samedi 17 janvier 2009

III) Théories alliées à la Systémique (Popper)

III-2-8) Karl Popper l'épistémologue

K. Popper a tenté de mettre sur pied une méthode pertinente dans le but de tester les théories afin de savoir si elles sont scientifiques ou non. K. Popper -en s’appuyant sur David Hume- a voulu montrer quels étaient les critères définissant la science de la non-science, ces critères sont qualifiés de critères de démarcation. En cela, il s’est opposé au Cercle de Vienne (Schlick, Carnap, Hahn, Neurath, etc…) et à leurs théories connues sous le nom de Positivisme Logique.
Le Positivisme Logique est un Positivisme corrigé de ses excès, car devenu idéologique voir mystique avec A. Comte. Le Positivisme Logique est résolument réductionniste et vérificationniste. Il est réductionniste car –comme le Positivisme- il est analytique et cartésien. Il est vérificationniste car il affirme comme critère de démarcation entre science et non-science que l’on doit pouvoir vérifier, c'est-à-dire reproduire à tout moment, une expérience pour vérifier que l’on obtient bien à nouveau sous les mêmes conditions, les mêmes résultats. On peut alors en déduire qu’une loi scientifique existe, que la Théorie est Vraie (avec un « V» majuscule). On retrouve ici le concept de « Présomption Fatale » chère à F. Hayek : la certitude de l'atteinte de la Vérité en science, présomption fatale qui se retrouve dans la société avec les historicistes Hégéliens ou Marxistes par exemple et autres Constructivistes Sociaux qui croient savoir reconstruire la société à zéro à partir de leurs Idées décrétés comme Vraies. K. Popper y revient, voir (III-2-15). Ainsi sur la certitude que les connaissances scientifiques aboutissent à la Vérité grâce au matérialisme scientifique, on peut donner ce mémoire signé Staline citant Lénine : « Lénine accuse de fidéisme Bogdanov, Bazarov, Iouchkévitch et les autres partisans de Mach ; il défend la thèse matérialiste bien connue d'après laquelle nos connaissances scientifiques sur les lois de la nature sont valables, et les lois scientifiques sont des vérités objectives ; il dit à ce sujet : « Le fidéisme contemporain ne répudie nullement la science ; il n'en répudie que les "prétentions excessives", à savoir la prétention de découvrir la vérité objective. S'il existe une vérité objective (comme le pensent les matérialistes), si les sciences de la nature, reflétant le monde extérieur dans l'"expérience" humaine, sont seules capables de nous donner la vérité objective, tout fidéisme doit être absolument rejeté. » (Matérialisme et empiriocriticisme, t. XIII, p.102.) ». [STALINE, J.V., Matérialisme dialectique et Matérialisme historique, p 8, 1938]. Bizarrement d’ailleurs Lénine et Staline assimilent d’une manière incompréhensibles le refus de croire que les sciences donnent des théories Vraies au fidéisme, c’est à dire à la Foi religieuse, elle qui bien au contraire prétend détenir la Vérité par la Foi et les saintes écritures… tout comme le marxisme ! 
Pour K. Popper, ce critère vérificationniste trouve ses limites dans l’impossibilité –au contraire- d’affirmer qu’une théorie est vraie, même après un très grand nombre d’expériences répétées confirmant le résultat attendu. Rien ne dit en effet que le Nième test ne vas donner un résultat en contradiction avec une autre prédiction issue de la théorie, qui se trouve donc alors réfutée. Il faut aussi combattre le syndrome de l' explication "ad-hoc" donnée après coup pour expliquer pourquoi lors de ce dernier test la théorie a échouée.  Il faut donc trouver un autre critère que celui des vérificationnistes pour qui il suffit d'avoir un grand nombre de tests, d'expériences confirmant une théorie pour la déclarer "vraie"... et cesser les tests, les expériences. Certains pourront aller jusqu'à délibérément ignorer, passer sous silence, les tests ayant démontré que la théorie est fausse : c'est ce que font graphologie, astrologie, ou les utopies (Nazisme, Marxisme...) etc... mais aussi régulièrement des scientifiques refusant une remise en cause par trop profonde de leur paradigme et du travail de toute une vie … En fait, pour K. Popper, une théorie est scientifique lorsqu’elle revendique un statut universel ET se donne les moyens d’être démontrée fausse si jamais il s’avère qu’elle l’est : 
 
une théorie scientifique doit donc être intrinsèquement réfutable. 
 
A l’inverse, on ne peut jamais démontrer qu’une théorie scientifique est vraie. Ainsi une théorie scientifique offrira d’emblée les moyens de la tester, de la soumettre à un certain nombre de tests expérimentaux, afin de démontrer qu’elle est fausse (si elle l’est) : c’est le concept traduit à tort en français de « falsification de la théorie », et qu’il est plus propre de traduire par « réfutabilité de la théorie ». Car il s'agit bien ici, non pas de produire un faux document (falsification), mais de réfuter une théorie. Karl Popper insiste sur le fait que ce n’est pas parce qu’une théorie a passé avec succès cent tests de réfutations qu’elle pourra être considérée comme vraie, ce que le grand public a souvent tendance à croire. Une théorie pourra aussi être considérée à tort comme vraie parce qu’elle a passé avec succès un certain nombre (voire un grand nombre) de tests expérimentaux effectués avec une certaine précision due aux outils de mesure de l’époque. Mais elle pourra être mise ensuite en défaut par le même test effectué ultérieurement avec des instruments plus précis, ou bien en tombant sur un cas de figure différent. Par exemple la théorie de la gravitation de Newton était considérée comme « vraie » avec la précision des instruments de mesure de la fin du XVIII° siècle. Elle s’est révélée fausse dans l’absolu, avec la précision plus élevée des instruments du XX° siècle, lorsque les effets relativistes de la théorie d’Einstein ont pu être mis en évidence. Il est maintenant admis -par seule commodité- de dire que la théorie de Newton est « vraie avec X % de marge d’erreur, ou d’approximation », mais cette approche doit être absolument rejetée.
Attention, cette notion de « vérité d’une théorie » a été approfondi par ailleurs, notamment par le Constructivisme épistémologique, et il n’est pas question ici de soutenir qu’Einstein est simplement plus exact que Newton, car on a bien assisté avec la Théorie de la Relativité à l’apparition d’un nouveau paradigme –au sens de Th. Kuhn- scientifique et épistémologique par rapport à la théorie de Newton. On rejoint ici le concept de théorie d’Einstein plus « forte » (au sens de Gödel) que la théorie de Newton. En effet la théorie de Newton peut être définie comme un sous-ensemble de la théorie d’Einstein, pour ne pas dire un sous-système. Une fois de plus, cela n’enlève rien au fait que la Théorie de la Relativité d’Einstein fait appel à des concepts et des outils mathématiques qui n’existent pas chez Newton, d'une part et que -surtout- la théorie de Newton a été réfutée définitivement entre autres avec la mesure de la trajectoire de la planète Mercure.
Dans une deuxième étape, Karl Popper est allé plus loin en contrant à nouveau les thèses du Cercle de Vienne munis de ses critères de démarcation, en montrant que la genèse (l’induction) des théories scientifique ne présentait aucun intérêt d’étude. Ce qui était important était ce régime de création/tests/réfutation/modification de la théorie (ou création d’une nouvelle théorie) /tests… à nouveau. Pour cela encore faut-il que l'environnement du chercheur, la société dans laquelle il vit, autorise l'apparition d'idée puis de théories nouvelles, remarque qui amènera K. Popper à « La Société Ouverte et ses Ennemis » T1 et 2 vu en (III-2-15)... Il a montré, que ces vagues successives de théorie plus ou moins en ruptures les unes avec les autres dans le temps, constituaient autant de paradigmes (mis en exergue par Th. Kuhn) qui se succédaient. Cette mise en lumière de la vraie genèse des théories scientifiques est due à cette boucle de rétroaction entre l’apparition aléatoire des idées à l’origine des théories -la fameuse pomme de Newton !- et cette possibilité de les tester et d’en démontrer ou non leur fausseté (les réfuter). On perçoit bien l’analogie complète entre cette sélection artificielle -parce que faite par les hommes- et la sélection naturelle des espèces vivantes chez Darwin. Cette sélection artificielle n'est autre que la « BVSR » : blind variation and selective retention, c'est à dire variations aveugles puis rétention sélective explicitée en (III-2-6), où l'induction joue le rôle des mutations, et les tests/expérimentations scientifiques pour tenter de réfuter la théorie, joue celui de la sélection naturelle. On voit immédiatement aussi l’esprit -involontairement- systémique de cette « théorie de l’évolution des espèces des théories scientifiques ». Ceci explique la capacité à survivre à très long terme des « théories » non-scientifiques : astrologie, graphologie, religions, idéologies, homéopathie, etc.… car elles ne sont pas soumises à cette véritable pression de sélection naturelle par l'environnement scientifique comme le sont les théories réellement scientifiques.
Enfin, K. Popper a apporté une dernière amélioration à ses théories en admettant qu’une théorie pouvait être plus ou moins corroborée. Ceci est une tentative de réponse aux critiques qui soulignaient le fait que certaines théories pourtant authentiquement scientifiques ne pourraient jamais être réfutées. En effet, toute théorie reposant sur une affirmation d’existence positive, comme par exemple : « il peut exister des cas de transmission de grippe aviaire à l’homme » ne pourra jamais être réfutée, car si ce cas ne s’est jamais produit, rien ne nous dit qu’il ne produira pas demain. Auquel cas la théorie serait bel et bien vérifiée bien que non réfutable. C’est en quelque sorte l’inverse des théories reposant sur une généralisation (par induction) comme l’exemple connu « Tous les corbeau sont noirs » où il suffit de trouver un cas et un seul de corbeau d’une autre couleur pour réfuter la théorie au sens de Popper. En résumé, Popper s’applique aux théories reposant sur une proposition de type « Tous … », ou « Quelque soit … ». Mais ne s’applique pas à « Il existe au moins un cas de… ». On est donc dans le cas inverse des théories de type « Tous...» : elles ne peuvent être réfutées.... bien que possiblement vérifiables !

Tableau synoptique corroborations/réfutations possibles :

Type de théorie
Réfutation
Corroboration
« Quelque soit le cas… »
ou « Tous les… »
Possible :
Trouver un seul cas contraire.
Mais encore faut-il que les tests soient possibles en pratique (sociologie…), même s’ils sont possibles en théorie (un protocole de test est imaginable mais non réalisable en pratique).
Possible (statistique) :
Vérifier N cas confirmant la proposition (position de départ du Cercle de Vienne : le vérificationnisme). Mais rien ne dit qu’elle ne sera pas réfutée demain par un cas unique contraire.
« Il existe un cas… »
ou
« Il peut exister un cas… »
Impossible :
Vérifier N cas où la non-existence est confirmée ne réfute pas la proposition car le cas contraire confirmant le « il existe …» peut arriver demain.
Possible (absolu) :
Il suffit de trouver un cas confirmant ce « il existe… ». Mais encore faut-il que les tests soient possibles en pratique (sociologie…), même s’ils sont possibles en théorie (un protocole de test est imaginable mais non réalisable en pratique).

K. Popper rejoint la Systémique par ses critères de démarcations basés sur la réfutabilité des théories (les modèles et les simulations qui en sont tirées pour la Systémique) et sa lutte contre le Positivisme « classique » d’A. Comte et le Positivisme Logique du Cercle de Vienne.
 
 
Remarque importante : Concernant la Systémique, il faut assimiler aux théories scientifiques les modèles et leurs simulations (lorsque on fait "tourner" le modèle) : un modèle construit par un chercheur est scientifique s'il est réfutable lors d'une simulation. Si l’une de ces simulations montre un comportement présentant un écart « trop » important par rapport au comportement de l’objet réel, ce modèle devra être abandonné ou au minimum modifié. Le « trop » est ici à définir en fonction des instruments de mesures disponibles, du projet du modèle (naturellement) et de la découpe/simplification (est-elle pertinente ?) de l’objet étudié dans le réel. Ainsi une théorie scientifique n’est pas autre chose qu’un modèle, et inversement un modèle - au sens de la Systémique (voir II-3-7) - est une théorie scientifique : «  …le modèle n’est pas tant une abstraction de la réalité qu’une réalité parallèle. Le monde du modèle n’est pas construit en partant du monde réel et par soustraction des facteurs qui le rendent complexe ; bien que le monde du modèle soit plus simple que le monde réel, il n’en est pas une simplification » (Sugden, 2000).
Dans cette approche l’astrologie reste effectivement classée comme non scientifique, par contre l’économie, la psychologie ou la sociologie rejetées par le positivisme pourraient être acceptée (?) comme scientifiques. 
 
Encore faut-il dans ces domaines « mous » ne pas tomber dans l’inversion du modèle popérien : devant l’hyper complexité du réel, il est en effet tentant de construire un modèle basé sur un seul et unique paramètre via une « découpe/simplification » violente sans se poser de question sur sa validité, et donc en oubliant la phronésis/prudence d’Aristote et J.B. Vico. Après avoir fait « tourner » ce modèle hyper simplifié de la réalité (et donc facile à programmer), on en tire de grandes conclusions sur… la réalité censée se mettre en conformité avec ce modèle. Or c’est l’inverse qui doit être fait : dans la comparaison des résultats des simulations tirées du modèle avec le monde réel, c’est le modèle qui doit alors se mettre en conformité avec le monde réel et non l’inverse ! 
Le Constructivisme épistémologique parle en effet aujourd’hui de la viabilité ou non des modèles, concept fort proche de celui de la vérification des théories du Positivisme avant K .Popper. Ce qu’il faudrait évoquer serait plutôt un concept de modèle réfutable « viable sous réserve jusqu’à preuve du contraire », en étant conscient que, de toutes façon, le modèle ne corresponds jamais à la réalité mais peut seulement la simuler plus ou moins fidèlement car « la carte n’est pas le territoire » (A. Korzybsky). L’intérêt de cette approche est de lever le problème des théories « il existe » décrit plus haut. En effet un modèle peut permettre un grand nombre de simulations –c’est d’ailleurs l’un des principaux intérêts de l’approche systémique notamment dans le but d’approfondir sa compréhension de l’objet étudié- il devient donc plus facile de « déclencher » le scénario où le cas du « il existe » se produit pour alors confirmer le modèle. En effet la plupart des modèles sont virtuels et réalisés sur ordinateurs, et non physiquement, sur maquette, ou autres moyens non virtuels, ce qui autorise un nombre de simulations très élevées en un délai très court. On opère alors en symétrique entre les deux types de modèles : le « quelque soit » qui travaille en réfutation possible du modèle dès que la simulation s’écarte « trop » de la réalité et contredit ce « quelque soit » ; et le « il existe » qui travaille en vérification possible du modèle dès que la simulation déclenche le comportement, c’est à dire trouve le cas prévu par le « il existe ».

Schéma de la boucle rétroactive Systémique dans la démarche scientifique :


SUITE du Blog : Théories alliées à la Systémique (Darwin vs Popper)

Benjamin de Mesnard