à tisser à vapeur, en Angleterre, il ne fallait plus peut être que la moitié du travail qu'il fallait auparavant pour transformer une quantité de fil donnée en tissu. (…) C'est donc seulement la quantité de travail socialement nécessaire ou le temps de travail socialement nécessaire à la fabrication d'une valeur d'usage qui détermine la grandeur de sa valeur. ». [Marx « Le Capital », T1, p 43]. Enfin, ce que l’on entend quelque fois en économie par « valeur d’usage », c’est la valeur psychologique attribuée par celui qui va utiliser le bien acquis. Cette « valeur d’usage » est donc relative à chaque individu et elle est subjective. La vraie « valeur d’usage » d’une voiture par exemple est très élevée pour quelqu’un vivant en milieu rural sans aucun transports en commun, car elle sera un moyen de transport vital. La même voiture pour un parisien aura une « valeur d’usage » faible car il n’en a pas besoin la plupart du temps pour vivre et travailler. Cela n’a donc rien à voir avec le coût salarial d’un ouvrier moyen comme le croit Marx… 

IV-6-2) La « valeur d’échange » chez Marx : par ailleurs il parle de « valeur d’échange », or la seule « valeur d’échange » réelle, c’est celle attribuée par celui qui achète le bien (ou le service) d’un côté et par celui qui le vends. La « valeur d’échange » est donc non seulement relative aux deux acteurs de l’échange, mais elle même subjective à chacun d’entre eux. Cette véritable valeur d’échange, différente entre vendeur et acheteur n’est pas le prix comme le croit Marx, on n’y reviendra. Comme on voit bien que la « valeur d’échange » pose un problème car elle relève des libres marchés haïs, et qu’une seule « valeur » doit s’imposer, celle définie par Marx ; il a recours à diverses méthodes pour la discréditer, dont un peu de dialectique avec la « non-valeur » négation de la valeur : « La première façon, pour un objet d'usage, d'être une valeur d'échange en puissance, c'est d'exister comme non-valeur d'usage, c'est-à-dire comme quantité de valeur d'usage excédant les besoins immédiats de son possesseur. Les choses sont par définition extérieures à l'homme, et donc aliénables. Pour que cette aliénation soit réciproque, il suffit que les hommes se fassent implicitement face comme les propriétaires privés de ces choses aliénables et par là même précisément comme des personnes indépendantes les unes des autres ». [Marx « Le Capital », T1, p 100]. En résumé, avec la « valeur d’échange » on est dans la non-valeur, dans l’aliénation, aux mains de propriétaires privés indépendants les uns des autres individus dans la solitude de l’aliénation...

IV-6-3) Glissements sémantiques répétés : D’autre part la « valeur d’échange » qu’il déclare vouloir étudier, semble au fil du texte être décrétée anecdotique, « forme phénoménale », et est mise aux oubliettes sans bruit via quelques glissements sémantiques…
Par exemple dans [Marx « Le Capital », T1, p 43] : « Si l 'on fait maintenant réellement abstraction de la valeur d'usage des produits du travail, on obtient leur valeur, telle qu'elle avait précisément été déterminée. ». Note : devant le lecteur peu attentif, il opère ici un 1° glissement sémantique de « valeur d’usage » vers « valeur » tout court. Il le fait maintes fois, comme dans l’extrait vu plus haut en (IV-6-1) T1 p 44 et cette « technique » se répète encore et encore dans tous ces écrits. Il continue, cette fois-ci avec la « valeur d’échange » :  : « Ce qu'il y a donc de commun, qui s'expose dans le rapport d'échange ou dans la valeur d’échange de la marchandise, c'est sa valeur. ». Ibid p 43. Note : c’est le 2° glissement sémantique de « valeur ou rapport d’échange » vers « valeur » tout court, qui va permette l’élimination de la « valeur d’échange ».
Puis : « (…) Toute la suite de notre recherche nous ramènera à la valeur d'échange comme mode d'expression ou comme forme phénoménale nécessaire de la valeur, laquelle doit cependant être d'abord examinée indépendamment de cette forme. ». Ibid p 43. Dernière phase de l’élimination : la « valeur d’échange » devenant tout à coup un simple « forme phénoménale », il faut donc l’« examiner indépendamment de cette forme », elle est donc éliminée discrètement. Et dès la phrase suivante on repart ainsi sur : « Une valeur d'usage, une denrée, n'a donc une valeur que parce qu'en elle est objectivé ou matérialisé du travail humain abstrait. Comment alors mesurer la grandeur de sa valeur ? Par le quantum de "substance constitutive de valeur" qu'elle contient, par le quantum de travail. » etc.  Tout au long du T1, Marx tente d’enterrer la « valeur d’ échange » qui ne convient pas à sa théorie. Cela le cas échéant au prix de phrases peu compréhensibles comme en p 217 : « Mais le travail passé que contient la force de travail et le travail vivant qu'elle peut fournir, autrement dit le coût journalier de son entretien et sa dépense journalière sont deux grandeurs tout à fait différentes. La première détermine sa valeur d'échange, l'autre constitue sa valeur d 'usage. (…) Quant au vendeur de la force de travail, comme le vendeur de n'importe quelle autre marchandise, il réalise effectivement sa valeur d'échange et aliène sa valeur d'usage. » où il en profite pour glisser à nouveau le mot clé « aliénation »… Avec un large recours aux « valeur » tout court, le but est de mettre dans la tête du lecteur que « valeur d’échange » = « valeur d’usage » = « valeur » tout court = « nombre de jours de travail de l’ouvrier moyen» , comme seule valeur existante. Cela est effet vital car tout le Marxisme repose sur cela, c’est le seul moyen pour parvenir à « démontrer » l’exploitation de l’ouvrier par le capitaliste via la notion de « surproduit » par du « surtravail » (autre glissement sémantique) puisque la seule « valeur » c’est le nombre d’heures de travail de l’ouvrier moyen.
Pour Marx la journée de travail d’un ouvrier se décompose en deux parties : la première permet juste la production nécessaire pour payer un salaire de survie à l’ouvrier. La seconde donne un « surproduit » générant une « survaleur » qui constituera le profit allant dans la poche du capitaliste, via un « surtravail » « extorqué » à l’ouvrier. Ex : « La seconde période du procès de travail, pendant laquelle l'ouvrier trime au-delà des limites du travail nécessaire, lui coûte certes du travail, une dépense de force de travail, mais ne constitue pas de valeur pour lui. Elle forme une survaleur qui sourit au capitaliste de tous les charmes d'une création ex nihilo. Cette partie de la journée de travail, je l'appelle temps de travail en surplus, et le travail dépensé pendant ce temps, surtravail (surplus labour). Autant il est décisif pour la connaissance de la valeur en général de la saisir comme pure coagulation de temps de travail, comme pur travail objectivé, autant il est décisif de saisir la survaleur comme pure coagulation de temps de travail en surplus, comme pur surtravail objectivé. Seule la forme sous laquelle ce surtravail est extorqué au producteur immédiat, l'ouvrier, distingue les formations sociales économiques, par exemple la société esclavagiste de celle du travail salarié. ». [Marx « Le Capital », T1, p 242]. Note : Marx en profite pour glisser le terme « esclavagiste » en parlant du capitaliste… On arrive alors au supposé mal majeur du capitalisme à travers l’une de ses « contradictions » : la surproduction d’un côté et une sous-consommation de l’autre, les ouvriers étant tout juste maintenus en régime de survie. C’est l’une des contradictions principales du capitalisme selon Marx, alors même que l’histoire a montré que la supposée « surproduction » n’existe pas à moyen terme car – précisément – l’ouvrier s’est mis à son tour à consommer au cours d’une augmentation générale du niveau de vie. S’il y a surproduction (et donc insuffisance de la demande pour ces produits là, ou à l’inverse, excès de demande), elle ne peut être que temporaire, le système se rééquilibrant via un processus d’équilibre dynamique ponctué d’éco-auto-ré-organisation ! Ce qui est vue comme mauvais, exploitation, surtravail extorqué et surproduction par Marx est en réalité le moyen le plus sûr d’élever le niveau de vie de la population en produisant progressivement plus de biens et de services qui seront consommés via un rebouclage rétroactif typiquement Systémique. Mais cela Marx, en tant que scientiste positiviste, n’en n’a visiblement pas conscience.

IV-6-4) De même il y a confusion entre prix et « valeur d’échange » : Le prix, c’est le point de rencontre possible (mais non obligatoire !) à un certain moment entre l’acheteur et le vendeur entrés en relation. C’est le prix sur lequel il vont tomber librement d’accord (ou non, et dans ce cas l’échange ne se fait pas) pour procéder librement à l’échange. Cet accord sur un prix se déroule dans un environnement limité, depuis des horizons de connaissances, des points de vues différents et limités du vendeur et de l’acheteur. Ils agissent avec une information et une rationalité limitées, c’est la Rationalité limitée comme vu avec H. Simon, voir (II-5-5-e). De plus, comme souligné par K. Popper et F. Hayek simultanément, et avec les travaux sur la Théorie des Jeux de J. Von Neumann , O. Morgenstern et J. Nash, il faut tenir compte du jeux des acteurs économiques entre eux, adaptant en permanence leurs actions et choix en fonction de ce qu’ils croient savoir de ceux des autres. Cela donne lieu à une Dialogique continue entre les acteurs économiques, une coopétition, mélange de compétition et de coopération et non une Dialectique se résumant à des guerres ou luttes permanentes, voir (V-16). Tout cela est totalement inconnu du Marxisme.
Par ailleurs les prix affichés par les vendeurs, constituent un flux d’information au sien du Système économique. Au même titre que les autres types de flux de matières, énergies, etc. Marx confond « valeur d’échange » et prix : « On dit : ce stylo vaut Fr 10 parce que c'est le prix affiché, et nous confondons dans notre langage courant le prix et la valeur. Mais si j'ai acheté ce stylo, c'est bien parce que pour moi, ce stylo vaut plus que Fr 10. Si pour moi, avoir Fr 10 ou avoir ce stylo, c'était exactement la même chose, alors je n'aurais pas pris la peine de l'acheter. Inversement, pour le marchand, le stylo vaut moins que mes Fr 10, sinon il ne le mettrait pas en vente, ou pas à ce prix là. S'il vend le stylo, c'est parce qu'il pense pouvoir faire plus de choses avec mes Fr 10 qu'avec ce stylo sur son rayon. » [MICHEL, Henry, « Peux-t-on faire des Affaires sans se salir des Mains ? », Conférence donnée à Genève, le 2/11/1993, p 7]. On note également dans cette citation que l’échange est inégal est que cela est nécessaire. Les Marxistes soutiennent qu’avec le système capitaliste, le fait que les échanges soient inégaux est scandaleux, preuve que ce système est vicieux car les échanges ne peuvent se faire selon eux qu’à la « valeur d’usage » égales. Mais comme le dit encore Henry Michel : « Donc quand j'ai acheté le stylo, nous avons gagné tous les deux et nous avons gagné parce que les termes de l'échange étaient inégaux. C'est cela, la réalité, pourtant elle n'est pas reflétée dans la comptabilité. » [Ibid p 7]. C’est parce que l’échange est inégal, que chacun y gagne, sinon il n’y aurait pas eu cet échange, puisque - contrairement aux services étatiques en vente forcée via l’impôt- l’acheteur était libre d’acheter ou non ce stylo au prix de Fr. 10. Pourquoi pour Marx un échange doit-il être nécessairement égal ? A cause de la « valeur » ramenée au nombre d’heure de travail d’un ouvrier moyen. Si lors d’un échange l’acheteur paye 110 alors que la « valeur » marxiste est de 100, c’est qu’il y a vol, « survaleur », surexploitation par le capitaliste qui écrase le prolétariat, non seulement via du « surtravail », mais également en essayant de vendre 110 ce qui a une « valeur d’usage » Marxiste de 100…

IV-6-5 ) A travers cette analyse, on comprend pourquoi Marx est à l’opposé de la Systémique, d’une manière que l’on pourrait presque qualifier de caricaturale :

a) Matérialisme :
Bien que se référant à deux philosophes idéalistes : Descartes et Hegel. Comme vu au chapitre IV, matérialisme et idéalisme s’opposent tout en faisant appel l’un à l’autre. et sont tous deux incompatibles avec la Systémique pour qui Matière et Forme sont inséparables, un Système formant un tout sans avoir une Forme/Structure/Organisation d’un côté et de la Matière de l’autre...

b) Démarche de pseudo-science non scientifique
C’est à dire une démarche, tout comme l’astrologie par exemple, qui veut se draper des oripeaux de la science sans en être du tout :
  - revendication répétée d’être scientifique, mais une chose fausse ne devient pas vraie parce que martelée encore et encore,
  - recours à la pseudo logique qu’est la Dialectique comme vu en (IV-5),
  - recours à des pseudo formules mathématiques telles que M-A-M’-A’ où A’=A+A, ou bien M’-A’=(M+m)-(A+a) dans « Le Capital » avec des exemples numériques repris des dizaines de fois, toujours selon le système de la répétition.
Tout cela ne fait pas une théorie scientifique, voir K. Popper (III-2-8), ainsi on ne voit pas comment le Marxisme peut se prêter à des tests, des expérimentations, afin d’être éventuellement réfuté le cas échéant : il est irréfutable comme l’est l’astrologie. D’ailleurs, l’histoire qui a suivi, a démontré mainte fois l’échec du Marxisme, sans que cela affecte ses fidèles dans leur foi, à la manière d’une religion...

c) Recours à un réductionnisme outrancier comme « l’ouvrier moyen », en faisant également la moyenne des machines de production (ignorant ainsi leurs diversités, leurs modernisations et les augmentations de productivité en découlant) et la moyenne des marchandisent produites afin de gommer leurs différences, leurs complexités, avec des machines plus ou moins automatisées et des marchandises (ou des services !) très variés. Il prends donc en considération une entreprise type moyenne simplifiée, caricaturale typiquement cartésienne. C’est en quelque sorte une entreprise rêvée ayant 1 machine, 1 ouvrier et 1 marchandise produite avec 1 valeur et 1 prix… et 1 capitaliste bien entendu. Cela lui permet « d’éjecter » de son analyse toute la diversité et la complexité des actions et interactions individuelles, des innovations, de la diversités des modes de productions, des marchandises ou services produits et des compétences très variées requises. Ainsi dans son modèle cartésien ultra simplifié, les ouvriers, techniciens, ingénieurs, managers, gestionnaires, commerciaux etc. d’une entreprise sont réduits à être des robots moyens uniformisés tout juste capable de faire un travail simple. C’est l’hypostase de « l’Ouvrier » noté « T », du « Capital » noté « C », de la « Marchandise »  notée « M » dans ses « équations » pseudo mathématiques : « on donne des majuscules à des mots vides de signification » comme le disait Simone Weil en 1937 [WEIL, Simone, Œuvres, Ed. Quarto Gallimard, p 473]. C’est la négation des êtres humains avec tous leurs talents et diversités comme l’explique Marx lui-même : « Pour bien comprendre comment la valeur d'échange est déterminée par le temps de travail, il importe de ne pas perdre de vue les idées essentielles suivantes. La réduction du travail à du travail simple, pour ainsi dire dénué de qualité ; (…). Pour mesurer les valeurs d'échange des marchandises au temps de travail qu'elles contiennent, il faut que les différents travaux eux-mêmes soient réduits à un travail non différencié, uniforme, simple, bref à un travail qui soit qualitativement le même et ne se différencie donc que quantitativement. Cette réduction apparaît comme une abstraction, mais c'est une abstraction qui s'accomplit journellement dans le procès de production social. (...) En fait, le travail, qui est ainsi mesuré par le temps, n'apparaît pas comme le travail d'individus différents, mais les différents individus qui travaillent apparaissent bien plutôt comme de simples organes du travail. Autrement dit, le travail, tel qu'il se présente dans les valeurs d'échange, pourrait être qualifié de travail humain général. Cette abstraction du travail humain général existe dans le travail moyen que peut accomplir tout individu moyen d'une société donnée, c'est une dépense productive déterminée de muscle, de nerf, de cerveau, etc., humains. C'est du travail simple, auquel peut être dressé tout individu moyen, et qu'il lui faut accomplir sous une forme ou sous une autre. » [Marx, « Contribution... », Chap 1, p 19]. En passant, on note ici que subrepticement Marx mélange à nouveau « valeur d’échange » et « valeur d’usage » : il affirme que c’est la « valeur d’échange » (et non plus seulement la « valeur d’usage ») qui est « déterminée par le temps de travail » de l’ouvrier moyen ! Par ailleurs, on aura bien compris que Marx considère les divers salariés d’une entreprise comme de « simples organes de travail » tout juste capables de faire « du travail simple auquel peut être dressé tout individu moyen »... car cette réduction des salariés au niveau de « simples organes de travail » d’ouvriers moyens est nécessaire à sa théorie. De ce « modèle » il en tirera des centaines de pages d’analyses de tous ordres, de grandes généralisations notamment sur le destin historiciste lyrique de la Classe ouvrière. On est vraiment loin de la phronésis / prudence d’Aristote et J.B. Vico concernant les conclusions à tirer des modèles -surtout poussé à ce degré de simplification- , et également loin de la « carte n’est pas le territoire » de A. Korzybski : le modèle ultra simplifié de Marx est pris comme réalité alors qu’il ne corresponds aucunement au monde réel.

d) Théories / modèles irréfutables et donc non-scientifiques, voir (III-2-8)
Comme on l’a vu en (b), le Marxisme est intrinsèquement irréfutable, il ne peut pas être testé, soumis à une expérimentation, à l’instar de l’astrologie par exemple. De plus il y a toujours une réponse ad-hoc pour toutes remarques et critiques, tout comme l’astrologie encore. Par exemple, face à la faillite, au totalitarisme et aux exactions de tous les régimes Marxistes, on aura l’explication ad-hoc « ce n’était pas vraiment du communisme » mettant définitivement le Marxisme à l’abri de toute réfutation. Pour mieux se protéger, la technique de Marx consistant à user de moyennes et de simplifications sur tous les sujets est un outils commode pour annuler ou nier (dialectiquement ?) toutes les remarques déstabilisatrices qu’il connaît bien de la part de ses contradicteurs. Ainsi, comme vu ci-dessus, si certaines machines à tisser sont mues désormais par la vapeur et réduisent pas deux le temps de travail des ouvriers, cela ne change rien puisque l’on va considérer une machine moyenne. Si un ouvrier est paresseux et met dix fois plus de temps à produire la même marchandise, celle-ci (si on applique sa théorie) vaudra  dix fois plus, mais, en fait, on ne prends que le temps moyen de « travail simple » des ouvriers « simples organes », idem sur toutes les marchandises même si elles sont radicalement différentes. Enfin, en dernier ressort, ses détracteurs, pour faire bonne mesure, sont régulièrement qualifiés de bourgeois, de libéraux, dénigrés et insultés, mais sans aucune argumentation, ainsi : « Note 10. A cette troisième loi, Mac Culloch, entre autres, a ajouté cet additif inepte que la survaleur peut s'élever sans chute de la valeur de la force de travail si l 'on supprime certains impôts que le capitaliste devait payer auparavant. (...) L'exception de Mac Culloch prouve donc simplement qu'il n'a rien compris à la règle, malheur qui lui arrive souvent, quand il vulgarise Ricardo, aussi souvent qu'à J.B. Say, quand il vulgarisait Adam Smith. » [Marx, « Le Capital » T1, p 584].

e) Méconnaissance des boucles rétroactives des équilibres dynamiques ponctués (homéostasie) de la Systémique :
       • Avec sa théorie de la valeur, Marx ignore la moitié des circuits du système économique. Pour lui il n’y a qu’à produire une marchandise, qui a automatiquement comme valeur la « valeur d’usage » égale au coût du salaire de l’ouvrier, nécessairement égale à la « valeur d’échange », impérativement égale au prix de mise en vente (sinon le capitaliste est un voleur en plus d’un exploiteur comme vu plus haut en (IV-6-4) . A partir de là, cette marchandise trouvera son client à ce prix là tout aussi automatiquement ! Tout le côté consommateurs et consommation est totalement ignoré, les « lois » de l’offre et de la demande n’existent pas, pas besoin de commerciaux ou de vendeurs et encore moins de marketing opérationnel ni d’associations de consommateurs. On comprend alors pourquoi les industries communistes ont toujours été en retard technique, non innovantes, produisant trop ou trop peu des marchandises ne répondant pas aux besoins de la population, avec des Trabants au lieu des voitures fiables, variées et confortables des pays « capitalistes »…
       • De plus, avec sa théorie de la surproduction permanente s’amplifiant fatalement comme vu en (IV-8-3), il ignore l’adaptation en équilibre dynamique ponctuée (l’homéostasie) des acteurs, l’éco-auto-ré-organisation, systémique. Pour lui, il n’y aura jamais aucun rééquilibrage Systémique possible de cette surproduction par un développement de la demande par exemple.
      • De même, il affirme que le maintien des salaires des ouvriers juste au niveau de la survie génère un surplus permanent de main-d’œuvre, d’ouvrier sans travail ce qui renforce les salaires au niveau de survie. Or, il faut tenir compte des effets de rebouclages systémiques. Les employeurs ont donc à leur disposition une masse d’ouvriers à bas coûts dans un monde où seul compte le fait de produire, puisque les marchandises produites trouvent automatiquement acquéreur au prix de la « valeur d’usage » de Marx, valeur indépendante de l’offre et de la demande. Ils n’ont donc aucune raison de ne pas embaucher massivement cette masse d’ouvriers pas chers et disponibles immédiatement pour augmenter leur production et leurs profits, jusqu’à la réduction à zéro du chômage. Cette disparition du chômage, selon la « loi » de l’offre et de la demande (typiquement Systémique) qu’ignore Marx, va alors créer des tensions sur les salaires, les capitalistes entrants en compétition entre eux pour débaucher avec de meilleurs salaires les meilleurs ouvriers chez leurs concurrents… Et donc le revenu des ouvriers va augmenter et leur niveau de vie avec, phénomène effectivement observé au cours de l’histoire. Mais encore faut-il imaginer des ouvriers autres que « l’ouvrier moyen », « simples organes de travail » tout juste capable de faire « du travail simple auquel peut être dressé tout individu moyen » ! C’est ce que remarque K. Popper : « Or, Marx n’indique pas pour quelle raison la main-d’œuvre disponible continuerait à dépasser la demande. Car, si l’exploitation des travailleurs procure un si grand profit, pourquoi les capitalistes ne cherchent-ils pas à employer un nombre toujours plus grand d’ouvriers ? La concurrence entre employeurs ferait alors monter les salaires et l’exploitation se réduirait et disparaîtrait. » [POPPER, Karl, « La Société Ouverte… » T2, p 117].
     • Enfin, même chose avec la baisse tendancielle du taux de profit des capitaliste soutenue par Marx. «  Le capital d’un industriel se divise en deux parts : l’une qui sert aux investissements (en terrain, outillages, matières premières, etc.), et l’autre au paiement des salaires. Marx appelle la première « capital constant », la seconde « capital variable ». Ces termes me paraissant un peu imprécis, je les remplacerai par « capital immobilisé » et « capital-salaires ». Selon Marx, le capitaliste ne peut tirer profit que de l’exploitation des ouvriers, c’est à dire de l’emploi du « capital-salaires », le « capital immobilisé » étant, en quelque sorte, un poids mort que la concurrence et la tendance générale à l’augmentation de la production l’obligent à croître sans cesse. Son importance par rapport au « capital-salaires » grandissant, le taux de profit du capital total doit nécessairement diminuer. » [POPPER, Karl, « La Société Ouverte… » T2, p 122]. Or, dans le monde réel, le « capital immobilisé » est productif, comme le montre les usines modernes sans ouvriers et peuplées de robots. Ce « capital immobilisé » est de plus en plus productif d’ailleurs grâce aux innovations, à la recherche et au progrès techniques, (eux-même issus d’une autre boucle de rétroaction positive systémique, les innovations appelant les innovations)... totalement ignoré par Marx. Ici également, après avoir ignoré la moitié du système économique avec le marché, la demande, voilà qu’il ignore maintenant la productivité du sous-système constitué par le « capital immobilisé » !

f) Non prise en compte des facteurs de risques pris par les capitalistes et de la sélection naturelle qui en découle sur les entreprises : Comme on la vu en (III-2-6) avec Darwin, la sélection naturelle est un concept inhérent à la Systémique. Or Marx grâce on sa « valeur d’usage » = « valeur d’échange » = prix = « nombre d’heure de travail d’un ouvrier moyen » aboutissant à des produits ayant une valeur prédéterminées, et trouvant acheteurs automatiquement à cette valeur, tous facteurs de risques pris par le capitaliste sont purement et simplement niés. En somme avec Marx, le capitaliste est un profiteur jouant et gagnant à coup sûr sur le dos des ouvriers. Toutes les idées, l’argent investit (peut-être bien en pure perte), les innovations, les concurrents, le travail pour trouver de nouveaux débouchés et les risques de ruines pris par l’entrepreneur sont ignorés. Ainsi il est facile à Marx de transformer l’entrepreneur et ses investisseurs en capitalistes profiteurs surexploitant sans risques ni justification les ouvriers… pourtant jugés par Marx lui-même comme n’étant que de « simples organes du travail » !

g) Le Marxisme est un oxymore qui se veut une science et une philosophie : 
 
A titre d’exemple Staline écrit en 1938 : « Marx et Engels n’ont en effet emprunté au matérialisme de Feuerbach que son « noyau central » ; ils l’ont développé en une théorie philosophique scientifique du matérialisme, et ils en ont rejeté toutes les superpositions idéalistes, éthiques et religieuses. » [STALINE, J.V., Matérialisme dialectique et Matérialisme historique, p 2, 1938]. C’est une contradiction, chose ironique alors même que la dialectique se veut théorie des contradictions et des oppositions avec la « négation de la négation » … En effet, une théorie donnée ne peut être à la fois science et philosophie, il n'y a donc pas de "théorie philosophique scientifique". Comme montré par K. Popper en (III-2-8), une théorie pour être scientifique doit être réfutable, c’est à dire que l’on doit pouvoir la soumettre à des tests, des expérimentations, pour tenter de la réfuter, critère qui n’est pas demandé ni à une théorie philosophique, ni à une religion. 
Le plus surprenant dans cette affirmation de la scientificité du Marxisme, avec une science matérialiste supposée atteindre avec certitude la Vérité, c’est qu’ils accusent de fidéisme ceux qui ne croient pas à l’atteinte de cette Vérité. Ainsi dans le passage déjà cité en (III-2-8) de Lénine repris en 1938 par Staline : « « Le fidéisme contemporain ne répudie nullement la science ; il n'en répudie que les "prétentions excessives", à savoir la prétention de découvrir la vérité objective. S'il existe une vérité objective (comme le pensent les matérialistes), si les sciences de la nature, reflétant le monde extérieur dans l'"expérience" humaine, sont seules capables de nous donner la vérité objective, tout fidéisme doit être absolument rejeté. » (Matérialisme et empiriocriticisme, t. XIII, p.102.). Or précisément ceux qui soutiennent atteindre la Vérité, par un moyen ou un autre, ce sont les religions (et donc les fidéistes), les idéologies ET en particulier les Marxistes ! Preuve s’il en est que le Marxiste est non-scientifique et ne relève que d’un acte de foi… fidéiste.


IV-6-6) Pour terminer, quelques citations du « Manifeste du Parti Communiste » :

a) P 55 : « L’abolition de la famille ! Même les plus radicaux s’indignent de cet infâme dessein des communistes. 
Sur quelle base repose la famille bourgeoise d’à présent ? Sur le capital, le profit individuel. La famille, dans sa plénitude, n’existe que pour la bourgeoisie ; mais elle a pour corollaire la suppression forcée de toute famille pour le prolétaire et la prostitution publique. La famille bourgeoise s’évanouit naturellement avec l’évanouissement de son corollaire, et l’une et l’autre disparaissent avec la disparition du capital. ».
Note : Et les enfants seront embrigadés aux jeunesses communistes, et priés de dénoncer leurs parents le cas échéant… Tout comme cela était le cas chez les Nazis.
b) p 56 : « Mais la bourgeoisie tout entière de s’écrier en chœur : Vous autres, communistes, vous voulez introduire la communauté des femmes ! (…) Les communistes n’ont pas besoin d’introduire la communauté des femmes ; elle a presque toujours existé. (…) Le mariage bourgeois est, en réalité, la communauté des femmes mariées. Tout au plus pourrait-on accuser les communistes de vouloir mettre à la place d’une communauté des femmes hypocritement dissimulée une communauté franche et officielle. ».
Note : La communauté des femmes (réduites à l’état d’objets) est prévue, mais pas celle des hommes...

Misère de la philosophie qui annonce les totalitarismes à venir...

SUITE du blog : IV-7) Comparaison entre Aristote, Leibniz, Structuralisme, Matérialisme Dialectique, Systémique plus Platon, Descartes et Hayek

Benjamin de Mesnard

dimanche 11 octobre 2009

V-3) Rationalisme versus Empirisme


Le Rationalisme attaque des différents problèmes auxquels sont confrontés les scientifiques “ par le haut ” tandis que les Empiristes le font “ par le bas ”. Karl Popper est le dernier philosophe à avoir pris une position tranchée sur ce débat par le concept du néo-positivisme logique. Le Rationaliste pense donc avoir besoin en premier lieu d’une théorie, qu’il essaiera de tester par des expériences qui devront corroborer ou infirmer celle-ci. Sur la base des infirmations de sa théorie, il devra modifier ou abandonner celle-ci.  Il est donc dirigé par la Raison. L’Empiriste, lui, prétend ne pas avoir de théorie, être sans préjugés, et mener des expériences au hasard, et construire des suites de raisonnements à posteriori en tenant compte des résultats observés. K. Popper se demandait alors très justement pourquoi faire alors telle ou telle expérience plutôt qu’une autre, sinon à avoir une idée derrière la tête et donc une théorie au moins implicite. L’apport important de l’Empirisme a été de souligner l’importance des expériences dans la démarche scientifique, en opposition à un rationalisme pur consistant à raisonner en chambre et conclure des résultats, inventer des théories sans jamais les tester sur le monde « réel » (comme le fait le matérialisme dialectique du Marxisme). La Renaissance à cet égard s’est opposé au Moyen-âge, où, par déformation et caricature des philosophes grecs, dits scolastiques, certaines universités donnaient le prima aux discussions sans fin, aux débats, en s’éloignant de plus en plus de la réalité, y compris quelque fois de la réalité la plus commune et quotidienne. On voit bien cependant que Rationalisme et Empirisme ne sont en fait que les deux faces d’une même position qui ne veut voir à chaque fois qu’un seul aspect des choses. Elles se rejoignent sur le fait qu’elles sont toutes deux une manifestation de l’approche parcellaire/disjointe/découpée de la réalité, où l’on tente à tout prix de simplifier les choses, typique d’une approche plato-cartésienne.
K. Popper a fait remarquablement progresser ce débat par ses positions, qui conduisent finalement à le rapprocher d’un “Darwinisme des théories scientifiques”, faisant l’objet d’une sélection artificielle car faite par l’homme. Seules les théories les plus adaptées à l’environnement des expériences, et donc au monde « réel » survivent, leur survivance n’étant en rien une preuve de leur véracité absolue et encore moins définitive. Cette survie dépend en effet des capacités de cet environnement à monter des expériences permises par les outils et matériels disponibles et par les capacités et la précision des instruments de mesures. On ne peut évoquer cette opposition sans citer les positions de T Kuhn, quelque fois catalogué à tort d’anti-rationaliste, sous prétexte que les paradigmes qui se succèdent à travers les révolutions scientifiques changent le monde. J.R. Searle traite fort bien le sujet dans son article « Rationality and Realism, What is at Stake ? » publié dans Deadalus en 1993 : « Thomas Kuhn et Richard Rorty sont deux des auteurs les plus fréquemment cités par ceux qui rejettent la tradition rationaliste occidentale. Je vais maintenant faire une brève digression sur eux. Kuhn est censé avoir montré dans La Structure des révolutions scientifiques que les prétentions de la science à décrire une réalité existant de manière indépendante sont fausses ; en fait, les scientifiques sont plus gouvernés par une psychologie de masse que par la rationalité, et ils tendent à se regrouper d’un "paradigme" à un autre au cours de révolutions scientifiques périodiques. Il n’existe pas de monde réel que la science doit décrire ; chaque nouveau paradigme crée plutôt son propre monde, de telle sorte que, ainsi que le dit Kuhn « les scientifiques travaillent après une révolution dans un monde différent ».
Je pense que cette interprétation est une sorte de caricature de la pensée de Kuhn. Mais quand bien même l’interprétation serait correcte, l’argument ne montrerait pas qu’il n’y a pas de monde réel indépendant de nos représentations ; il ne prouverait pas non plus que la science n’est pas une série de tentatives -selon des degrés de réussite divers- pour fournir une description de cette réalité. Même si l’on accepte l’interprétation la plus naïve des vues de T. Kuhn à propos des révolutions scientifiques, cela n’entraîne pas de telles conséquences ontologiques spectaculaires. Bien au contraire, même la conception la plus pessimiste de l’histoire des sciences est parfaitement consistante avec l’idée qu’il existe un monde réel existant de manière indépendante et que l’objectif de la science est de le décrire. » (fin de citation). Searle relance ainsi la position d’un « réel donné indépendant » bien qu’évolutif, et notamment sous l’influence des courants de pensées et autres paradigmes. Mais cela ne change rien au fait qu’il y a bien des réserves à émettre, comme décrit en (II-3-6-b) à propos des processus de modélisation et de découpe dans le réel de l’objet à étudier, sur :
a) le fait que le chercheur appartient au monde qu’il étudie,
b) qu’il a en tête des aprioris culturels, psychologiques, etc. dont il peut ne même pas avoir conscience,
c) qu’il va le plus souvent se retrouver en interaction avec son sujet/objet d’étude, sans même avoir besoin d’évoquer les échelles quantiques,
d) qu’il a dû opérer –plus ou moins consciemment- une découpe arbitraire dans le réel du sujet/objet qu’il a décidé d’étudier,
e) que ce sujet/objet se retrouve dans un environnement (le reste du réel après la découpe) qui comme souligné par J.R. Searle évolue, y compris sous l’effet des paradigmes scientifiques (ou culturel, religieux,…), est mal connu, et qui inclus… le chercheur lui-même,
f) et qu'il est soumis à une Rationalité limitée, voir H.A. Simon (II-5-5-e).
Toutes ces réserves sont ignorée ou minorées à la fois par le Rationalisme et l’Empirisme, par leur approche commune simplificatrice propre à l’école plato-cartésienne.

Par ailleurs il est intéressant de noter que G. Bachelard souligne une autre opposition, celle existante cette fois-ci entre rationalisme et réalisme. Ainsi il alerte sur le danger du réalisme qui est trop proche des vues intuitives et de l’évidence (à laquelle Descartes attache tant d’importance). Le réalisme, c’est l’état premier d’une science archaïque, primitive et balbutiante. Il est en cela en fait un obstacle épistémologique que doit surmonter les scientifiques : « Même dans une pratique engagée entièrement derrière une théorie, il se manifeste des retours vers des conduites réalistes. Ces conduites réalistes se réinstallent parce que le théoricien rationaliste a besoin d’être compris de simples expérimentateurs, parce qu’il veut parler plus vite […], parce que, dans le commun de la vie, il est effectivement réaliste. De sorte que les valeurs rationnelles sont tardives, éphémères, rares […]. Dans le règne de l’esprit aussi, la mauvaise monnaie chasse la bonne, le réalisme chasse le rationalisme. » [BACHELARD G., La Philosophie du non, Paris, PUF, 1940, p. 27]. 

Apport de la Systémique : la Systémique, après avoir opéré les choix et les découpages conscients et réfléchis décrits pour le débat réalisme contre nominalisme, va élaborer des modèles (alias théories), selon les différents types de modèles décrits plus hauts. Ces types de modèles permettent de sortir du débat dans la mesure où ces types étant répertoriés par la Systémique, il s’agit d’attaquer le système à étudier sous plusieurs angles, via plusieurs tentatives de modélisations, sans jamais perdre de vue que « la carte n’est pas le territoire » (Korzybsky). Les théories scientifiques ne sont jamais que des modèles de systèmes découpés sur un niveau choisi de la réalité. Ils emportent donc avec eux des « à priori » et des présupposés (voir plus haut). Enfin, les expériences devant réfuter une théorie -et non la vérifier comme l’explique Karl Popper- ne sont pas toujours ni simples, ni aisées, ni fiables, ni répétables (la flèche du temps), ni même possibles. Le recours prudent comme le recommande la Systémique à des approches transversales, essayant de tenir comptes des niveaux englobés et englobant, et de l’environnement du système découpé à l’étude sera le bien venu. La Systémique opérera par approches multiples, selon différents points de vues, différentes découpes. Elle essaiera de d’identifier les systèmes connexes au sujet/objet (système) découpé puis prendre en compte les interactions, les liens entre ceux-ci et avec le sujet/objet étudié. Enfin, elle tiendra compte de la flèche du temps. On utilise alors les apports intéressants des deux approches Réalistes et Empiristes en se dégageant des débats idéologiques des deux camps.

SUITE du Blog : V-4) Essentialisme versus Substantialisme

Benjamin de Mesnard

dimanche 20 septembre 2009

V-2) Nominalisme versus Réalisme (ou Idéalisme)


Guillaume d’Occam au XIV° siècle avec  le nominalisme défendait la thèse qu’aucune Idée séparée n’existait en propre, les idées ne se trouvant que dans les mots employés par les êtres humains et n’ayant pas plus de pérennité que ceux qui les emploient. Seuls les mots ont donc de l’importance, leur sens variant d’un individu à l’autre. La neige par exemple peut-être désignée par un seul mot -ou quelques mots- par les langues européennes alors qu’elle sera désignée par une multitude de mots précis avec des sens différents par les Inuits. A ce titre le nominalisme peut être vu comme un anti-platonisme. C’est la célèbre querelle des Universaux au Moyen-âge. Ainsi Porphyre (-305 à -234), philosophe grec de l'école d'Alexandrie et disciple de Plotin résuma cette future querelle : « Tout d'abord, en ce qui concerne les genres et les espèces, la question de savoir si ce sont des réalités subsistantes en elles-mêmes, ou seulement de simples conceptions de l'esprit, et, en admettant que ce soient des réalités substantielles, s'ils sont corporels ou incorporels et si enfin ils sont séparés ou s'ils ne subsistent que dans les choses sensibles et d'après elles, j'éviterai d'en parler : c'est là un problème très profond et qui exige une recherche toute différente et plus étendue. »
En langage moderne, on dira que le nominalisme rejette l’idée de « classes d’objets » ou de « genres » (au sens d’entités mathématiques ou logiques)
A contrario le Réalisme (qui va de pair avec l'idéalisme) soutien que les concepts ou idées ont une existence propre, indépendante de l’observateur, que les mots ne servent qu’à les désigner, comme d’autres mots désignent des objets matériels. Ces mots peuvent varier d’une langue à l’autre, mais ce n’est pas pour autant que les objets en questions soient différents, la neige, dans ses états possibles, reste de la neige. Descartes a poussé jusqu’à son ultime retranchement la position réaliste par sa “ tabula rasa ” où il soutien qu’il est possible d’oublier tout ce qui est matériel et tous mots -tout ce que l’on a appris - pour arriver au concept pur et unique, référence absolue, le “ moi ” ou le “ je ”. On est à l’opposé du nominalisme, puisque celui-ci rejetant toute idée indépendante, rejettera avec plus de force encore celle de “ moi ”. En parallèle, comme le dit J. Searle en 1998 : « Le réalisme […] n’est ni une théorie de la vérité, ni une théorie de la connaissance, et ce n’est pas une théorie du langage […] On pourrait dire que le réalisme est une théorie ontologique : il dit qu’il existe une réalité totalement indépendante de nos représentations » [SEARLE John R., 1998, p 200]. Ceci a été un élément central des sciences moderne, car en effet comment faire des sciences sans ce postulat qui, permettant l’étude d’un objet indépendant de l’observateur, permet d’objectiver celui-ci ?
Une remarque : le Rasoir d’Occam, est un outil sémantique inventé par Guillaume d’Occam, qui sépare tel un rasoir les noms et les mots en autant de concepts différents, jusqu’à arriver à la racine même du mot. Le rasoir d’Occam choisi à chaque fois entre deux concepts celui le plus « simple », mettant ainsi à nu la « preuve » de l’inexistence des idées séparées, simple jeu de construction verbal (voir II-4-1). Ce rasoir a eu beaucoup de succès car on le retrouve à l’époque moderne sous forme de principe d’économie de pensée de Mach (autre agnostique) tendant à créer des mots raccourcis ou des acronymes désignant immédiatement les nouvelles idées, et permettant d’accélérer les raisonnements. Il est intéressant de noter que l’attrait pour les concepts « simples » s’est trouvée consolidé en 1948 par la théorie de l'information de Shannon et précisé par la théorie de la mesure de la complexité d’un système de R.W. Ashby et A. Kolmogorov (voir II-4-1-e) montrant qu’un système simple (dont la variété est plus faible) est plus probable… ce qui ne signifie pas qu’il soit obligatoirement le bon, le plus pertinent à étudier ou celui reflétant le mieux le domaine à étudier comme le croient les cartésiens ! Enfin il a ouvert la porte à la sémantique moderne. La complexité grandissante d'une théorie scientifique est quelque fois pris comme signe d'une théorie en voie de perdition, ainsi le système planétaire de Ptolémée, mettant la terre au centre, a fait l'objet d'une tentative de sauvetage par Thyco Brahé, ce qui l'a amené à le complexifier d'une manière toujours plus importante pour répondre aux mouvements observés des astres. Cet exemple est souvent donné comme facteur de motivation pour Copernic qui a fini par proposer de mettre le soleil au centre en simplifiant ainsi radicalement le modèle de notre système planétaire.
Le Réalisme de son côté a fait considérablement progresser les sciences du XVII° au XIX° siècles en leur en apportant méthodologie et rigueur et en mettant en place ce que l’on a appelé la « Méthode de Descartes », bien que très critiquée dans cet essai. Simultanément, le Réalisme pose deux problèmes : il est clairement un frein à l’apparition du nouveau paradigme qu’est la Systémique - tout comme la théorie de Newton a freiné la diffusion des théories d’Einstein -, et il pose aussi le problème de la « réalité du Réel ». Kant et Karl Popper ont parfaitement imagés ce problème (voir plus haut) en évoquant la science comme étant construite sur des pilotis qui s’enfoncent non pas jusqu’à trouver un niveau stable, mais jusqu’à –croyons-nous – nous permettre de construire un certain édifice, d'une taille limitée. Celui-ci, dès qu’il se révélera trop ambitieux, s’écroulera sur ses sables mouvants sous-jacents. Il nous faut reconnaître en effet que les concepts de « classes d’objets » ou de « genre » lorsque trop pris pour tels et par trop considérés comme solides, absolus et peu remis en questions, comme le font le Réalisme et l'Idéalisme, s’avèrent dangereux. C’est bien le but des travaux d’A. Korzybsky que de souligner qu’il nous faut en permanence remettre à leur place ces concepts, on retrouve ici la démarche de prudence aristotélo-vichienne. Enfin, ces concepts, de « classes d’objets » ou de « genres » ne doivent en aucun cas, comme l'explique Mario Bunge [BUNGE, Mario, 2008] être confondus avec des objets réels, car ils ne sont que des concepts, c'est son argument principal contre le matérialisme dialectique et l'idéalisme également d'ailleurs. On ne peut donc pas les manipuler comme des objets réels, notamment la négation (dialectique) d'un concept est possible (même si souvent peu pertinente...) alors que la négation d'un objet réel (pomme, table, atome,...) ne correspond à rien. Enfin ces « classes d’objet » en matière de politique avec les « Classes » en luttes dialectiques entre elles chez Marx, le « Peuple », le « Parti », la « Patrie » etc... ne sont rien d’autre que des personnalisations de choses qui n’existent pas dont le but est d’exciter les sentiments des gens pour mieux les manipuler et leur faire oublier que derrière cela se trouve un petit nombre d’individus avides de pouvoir. Même chose sur la création d’absolus qui n’existent pas tels que Le Bien et Le Mal dénoncés par Spinoza, voir (III-2-2). Simone Weil analyse parfaitement cette technique sur Marx : « Plus Marx analyse profondément le cours de l’histoire et les lois économiques, plus il modifie son point de vue, jusqu’à ce que, d’une manière imprévue, la « collectivité » devienne une hypostase, la condition des actions individuelles, une « essence » qui « apparaît » dans l’action et la pensée des hommes et se « réalise » dans l’activité. Elle constitue, à côté du domaine « privé » de l’individualisme bourgeois, un domaine à part, celui du « général », et, en qualité de substance indépendante, est le fondement du premier ; par exemple, la valeur d’un produit est déterminé par elle, avant de se « réaliser » dans le prix concret, empirique du marché. ». [WEIL, Simone, Œuvres en 1934, Ed. Quarto Gallimard, p 353]. Non seulement il y a ici invention d’une « essence » qui n’existe pas, mais on découvre tout à coup chez une grande référence du matérialisme un processus typiquement platonicien-idéaliste où une idée -la collectivité ou encore la valeur d’un produit - « tombe » -se réalise – dans les ouvriers ou encore le prix concret, exactement à la manière des Idées platoniciennes « tombent » dans la matière et s’y réalisent ! On est alors loin du Constructivisme épistémologique puisque qu'il s'agit de découvrir des objets préexistants (les nombres premiers par exemple) et non de les construire dans nos têtes. On est également assez loin de la Rationalité limitée car le rationalisme se pense capable de prendre en compte, de voir ou découvrir implicitement la totalité du réel,sans véritable notion de limites de l'horizon d'information ou de la cognition. On s'éloigne bien entendu de la phronésis/prudence et modestie vichienne ou aristotélicienne.

On retrouve fort bien dans cette image la problématique des niveaux du réel. Niveaux plus ou moins définis par le chercheur, un niveau étant arbitrairement choisi comme niveau d’étude et de référence, souvent d’ailleurs via une prise de conscience insuffisante de ce choix. A nouveau dans ces différents niveaux, tel par exemple les 3 mondes de K. Popper, il faut bien garder à l'esprit que le 3° monde de K. Popper (voir II-5-5), celui les productions de l’esprit humain vraies ou fausses, n'est plus un niveau constitué d'objets réels contrairement aux deux premiers. Il n'est donc en rien comparable à ceux-ci, ne peut obéir aux mêmes lois, car il n'est que conceptuel. C'est bien la thèse défendue par A. Korzybsky, incitant à la prudence vichienne, malheureusement oubliée par les tenants de l'idéalisme, ou du matérialisme dialectique.

Apport de la Systémique : la Systémique bouscule et réunis à la fois les deux positions du nominalisme et du réalisme. Comme entre l’Idéalisme et le Matérialisme, la Systémique va consciemment, délibérément et tentant d’en mesurer les risques, choisir un niveau du réel pour y découper un certain sous-système, objet de son étude. Ce découpage peut être vu -pour paraphraser Saint Thomas d’Aquin- comme un scandale ontologique, car contre nature. Par définition en effet, ce (sous-)système découpé ne sera pas indépendant du reste, et ne peut pas être envisagé comme pouvant vivre/évoluer seul. Par ailleurs le choix du niveau de réalité se fait lui aussi délibérément. Plus le niveau de réalité choisi s’éloigne du niveau immédiat macroscopique humain (le mètre, la lumière visible,…) plus ce niveau sera difficile à aborder. La Systémique tient compte de l’existence des autres niveaux, englobés et englobants, même s’ils sont plus ou moins connus. Les autres systèmes seront vus comme l’environnement du système découpé. Cette opération de découpage est bien sûr une phase très importante car elle nécessite de définir les frontières (artificielles) ainsi « créées », et les entrées et sorties à ces frontières. Certains comportements, lois, etc. du système (sous-système découpé) pourront être alors définis soit comme venant directement du niveau inférieur, soit comme phénomène émergeant propre au niveau étudié. Par exemple, en physique le niveau macroscopique voit disparaître les lois quantiques pour voir émerger les lois de classiques relativistes à l’échelle du niveau quotidien. A plus grande échelle (ou vitesses supérieures dites « relativistes »…) on voit émerger les lois de la relativité d’Einstein. Ceci explique que certains concepts aristotéliciens d’Acte et de Puissance peuvent être –délibérément mais une fois encore, consciemment et prudemment - réutilisés par la Systémique. En effet une loi ou un phénomène émergeant au niveau étudié, pourra être volontairement « simplifié » par le chercheur en utilisant ces outils conceptuels venant d’Aristote. La « vertu allergisante » du pollen fonctionne et suffit à un certain niveau de traitement pour le médecin généraliste qui n’a pas besoin de plus pour traiter son malade ; ayant appris en école de médecine par ailleurs la « vertu antiallergique » de tel ou tel médicament pour combattre cette allergie. Il appartiendra par contre aux chercheurs des laboratoires pharmaceutiques de disséquer les mécanismes (typiquement systémiques et complexes d’ailleurs !) des allergies pour aller plus au fond des problèmes afin de trouver de nouveaux médicaments.
L’apport de la Systémique est donc d’utiliser un certain nombre d’outils conceptuels en tout état de cause, et en connaissant les limites, et sans rentrer à nouveau dans les débats connus. Il ne s’agit plus ni d’être Nominaliste, ni Réaliste ou Idéaliste, mais d’utiliser les outils conceptuels des deux à bon escient, au bon moment avec pragmatisme, et prudence vichienne… tout en étant conscient que nous sommes nous-mêmes pétris d'à priori, d’idéologies, et de cultures… et qu’il est donc impossible de faire « tabula rasa ».


SUITE du Blog : V-3) Rationalisme versus Empirisme

Benjamin de Mesnard

mardi 31 mars 2009

III) Théories alliées à la Systémique (K. Popper et les « sciences » sociales)


 III-2-15) Karl Popper et les « sciences » sociales, dont l'économie

Karl Popper a déjà été étudié au (III-2-8), mais après avoir vu F. Hayek il est nécessaire de revenir à Karl Popper cette fois-ci en tant qu'épistémologue des sciences sociales et économiste, notamment avec ses ouvrages « La Société Ouverte et ses Ennemis » T1 et 2, et « Misère de l’Historicisme ». Ce retour doit se faire en établissement le lien avec ses travaux d’épistémologues et avec ceux de F. Hayek, car comme on va le voir ceux-ci forment un tout logique. 
         a) Adoption, reconnaissance, de l’existence d’un 3° type de Systèmes de F. Hayek : les Systèmes artificiels mais inintentionnels, voir (III-2-14-c). Ce sont typiquement l’ensemble des « science » sociales, dont l’économie, les sociétés humaines en général, créés par des êtres humains, elles sont donc bien artificielles, mais n’ont pas été crées avec un but, une intention, une finalité comme peut l’être une voiture ou un avion. Ces Systèmes sont parmi les plus complexes possibles car – contrairement aux Systèmes naturels inintentionnels – ils sont constitués d’êtres humains en interactions et non par exemple d’atomes. Leurs comportements ne sont donc pas stables et peuvent ne pas être rationnels, on retrouve une fois de plus la Rationalité limitée de H. Simon et la Théorie des Jeux de J. Von Neumann et O. Morgenstern... voir (II-5-5-e).

         b) Par une réflexion sur l’essentialisme versus nominalisme, voir (V-2) et (V-4), K. Popper choisit le nominalisme qui est plus prudent car celui-ci ne prétends pas atteindre l’essence des choses, des Systèmes, des Êtres, et donc la Vérité avec un grand « V » comme le veut l’essentialisme et le soutiennent Platon, Hegel, Descartes ou Marx. Le nominalisme se contente de mettre une étiquette pour faciliter l’expression de la pensée sans prétendre à plus, ainsi au lieu de dire « être vivant pondant des œufs capable de voler » on utilisera l’étiquette « oiseau » sans préjuger de découvertes futures. Il appelle « essentialisme » tout ce qui touche à un universel détaché du monde matériel, ce que Platon nomme les Idées ou ce que les Marxiste nomment « qualité », tel que « Blancheur » ou « État » ou « Humanité » ou encore « Peuple » etc., on retrouve donc le « qu'on donne des majuscules à des mots vides de signification », hypostases, émergences métaphysiques, dénoncées par Simone Weil déjà citée dans cet essai. Pour K. Popper le but de l’essentialisme est de définir les essences, de trouver une définition de « Blancheur » par exemple. Quête vaine et sans fin car si A est défini par B qui est défini par C qui est défini par... A, on arrive à une boucle tautologique récursive, régression à l’infini qui n'explique rien comme démontré par K. Gödel, voir (III-1-2). En passant, K. Popper fait une erreur en croyant que l’essentialisme est également soutenu par Aristote, alors que celui-ci s’oppose au monde des Idées platonicien pour soutenir plutôt le substantialisme, opposé à l’essentialisme (voir V-4) car reposant sur l’union de la Forme et de la Matière inséparables. 

        c) L’essentialisme aboutit à la création de « grands tous » qui n’existent pas en réalité ouvrant la voie aux théorie complotistes nécessaires à l’historicisme. Un autre intérêt de l’essentialisme pour l’historicisme est de permettre de soutenir les thèses de complotistes : «  … les sciences sociales étudient le comportement de tous sociaux, tels que groupes, nations, classes, sociétés, civilisations, etc. Ces tous sociaux sont conçus comme les objets empiriques que les sciences sociales étudient de la même façon que la biologie étudie les animaux ou les plantes. Cette vue doit être rejetée comme naïve. Il néglige complètement le fait que ces soit-disant tous sociaux sont très grandement des postulats de théories sociales populaires plutôt que des objets empiriques. (…) En conséquence, la croyance dans l’existence empirique de tous sociaux ou de collectifs, qui peut être décrit comme un collectivisme naïf doit être remplacé par la demande que les phénomènes sociaux, collectifs inclus, soient analysés en termes individuels, comme leurs actions et relations. 
Mais cette demande peut aisément donner naissance à une autre vue erronée, (…) Elle peut être décrite comme la théorie de la conspiration de la société. Dans cette vue, quoi qu’il arrive dans la société - incluant les choses que les gens n’aiment pas en général, telles que les guerres, chômage, pauvreté, pénuries – sont le résultat directement conçus par quelques individus ou groupes puissants. » [POPPER K., « Conjecture and Refutation », Ed. Routeledge, 1963, p459]. On ne peut manquer de remarquer ici combien K. Popper, F. Hayek et Simone Weil partagent la même analyse des « grands tous » alias «  qu'on donne des majuscules à des mots vides de signification »… Danger dans lequel d’ailleurs la Systémique peut rapidement sombrer par manque de phronésis/prudence… On y reviendra.          
 
      d) Partant de cette opposition fondée à l’essentialisme, il décrit comment celui-ci amène nécessairement à l’historicisme. En effet, une historien essentialiste voudra trouver une essence à l’Histoire, comme il cherchera une essence pour tout autre choses. Cette essence de l’Histoire, ce sera donc des « Lois inexorables du Destin » censées expliquer le devenir des peuples ou des pays. C’est l’historicisme de Platon, Hegel et Marx dénoncés par K. Popper, auxquels on devrait ajouter A. Comte d’ailleurs. L’essence de l’Histoire est alors d’arriver à une finalité certaine, prédite et prévue : à la fin des temps verra l’avènement du paradis terrestre, qu’il soit chrétien ou musulman, ou bien la victoire inéluctable du Prolétariat (avec un grand « P » bien sûr), ou encore la domination de la Race Aryenne ou autres (avec encore une fois des majuscules). Autant de démarches historicistes croyant à un millénarisme certain et somme toute très rassurants pour ceux que la société ouverte angoisse. 

       e) On arrive ainsi fort logiquement au débat « Société Ouverte » versus « Société Close » alias « Société Tribale » de K. Popper. L’essentialisme mène à l’historicisme qui mène à la société close, tribale ayant un chef, un Guide / Führer, un Grand Timonier, un Petit Père des Peuple prenant en charge les décisions en fonction du Destin de l’Histoire connu de lui seul. L’avantage de ce système, est d’éviter aux individus d’avoir à penser par eux-même et d’angoisser sur l’avenir puisque celui-ci est déjà connu du Guide et qu’il est radieux. On est en plein dans le système platonicien / rousseauiste déjà cité dans cet essai où la seule question intéressante est la qualité du dirigeant, Être génial et parfait car proche du monde des Idées. 

        f) A ce point de sa réflexion, K. Popper arrive à la conclusion que les sciences et la forme de la société sont intimement liées. En effet, les (vraies) théories scientifiques ont besoin d’apparaître librement (même si elles paraissent fantaisistes comme la théorie des Quantas à ses débuts) puis d’être testées, mises en concurrence, sans interdits ni contraintes. Or pour cela, l’environnement de ces théories, leur écosystème, n’est pas autre chose que la société dans laquelle vivent les scientifiques. Seule la société ouverte peut garantir cet écosystème favorable aux théories scientifiques, car c’est la seule à être non-historiciste et – par définition – ouverte aux projets, aux théories diverses et variées même si elles viennent de l’étranger. Dans une société close prédisant un paradis sur terre, un Pape avec la Terre plate centre de l’Univers contre G. Bruno, un Petit Père des Peuple, comme Staline avec Lyssenko contre Darwin, ou un Guide / Führer comme Hitler avec ses thèses raciales décrétées comme vraies et donc non-scientifiques disent/dictent la seule et unique Vérité incontestable. Tout scientifique s’aventurant à émettre une théorie réfutable et donc scientifique allant un tant soit peu à contrario de la thèse officielle du Parti, ira en camp de concentration ou de la mort. Ce ne sont plus les théories qui sont éliminées pacifiquement après un test, une expérience montrant qu’elle est réfutée, c’est le scientifique qui est éliminé physiquement. Cela explique les problèmes connus par Galilée, ou Darwin et la stagnation scientifique de l’URSS par exemple. 

        g) Un point important souligné par K. Popper, c’est l’irrationalisme des historicistes : étant en dehors de toute démarche scientifique, de conjecture et réfutation, comme le dit K. Popper, ces « croyants » en un Destin de l’Histoire se placent dans l’irrationnel, ne laissant plus aucune place à la discussion, aux arguments, aux réflexions rationnelles, en bref à la dialogique de la Systémique. Il ne reste alors plus que la violence pour installer de force de tels régimes. De la société ouverte et libérale, démocratique au sens où le citoyen peut obtenir le remplacement des dirigeants d’une manière pacifique, on passe au régime autoritaire socialiste national de droite ou de gauche... Arrivé là, on comprend la cohérence de la philosophie de K. Popper, qui par un chemin de réflexion différent, plus épistémologique et moins économique, arrive à des conclusions similaires à celle de F. Hayek, par exemple avec « La Route de la Servitude ». 

         h) La question des « sciences » sociales, c’est le point de divergence entre K. Popper et F. Hayek, c’est pourquoi il est utile de revenir à K. Popper après avoir vu F. Hayek. Ce point étant à la croisée de l’épistémologie des sciences naturelles et sociales, il est naturel de l’étudier ici. La question est de savoir si les « sciences » sociales - dont la plus mûre d’entre elles, l’économie - sont scientifiques ou non, en bref : quel est le statut épistémologique des « sciences » sociales ? On l’a vu pour F. Hayek, elles ne sont pas à proprement parler scientifiques, même l’économie, car non testables via une expérience sur le monde réel comme on peut le réaliser avec les sciences de la nature. Mais pour lui, cela ne constitue pas une condamnation de ce domaine – comme on est en droit de condamner l’astrologie par exemple -, car on peut étudier les « sciences » sociales ou l’économie d’une manière, dans un esprit scientifique avec méthode, rigueur, logique, et en s’attachant aux faits. Mais on ne pourra pas vraiment tester les théories de ce domaine afin de les réfuter le cas échéant… A cet égard, un épistémologue de la sociologie aura même des mots très durs sur cette branche des « sciences » sociales : pour lui la sociologie « s'immerge dans la description fouillée du contexte ou qu'[elle] essaie de contourner la difficulté en construisant des typologies qui, peu ou prou, sont condamnés à rendre équivalents des contextes non équivalents, [elle] est toujours en train d'énoncer des généralités qui ont cette particularité de n'atteindre jamais à la généralité nomologique de la loi universelle, accessible aux seules sciences expérimentales ». [PASSERON, Jean-Claude, « Le raisonnement sociologique », Paris, Nathan, 1991, p. 60]. Nota : « nomologique » signifie « établir des règles, des lois » 
                  • Rappel : pour K. Popper et la Systémique, est scientifique toute théorie à la laquelle on peut appliquer la méthode de conjectures -> élaboration d’une théorie, modèle simplifié et partiel du monde réel -> déductions d’un certain nombre de prédictions découlant de cette théorie/modèle (la cas échéant via des simulations) -> puis test/expérimentation de ces déductions pour éventuellement réfuter la théorie -> nouvelles conjectures etc... Voir le schéma de la boucle rétroactive Systémique de la démarche scientifique en (III-2-8)
                   • La question de l’unité de base : étrangement les « sciences » sociales s’en sortent mieux sur la question : quelle est l’unité de base à utiliser pour ce domaine scientifique ? Pour les « sciences » sociales, aucune hésitation à avoir : c’est l’être humain, insécable sauf à le tuer, qui doit fournir le référentiel de base. En effet à moins d’être un tenant de la soit-disant existence d’un « être collectif », de l’un de ces « mots vides auxquels on ajoute une majuscule » comme dirait Simone Weil, on se doit de considérer comme système de base l’être humain dans l’ensemble des « sciences » sociales. Ce sont les êtres humains et leurs inter-relations qui constituent les sociétés, et partant de là, sont les sujets d’études des « sciences » sociales. Tout « sur-système » à l’être humain, société, économie, État, entreprise publique ou privée, ne peut être que le résultat de l’interaction des êtres humains qui la compose, et de l’interaction avec les autres « sur-systèmes » en relation avec lui, eux-même composés d’être humains. Par contre, dans les sciences de la nature, il est impossible de trouver une unité de base : en physique, l’atome a été pendant plusieurs millénaires considéré clairement comme l’unité de base. Or depuis on a découvert le noyau atomique et les électrons, puis les protons et neutrons puis les quarks d’ailleurs impossible à isoler individuellement… et à l’inverse, que l’eau était constitué de molécules, assemblage de trois atomes et non un corps élémentaire…. En biologie, on a découvert finalement assez tardivement les cellules vivantes et les microbes qui semblaient être l’unité de base, mais ensuite on a pris conscience qu’il existait les virus, puis les mimivirus que l’on ne sait pas trop classer, puis l'ADN et l'ARN, puis des systèmes pré-biotiques… Or l’absence d’une unité de base, d’un système de référence - en bref l’absence de point fixe cher aux cartésiens – pose bien évidemment pour le moins une difficulté considérable dans la conception des théories et donc des modelés à tester/ expérimenter sur le monde réel, la question devient : créer un modèle constitué de quoi ? le tester sur quoi ? Sur quelle unités de base ? On retrouve la science, maison sur pilotis de Kant et K. Popper...
                  • La question de la méthode scientifique : est-il possible d’appliquer la même méthode, aux « sciences » sociales qu’aux sciences de la nature ? Pour K. Popper, la réponse est oui. Cependant, il reste flou sur l’aspect pourtant central de son épistémologie : les tests/expérimentations. Il semble admettre – notamment pour l’économie - que des modèles, puisse être de bons candidats à des plateformes de tests/expérimentations pour réfuter ou non ces théories via des simulations. Ce que rejette F. Hayek. Or, comme vu en (II-3-6,) une théorie n’est pas autre chose qu’un modèle, un modèle simplifié s’appliquant à un morceau de réalité arbitrairement découpé avec tous les dangers que cela comporte comme vu par exemple en (II-5-5). Donc prétendre tester une théorie, modèle de la réalité, en le faisant « tourner » afin de le réfuter le cas échéant, c’est tester un modèle par rapport à lui-même, rien de plus. Certes il est intéressant de tester la cohérence interne d'un modèle en le faisant « tourner », mais croire avoir ainsi testé réellement ce modèle, c’est mener une démarche tautologique qui n’est pas sans rappeler l’introspection de Descartes ou le matérialisme dialectique rebouclant à l’infini sur des thèses/anti-thèses/synthèses sans référence au monde réel. Pour tester une théorie /modèle le seul référentiel possible c’est le monde réel encore une fois « la carte n’est pas le territoire » comme le rappelle A. Korzybski ! Il faut autant que faire se peut respecter les méthodes (conjecture/réfutation), approches, état d’esprit, et rigueur scientifique des sciences naturelles dans les « sciences » sociales. Il est même recommandé de faire des simulations, de faire « tourner » ses modèles, on peut d'ailleurs tenter de réaliser des expérimentations avec des êtres humains réels, par exemple tester des comportements à l’achat dans un magasin. Mais les tests sur modèles ne répondent pas au critère de scientificité, seuls ceux effectués sur le monde réel peuvent prétendre l’être à la condition d’être répétables dans des conditions identiques. 


 Benjamin de Mesnard
 Épistémologie Systémique Constructivisme 

dimanche 8 mars 2009

III) Théories alliées à la Systémique (Kuhn, Korzybsky et Gestalt)

III-2-10) Thomas Kuhn et la structure des révolutions scientifiques

C’est -après Karl Popper- Thomas Kuhn qui a contribué à « finaliser » les théories exposées dans le paragraphe précédent en explicitant le concept de paradigme scientifique. Ceci est à rapprocher de l’équivalent logique de l’espèce chez Darwin. T. Kuhn a bien décrit la boucle de rétroaction existant entre l’apparition d’une nouvelle théorie scientifique résistante aux tests, devenant peu à peu le nouveau paradigme implicite accepté par toute la communauté, et modifiant par retour l’environnement scientifique (boucle de rétroaction d’éco-auto-ré-organisation). Ce paradigme nouveau peut à son tour devenir un obstacle au développement et à l’extension d’une nouvelle théorie – même résistante aux tests expérimentaux – et « meilleure » que les théories précédentes. Pour continuer sur l’analogie darwinienne, comme un environnement qui tarderait à changer sous l’influence d’une nouvelle espèce tendant à le modifier. Ainsi, l’atmosphère de la terre à mis des millions d’années à s’enrichir en oxygène sous l’effet des nouvelles espèces vivantes qu’on été les végétaux. De même, les milieux scientifiques ont mis un demi-siècle à intégrer véritablement les théories quantiques (et la relativité générale) car elles heurtaient trop violemment le « bon sens » newtonien des scientifiques du début du XX° siècle.

III-2-11) Alfred Korzybsky et la Sémantique Générale

Korzybsky a écrit deux ouvrages intitulés « Sémantique Générale » en 1933 et « Science and Sanity » et il a produit plusieurs articles entre 1920 et 1950. Il a construit un système présenté comme non-aristotélicien dans le but de créer une rupture dans l’esprit des lecteurs. Aristote étant pour A. Korzybsky le prototype même d’un état d’esprit rigide et ignorant. Son système pourrait plutôt se présenter aujourd’hui comme non-sens commun ou anti-sens commun. Ses attaques contre Aristote ont souvent été mal comprises. Ce que voulait signifier A. Korzybsky, c’est que son approche allait au delà des approches aristotéliciennes, non pas qu’elles soient fausses, mais en les englobant, comme la Relativité Générale va au delà de Newton. C'est pourquoi il parle de non-Aristotélisme et non d'anti-Aristotélisme. Il voulait aussi secouer la rigidité dans laquelle étaient tombés beaucoup de philosophes par le cartésiano-positivisme se réclamant d’Aristote, en ne retenant de lui que les syllogismes.
Pour A. Korzybsky, il faut retenir trois préceptes de base si l’on veut garder un esprit sain face au monde au réel tel qu’il est. Ceux-ci peuvent être donnés par analogie avec la relation entre une carte et le territoire :
1. Une carte n'est pas le territoire.
2. Une carte ne représente pas tout le territoire.
3. Une carte est auto-réflexive en ce sens qu'une carte "idéale" devrait inclure une carte de la carte, etc., indéfiniment.
Appliqué à la vie courante et au langage, cela donne :
1. Un mot n'est pas ce qu'il représente.
2. Un mot ne représente pas tous les "faits", etc.
3. Le langage est auto-réflexif en ce sens que nous pouvons l'utiliser pour parler à propos du langage (concept typiquement Systémique et Constructiviste, repris notamment par E. Morin).
On retrouve bien là un certain nombre de concepts systémiques tels que les niveaux, la réflexivité et l’auto-réflexivité, la nécessité des démarches d’abstraction conscientes, la modélisation (la carte), ou les boucles de rétroactions. Comme la Systémique, elle peut être vue comme une méthode de travail utilisable dans tous les travaux scientifiques (ou non), comme une méta-méthode. Elle s’oppose clairement à Descartes, autre inventeur d’une méta-méthode, car A. Korzybsky insiste souvent et clairement sur le fait que l’on ne peut se contenter de séparer le réel en petites pièces facilement analysables pour tout connaître, mais qu’il faut tenir compte du fait que le tout est supérieur aux parties : « le système nerveux humain comme-un-tout », concept typiquement aristotélicien ! Notamment pour lui, la formulation d'un système général, fondée sur les méthodes physico-mathématiques d'ordre, de relation, etc., permet d’édifier un système qui rendrait possible des évaluations appropriées et, par conséquent, une meilleur prédictibilité du réel.
Enfin A. Korzybsky doit absolument être rapproché de T. Kuhn car il est clair qu’une nouvelle théorie scientifique qui réussit à s’imposer en devenant un paradigme, finira par devenir le monde réel aux yeux des scientifiques, et au-delà. Ainsi le paradigme se met à échapper au premier précepte sanitaire d’A. Korzybsky : « une carte n'est pas le territoire », ou si l’on préfère le paradigme n’est pas la réalité ! A titre d’exemple, le paradigme cartésien fait croire à la plupart des gens -bien au-delà des seuls scientifiques- que le monde réel pourra bel et bien être découpé en petites parties sans problème. Ou bien, le paradigme newtonien fera croire au public qu’une loi locale demeurera vraie à grande échelle sans aucune remise en cause, approche clairement non-systémique par ignorance notamment du concept d’émergence. 
En résumé A. Korsybski va au-delà d'Aristote, et également de Descartes, tout comme la Systémique, et fait la critique justifiée des syllogismes, et surtout de leur usage exagéré et caricatural tel qu'il en a été fait à la fin du Moyen-Age.

III-2-12) Gestaltisme (ou théorie de la forme “Gestalt-théorie”)

Théorie de la psychologie moderne, issue des travaux de Wertheimer (1880), qui conçoit l’étude des systèmes psychiques ou physiques selon une approche structuraliste. Elle considère les phénomènes dans leur totalité, sans tenir compte des éléments isolables et sans signification hors de cet ensemble organisé. Cette théorie a d’abord été appliquée aux processus perceptifs, organisés en formes qui suivent des lois spécifiques :
  • lois d’homogénéité de l’objet, de proximité ou de similitude, dont les variations peuvent renforcer ou amoindrir la portée du stimulus et de ses effets. Constance de la forme qui est résistante à son changement, par un effet de mémoire de la forme réelle sur celle qui est perçue
  • lois de la relation figure-fond, prégnance de la « bonne forme », forme privilégiée, régulière ou symétrique. Cette théorie suppose les mécanismes d’individualisation des objets dans un champ, de leur action réciproque et des interactions entre les deux, des rapports entre la réponse perceptive et la stimulation. Elle s’est étendue à de nombreux domaines psychologiques et à la médecine. Le Gestaltisme est lié au Connexionnisme au sens où l’ayant précédé, il n’a pu utiliser la puissance de l’électronique moderne qui a permis de vérifier où d’infirmer beaucoup de thèses du Gestaltisme. Par exemple celui-ci prédisait un mode d’analyse/perception d’images qui a pu être vérifié (simulé) avec certains réseaux de neurones artificiels beaucoup plus tard. Dans la pratique aujourd’hui, cette théorie se retrouve dans les algorithmes de reconnaissance de formes, de visages (biométrique), de configurations de courbes pathologiques par exemple en cardiologie, etc... 
SUITE du Blog : Théories alliées à la Systémique (Constructivisme Épistémologique)

Benjamin de Mesnard