lundi 28 décembre 2009

V-7) Transcendance versus Immanence et hétéronome versus autonome


L'Immanence - et son corollaire la Transcendance - est un concept clé de la Systémique. Ce débat existe dans plusieurs domaines : juridique, religieux, épistémologique, politique :
  a)  Au plan juridique tout d’abord, l’immanence considère que le droit vient « du terrain », de l’expérience des jugements passés qui se sont accumulées au cours du temps. C’est donc un droit basé sur la jurisprudence, comme aux États-Unis par exemple où à chaque procès il s’agit de retrouver un cas analogue déjà jugé auparavant, la justice ne pouvant se contredire. La transcendance au contraire considère que le droit vient de lois votées par le pouvoir législatif, d’en haut en quelque sorte, la jurisprudence ne pouvant intervenir que si aucun texte de lois existant ne corresponds au cas jugé, ce qui est rare ; ou bien après un arrêt de la Cour de Cassation. Donc on voit bien alors la logique de ces droits transcendants : priorité à la loi transcendante, la jurisprudence immanente n’intervenant que en « roue de secours ». De la même manière que les Idées de Platon tombent dans la matière pour l’animer, les lois tombent d’une chambre des députés qui se croient autorisés, au nom de la majorité, du « Peuple », à voter des lois à tort et à travers sans la moindre étude sérieuses d’ailleurs la plupart du temps. Il leur suffit de voter selon une procédure légale, c'est-à-dire respectant... les lois qu’ils avaient votées précédemment. Il n’y a plus de garde-fou, puisque même la Constitution a été votée par le même cercle étroit et fait d’ailleurs l’objet de modifications incessantes, contrairement aux Constitutions anglo-saxonnes immanentes. Pour justifier cette transcendance, on retrouve bien entendu les discours déjà évoqués faisant appel aux diverses personnalisations : « Peuple », « Bien Commun », etc.. A l’inverse du droit anglo-saxon immanent, c’est alors la loi qui génère le droit. Et bien que les abstentionnistes constituent factuellement la véritable majorité, ces députés peuvent alors exercer la dictature de la soit-disant majorité sur les minorités et en dernier lieu la plus petite des minorités : le citoyen.

  b)  Au plan religieux ensuite, l’immanence consiste à affirmer que Dieu se trouve dans toutes choses ou être du monde, à l’intérieur du monde lui-même. La transcendance par contre soutient que Dieu est extérieur, au dessus du monde, qu’il gouverne et dirige (le « roi des rois » des religions judéo-chrétiennes ou musulmanes). Comme le souligne R.R. Ruether, l’immanence est assimilée à la féminité (Gaïa la Terre ou la Nature vue comme féminine chez les Indiens d’Amérique et d'autres peuples), et la transcendance à la masculinité (l’image d’Épinal du Dieu tout puissant en vieillard barbu assis sur son trône dans le ciel, au dessus des contingences terrestres). Ces concepts religieux -souvent implicites dans les différentes cultures- ne sont pas sans conséquences et déterminent un certain nombre de comportements. Ainsi nos sociétés développées vont avoir recours à la culture intensive et l’exploitation à outrance des ressources naturelles suivant en cela l’image d’un homme transcendant la nature et donc logiquement propriétaire de celle-ci. A l’opposé, les peuples « primitifs » chasseurs/cueilleurs seront respectueux des ressources. Ils remercient leurs proies d’avoir bien voulu se faire tuer et jouent naturellement (sans connaître la Systémique…) un rôle de chasseur-régulateur au sein du système écologique global en état d’équilibre dynamique. Ces cultures suivent alors un schéma où l’homme est immanent au monde, au même titre que les autres espèces.

  c)  Au plan épistémologique et bien sûr exclusivement pour les systèmes naturels, ou les systèmes artificiels inintentionnels (économie, sociétés,...), voir (III-2-14-c), l’immanence soutient qu’un système peut « vivre » par lui-même, trouver ses propres états d’équilibres dynamiques spontanément (équifinalité et ergodicité) par ses propres systèmes stabilisateurs -voir pilotes- internes. C'est un système dont le pilotage est donc interne : il est autonome. La transcendance soutien qu’un système naturel ne peut se stabiliser -et donc « vivre »- que par le recours à des causes finales externes (on retrouve Aristote et le débat cause finale versus équifinalité). C’est un système dont le pilotage est externe : il est hétéronome. Se pose alors la question du mode de pilotage du.... système de pilotage : soit interne et immanent, soit externe et transcendant partant ainsi sur une boucle récursive sans fin...
Enfin en épistémologie, il est très intéressant de noter que ce débat transcendance / immanence ressort dans l’étude de ce que l’on entends par le concept d’« explication » en sciences. Ainsi Francis Halbwachs propose 3 formes d’explications résumées par Pierre Sagaut dans son papier « Introduction à la pensée scientifique moderne », page 134, citation :
« • L’explication homogène (aussi appelée explication formelle), qui ne fait intervenir aucun élément extérieur au système dont on cherche à expliquer l’évolution. L’explication portera donc sur des variables internes de ce système et sur les relations, les lois, qui lient ces variables. Le plus souvent, de telles explications font appel à la notion de conservation d’une quantité (énergie, masse, …) ou de propriétés de symétrie du système considéré.
L’explication causale (encore appelée explication hétérogène), qui est basée sur l’interaction entre le système et le monde extérieur, ou précisément une sous-partie du monde extérieur représentée par un ou plusieurs objets. L’explication repose alors sur la notion d’échange entre les différents objets en interaction.
L’explication bathygène (du grec bathus, « profond »), qui consiste à se référer à un autre niveau de description. Il s’agit ici de faire référence à un autre modèle du même système physique, qui le plus souvent repose sur une description à une échelle plus petite. […] (étudions le ) choc de deux boules de billard, l’une étant initialement au repos. Qu’est-ce qui cause le mouvement de la seconde ? La réponse classique est le choc avec la première boule. Lorsque l’on considère la seconde boule, l’explication de sa mise en mouvement lui est extérieure : c’est son interaction avec le monde extérieur (en l’occurrence la première boule) qui est évoquée pour expliquer le changement de ses paramètres internes (quantité de mouvement, énergie cinétique). […] le choix d’un type d’explication pour un phénomène observé n’est pas imposé par l’explication : il résulte d’un choix du scientifique. En modifiant par exemple sa définition du système dont on suit l’évolution, il est possible de changer de type d’explication. Reprenons l’exemple du choc des boules de billard. En ne considérant que l’une des boules, nous avons affaire à une explication causale. Mais que se passe-t-il si maintenant nous considérons le système formé par les deux boules ? La description du système ne fait plus intervenir d’éléments extérieurs à celui-ci, et les propriétés des deux boules (quantité de mouvement, énergie cinétique) peuvent être à tout moment décrites au moyen de lois de conservation (ces deux quantités sont des invariants). D’une explication causale nous sommes donc passés à une explication homogène !
».

  d)  Au plan politique, le libéralisme ressort comme relevant de l'immanentisme (système autonome). La « main invisible des marchés » s'auto-régulant par eux-mêmes sans qu'il soit nécessaire à un état ou à un gouvernement d'intervenir, cette intervention étant même jugée nuisible et dangereuse. C'est le fameux « Surtout Sire laissez-nous faire » (très différent du « laissez-faire » tronqué qu'on nous répète à loisir...), réponse du Capitaine de bateaux à Nantes à l'envoyé de Colbert lui demandant ce que le gouvernement pouvait faire pour les aider… face à la plainte des capitaines contre la bureaucratie de l’État français, déjà à l’époque ! A l'inverse le socialisme ressort de la transcendance (système hétéronome). Un système économique étant vu comme ayant besoin d'être contrôlé, régulé de l'extérieur par une force politique, un état fort et nécessairement centralisé. Cet État est censé être dirigé par une élite détenant le Savoir et la Connaissance bien mieux que les citoyens considérés comme intrinsèquement assez irresponsables et inintelligents. Le socialisme prétends ainsi échapper à la boucle récursive sans fin, identifiée en épistémologie, pour savoir comment est piloté le pilote. On est alors en plein débat Platon et Rousseau contre Aristote et Machiavel, les premiers considérant qu'il suffit de bien former l'élite, les seconds que tôt ou tard des dirigeants dangereux arriveront fatalement au pouvoir, on reviendra sur cette question.  Un petit paradoxe en passant: une démocratie juge ses citoyens assez intelligent pour élire leur élite dirigeante, mais pas suffisamment pour savoir par eux-même directement ce qu'il leur faut...

Il est possible de trouver des variations dans ce débat :
-  La social-démocratie où les marchés sont jugés nécessaires et acceptables mais devant faire l'objet d'une régulation par l'état « transcendant » afin de limiter les crises et les excès. On retrouve là le principe de subsidiarité de l'Europe où il est admis un équilibre entre centralisation et décentralisation. Le point faible de cette approche tenant naturellement sur deux questions insolubles : Qui peut prétendre avoir la science infuse pour décider où, quand et en quoi les marchés ont mal fait ? C'est la dénonciation par F.Hayek du scientisme positiviste des dirigeants socialistes. Quels sont les critères clairs et objectifs définissants lesdits « excès » des marchés ? C'est la Présomption Fatale de F. Hayek. En effet le problème de cette approche est que l'histoire montre que ce sont plutôt les excès des États, l'instabilité des lois et leurs incohérences dans le temps suite aux changements de majorité qui ont été à l'origine des crises... Ainsi la crise de 1929 vient de la 1° guerre mondiale entre États, les États vainqueurs décrétant une dette énorme sur l’État Allemand, dette impossible à payer, sinon par des emprunts énormes auprès des seules banques capable de les financer, les banques américaines, ce qui a fini par déclenché la crise. La crise de 2008 vient de décisions électoralistes de l’État américain prises en 2001 et avant, obligeant les Banques à ouvrir des crédits immobilier pour les citoyens en "Red Line" et donc insolvables, etc... On y reviendra plus loin. La question devient alors : si on parle d'excès possibles des marchés devant être contrôlés par les États, qui alors contrôle les excès des États ? Problème typique de récursivité systémique du pilotage du système pilote !
-  Le socialisme marxiste où l'existence même des marchés est jugée dangereuse, ceux-ci devant être supprimés pour être remplacés par une économie entièrement pilotée depuis le haut, centralisée (centralisme dit soit-disant « démocratique ») totalement transcendant et hétéronome avec toutes ses lourdeurs tenant à la non prise en compte de la complexité du système en question. Cela rejoint les questions traitées en (II-4-1 et II-4-2) sur la mesure de la variété requise d'A. Kolmogorov et la Rationalité limitée de H.A. Simon par le système de pilotage central. Le problème supplémentaire de mode de pilotage est qu'un petit groupe va décréter pour tout le monde ce qu'ils doivent faire. Cela ne peut se faire que par la coercition, la force et pour finir la terreur d'un totalitarisme comme on l'a vu avec Staline, Mao, Pol-Pot, Maduro, etc... ou Hitler et Mussolini avec un autre type de Socialisme, le Socialisme National mal traduit en français par National-Socialisme.
Ce type de débat entre immanence et transcendance a été, et est toujours notamment aux États-Unis, particulièrement violent par l’opposition des thèses évolutionnistes implicitement immanentes (Darwin) et créationnistes implicitement transcendantes. On mélange alors religion et sciences. Ces débats rejoignent étrangement les débats de politiques économiques… bien que les protagonistes ne semblent pas s’en rendre compte comme on va le voir ci-dessous... Il est possible de trouver des degrés dans ce débat :
  • Entre les créationnistes « purs et durs » équivalents ici au centralisme des marxistes en économie, niant toute évolution et jugeant nécessaire et même vital une intervention divine de tous les instants. Tout être vivant ayant été directement créé par un dieu unique « central » et transcendant bien sûr, ces êtres - bien que donnés comme étant libres- devront ensuite être sous la surveillance et même la conduite permanente de ce dieu tout-puissant. On trouve donc ici un lien manifeste entre ces créationnistes Chrétiens et le Marxisme le rôle du pilote central étant tenu par le dieu unique dans un cas et le parti unique et l’État avec son dirigeant "Petit Père du Peuple" divinisé dans l'autre. Les deux prétendent même contrôler jusqu'aux pensées intimes des « croyants » et ont besoin pour ce faire de commissaires politiques pour les uns et de prêtres pour les autres. . On peut noter en passant que le problème de la prise en compte de la Variété requise et de la Rationalité limitée par le pilote unique central à été -si l'on peut dire- vu et « traité » par les créationnistes en déclarant dieu omniscient, bien que personne ne soit en mesure d'expliquer comment une telle omniscience peut être possible...Et par les marxistes ou autres socialistes nationaux par la déification des dirigeants affublés soudainement de pouvoirs exceptionnels : représentant de la pureté extrême de la race et Guide suprême avec Hitler ou Mussolini ; référence absolue de l’idéologie marxiste avec le « Petit Père des Peuples » avec Staline , Grand Timonier avec Mao, tous supposés être des êtres d’exception de part leur intelligence et leur vision de la fin de l’Histoire, etc...
  • Et les adeptes de l' « intelligent design », équivalent ici à la social-démocratie, qui admettent une certaine forme d'évolution locale et limitée mais toujours avec un dieu central transcendant, fixant les objectifs finaux, pilotant globalement mais non dans le détail le projet, cause finale d'Aristote mais sans avoir besoin d'être « présent » en tout et pour tout comme chez les créationnistes « purs ». On retrouve encore le principe de subsidiarité de l'Europe sous une autre forme...
En passant, on note que beaucoup d'individus parviennent à être des tenants de la transcendance en religion et de l’immanence en économie (souvent dits "de droite") ET vice-versa athées et donc immanents en religion mais marxistes transcendants en économie  (pour ceux dits "de gauche")... cela est incohérent.
Il y a un lien entre les aspects culturel de ce débat et les aspects épistémologiques de celui-ci. Ce n’est pas un hasard si les sciences se sont développées sur une base transcendantale à partir de la Renaissance dans le monde occidental. La croyance en effet en un Dieu unique posant d'en haut ses lois stables et prédéfinies a été en effet le moteur de la recherche des lois scientifiques et à l’origine du rationalisme. Ici encore on retrouve le lien entre d'un côté rationalisme, idéalisme -les Idées étant fixes et venant d'en haut, il est donc possible de les (re)découvrir-, et de l'autre transcendance.

  • Enfin, sur tous les plans, le problème de la récursivité à l’infini avec l’approche transcendante : Le point faible de l’approche transcendante, quelque soit le domaine étudié, c’est de tomber dans une boucle récursive sans fin. Aristote déjà avait parfaitement identifié ce problème. En remontant de cause externe en cause externe, on tombe inévitablement sur un enchaînement qui part à l’infini. Pour tenter d’éviter ce cercle vicieux, il a alors inventé – par décret autoritaire - la Cause Première, pseudo solution à un vrai problème, « cause incausée », cause d’elle-même qu’il a également appelé Moteur Premier. Le problème est que cela n’explique rien d’une part et, d’autre part, cet enchaînement de causes transcendante aboutit de fait à… une cause immanente ! Même problème pour les religions tentant d’expliquer sur quoi repose la terre vue comme plate : elle est posée sur le dos d’une tortue, elle-même sur une vache, elle-même sur un éléphant, et… ensuite nul ne sait ! S’il faut un Dieu unique tout-puissant pour expliquer la création du monde alors qui a créé Dieu ? Idem en politique, comme déjà souligné plus haut : si les citoyens sont immatures et doivent être dirigé par un État pour palier aux « défaillances du marché », alors qui palliera aux défaillance des États (guerres, massacres, déportations, racisme institutionnel, propagande, dettes publiques massives, etc.) ? A chaque fois, lorsque l’on analyse ce problème, on ne peut s’empêcher de penser qu’il serait plus simple d’aller directement à une explication immanente, plutôt que d’aller inventer ces longues chaînes de causes externes transcendantes pour – de toutes façons – inévitablement retomber sur une explication immanente….
Apport de la Systémique : le but de la Systémique n’est pas de rentrer absolument dans ce débat par trop idéologique, mais plutôt de l’approcher (à défaut de le trancher) par des voies pragmatiques, pondérées et prudentes, comme le demande J.B. Vico. En effet la Systémique se voulant avant tout comme un outil heuristique ne peut pas avoir comme but de trancher ce débat -cela n’apporte rien-. Mais cependant, de part ses origines et ses concepts centraux (auto-organisation, ergodicité et équifinalité et non cause finale surtout), la Systémique relève bien des concepts d’immanence, en opposition à Platon, Descartes, Marx et au positivisme en général qui sont clairement dans la transcendance (divine ou étatique en particulier). Dans ses outils méthodologiques du travail scientifique par contre elle tente plutôt d’utiliser par les deux approches simultanément comme cela a été vu plus haut. L’usage relativisé de concepts aristotéliciens (comme la cause finale, la forme,…) ou encore de concepts cartésiens (réductionnisme, idéalisme,…) doivent être compris comme étant des étapes possibles de raisonnements, des outils temporaires de pensée, surtout dans les phases initiales d’études de systèmes mal ou très mal connus comme décrit en (II-3-6-b). Cela peut permettre de commencer à « ranger » les questions et problèmes dans quelques grandes catégories, à la condition expresse -comme cela a souvent été dit- de relativiser ces catégorisations, en étant prêt à les abandonner si la comparaison du système tel qu’il est (re)construit par le chercheur ne correspond pas à la réalité. En effet il faut bien comprendre ici qu'il s'agit pour la Systémique de considérer le système de pilotage du système étudié comme étant à l'intérieur (immanent) ou à l'extérieur (transcendant) du système. G. Bateson [BATESON G., T1, 1977, pages 270 et suivantes] explicite fort bien cette question en remarquant qu'il faut repartir des boucles de rétroactions que l'on a décidé de retenir dans l'étude du système considéré. Si l'on décide que le système doit englober ces boucles de rétroactions qui permettent au système d'arriver à s'équilibrer dynamiquement, c'est que l'on est implicitement immanentiste. Si au contraire on croit nécessaire de séparer le système de pilotage du reste du système, et par conséquent de couper les boucles de rétroactions par une frontière entre système de pilotage et le reste du système pour en voir deux séparés, c'est que l'on préfère l'approche transcendante. Pour sortir de cela, il faut donc parvenir à rééquilibrer la balance entre approches immanentes versus transcendantes en prenant le dessus sur nos croyances culturelles transcendantes ou immanentes. Il faut enfin parvenir à comprendre qu'il y a en effet un système « complet » qui inclue un (ou des) sous-système(s) de pilotage ainsi que les autres sous-systèmes pilotés (au pluriel). Il faut donc savoir utiliser les deux approches -on retrouve à nouveau la multiplicité des points de vues- entre la vue d'un système « complet » et simultanément la vue du système de pilotage séparé des autres systèmes qu'il pilote. Le schéma suivant résume cette nécessaire double approche :
Note : dans ce schéma il aurait fallu ajouter que chaque sous-système est probablement muni de son propre système de pilotage... externe ou interne : on retrouve le problème classique de la récursivité complexe du monde réel !

Dit autrement, selon l’approche de Francis Halbwachs, il faut donc impérativement « tester » les différents périmètres / frontières des système(s) afin d’étudier les cas d’explications homogènes (alias immanentes ou autonome) versus causales (alias transcendantes ou hétéronome) en adoptant de multiples points de vues comme le recommandait Montaigne ou L. von Bertalanffy avec son « perspectivisme »... Il faudra également inclure l’explication bathygène faisant alors appel à d’autres moyens au sens de Gödel : échelle moléculaire, atomique ou au contraire astronomique ou méta-système d’ordre supérieur comme l’algèbre par rapport à l’arithmétique…
Mais la Systémique va un pas plus loin car comme déjà dit dans cet essai, on ne peut ignorer que le chercheur étudiant ce système fait partie en réalité de celui-ci. Bien entendu l’étude, la prise en compte par le chercheur de sa propre influence sur le système, de ses actions, de ses mesures perturbant celui-ci, n’a rien à voir avec l’introspection cartésienne... 
Le schéma ci-dessus devient alors :

 
On est très loin de Descartes. Comme on le voit, ces concept d’immanence versus transcendance sont décidément centraux pour la Systémique, et soulignent le caractère ultra-complexe de toute approche du monde réel, dans un contexte de Rationalité limitée (H.A. Simon) et à aborder avec toute la modestie et la prudence / phronésis d’un Aristote et G.B. Vico !

SUITE du Blog : V-8) Créationnisme versus Évolutionnisme

Benjamin de Mesnard

dimanche 13 décembre 2009

V-6) Relativisme versus Absolutisme


L'absolutisme soutien que nos idées ou théories peuvent atteindre l'absolu, c'est à dire la vérité. Le monde non seulement existe bien réellement, mais il est peut être connu parfaitement, absolument, il peut être entièrement atteint dans sa vérité. On aura reconnu les idées immuables platoniciennes dans ces vérités éternelles que nous n'avons plus qu'à reconnaître, voire même à nous souvenir comme le soutenait Platon.
Le relativisme soutien au contraire qu'aucune position, idée ou théorie n'est stable, ne peut être définie comme vraie d'une manière certaine, non par l'effet d'une analyse poppérienne, mais par un effet intrinsèque à la nature, au monde même. Nos théories ou idées doivent par conséquent être remises en cause en permanence, elles sont en mouvement sous l'effet de nos pratiques, idées nouvelles ou expériences. La vérité, si elle existe est inatteignable en elle-même. Deux versions du relativisme existent à partir de là :
  • L'une nie l'existence du monde externe à nous-même (car le monde matériel n'existe pas). Seul compte nous-même, ou plutôt nos idées, et plus exactement nos sensations (le bleu, le dur, le plein, le beau,...) c'est la position de Berkeley, et paradoxalement de l'idéalisme le plus pur. On voit donc que l'idéalisme peut être absolutiste au sens où nous pouvons retrouver les Idées immuables, ou bien relativiste au sens où le monde matériel n'existant pas, seules les idées existent. Mais comme l'explique Platon, nous ne voyons que les ombres projetées sur le mur de la caverne et il nous est impossible de sortir de notre caverne pour voir le monde des Idées directement, nos idées personnelles sont alors relatives à chaque individu et différentes selon ceux-ci. Bien entendu ce relativisme interdit tout développement scientifique sérieux...
  • L'autre accepte l'existence du monde externe en lui-même, mais pense qu'il n'est pas facilement atteignable, connaissable et compréhensible, c'est le « réel voilé » de B. d'Espagnat. Il est possible de le nommer relativisme modéré, « phronésien ». Mais dans cette deuxième acceptation, le monde réel existe bien objectivement, il n'est pas un rêve ou une ombre vue de la caverne de Platon, il y a donc bien une référence externe possible. C'est le concept de correspondance d'Aristote, une fois de plus en opposition avec Platon : « ce n'est pas parce que nous te réputons blanc que tu es vraiment blanc, mais au contraire parce que tu es blanc, nous pensons qu'il est vrai de te dire tel » [ARISTOTE, « Métaphysique » livre IX]. On peut noter en passant que ce concept a été repris par les matérialistes dialectiques marxistes avec une saveur récursive d'ailleurs toute constructiviste : « Si le monde est (comme le pensent les marxistes) une matière qui se meut et se développe perpétuellement, et si la conscience humaine au cours de son développement ne fait que le refléter, que vient faire ici la « statique » ? Il n'est pas du tout question de la nature immuable des choses ni d'une conscience immuable, mais de la correspondance entre la conscience reflétant la nature et la nature reflétée par la conscience. » [LENINE, « Matérialisme et empiriocriticisme » 2° édition 1920 chap. II-5].
Un argument que certains croient pouvoir apporter au Relativisme c'est l'incertitude Quantique, (ou principe d'indétermination) d'Heisenberg. Il a démontré qu'il n'est pas possible de déterminer aussi précisément que voulu à la fois la position et la quantité de mouvement d'une particule. De cette incertitude fondamentale, les défenseur du Relativisme en concluent que le tout est relatif. Ils s'appuient également sur la (mal nommée) Théorie de la Relativité d'Einstein pour aller à la même conclusion. La Théorie de la Relativité démontre que l'espace-temps se courbe sous une masse (étoile, planète,ou... vaisseau spatial hypothétique d'un observateur) et que la gravité modifie l'écoulement du temps. A des vitesses élevées, se rapprochant de la vitesse de la lumière, ces déformations deviennent importantes, et chaque observateur verra et vivra (du fait de la déformation de l'espace et du temps) des choses complètement différentes d'un autre. Mais ces deux théories ne sont pas contradictoires avec un monde existant objectivement. Car l'incertitude Quantique tout comme les déformation de l'espace et du temps existent objectivement, elles sont le monde, et le monde est ainsi. Seuls des plato-cartésiens n'arrivent pas à imaginer autre chose qu'un monde fixe, euclidien, plat, sans déformation et mesurable avec une précision infinie. Ce n'est que leur incapacité à comprendre ces phénomènes propre au monde dans lequel nous sommes qui leur faire croire que tout est relatif et que l'on ne peut plus rien en conclure. Il est au contraire parfaitement possible d'avancer, concevoir des théories, pour peut qu'elles intègrent ces deux facteurs quantique et einsteinien, et tester ces théories afin de les réfuter le cas échéant, bonne occasion alors de faire de nouvelles théories meilleurs ou d'améliorer celles existantes.
Apport de la Systémique : Naturellement la Systémique et le Constructivisme épistémologique ne sont pas absolutiste, position des positivistes, position intenable comme on l'a vu depuis K. Popper : il est impossible de prouver qu'une théorie est vraie, il ne sera possible que de la prouver éventuellement fausse lors d'une nouvelle expérience, et ainsi de la réfuter. Contrairement à ce que soutien certains constructivistes épistémologiques, E. Von Glarsfeld par exemple, ils ne sont pas relativistes non plus, bien que, il est vrai, assez proches du relativisme modéré. Certes, Systémique et Constructivisme épistémologique aiment aborder une question par de multiples points de vues, mais cela ne signifie en rien qu'ils soient relativistes. Car il s'agit ici de prendre conscience que nos sensations, nos perceptions, nos compréhensions des phénomènes sont sujettes à caution -on retrouve la phronésis d'Aristote- et qu'il est donc bon de confronter, de discuter, de dialoguer en mode dialogique , en « coopétition »  les points de vues entre différents chercheurs et non en mode dialectique ou pure compétition. Mais cela ne corresponds pas à la définition du relativisme. Car il y a toujours la croyance qu'un monde réel existe, qu'une vérité objective existe, que nous devons nous en approcher le plus possible, ce qui est différent du relativisme, sans être pour autant de l'absolutisme. En effet la systémique sera relative à certain moments, lors d'un changement de théorie voire de paradigme, mais sera absolutiste (s'il faut absolument leur coller ces étiquettes !) à d'autres lors de périodes de « stabilité » -toute temporaire- d'une modèle ou d'une théorie qui se trouve « confortée » par un certain nombre d'expérience. Mais comme l'a fort bien expliqué K. Popper, ce n'est pas parce qu'une théorie (ou un modèle) a résisté avec succès à un certain nombre de tests, d'expériences, qu'elle sera plus vraie qu'avant, dès lors qu'elle pourra peut-être se trouver réfutée et donc prouvée fausse à la prochaine expérience, au prochain test réalisé soit sur une autre prédiction de la théorie, soit avec une meilleure précision des instruments. Ainsi on peut citer J. D. Raskin dans un article « The evolution of constructivism » publié dans le « Journal of Constructivist Psychology » du 24/1/2008 où BVSR signifie : blind variation and selective retention, qui désigne ici l'épistémologie évolutionnariste (voir III-2-6 plus haut) « The centrality of relativism to knowledge evolution is evident in personal construing. For example, even if I view myself as a realist/absolutist, I fleetingly become a relativist the instant I revise any construct. Likewise, the second I commit myself to a particular construct by acting on it, I cease to be a relativist and return to being a realist/absolutist. Put more simply, whenever one changes a construct, one is a relativist, and whenever one applies a construct, one is an absolutist. Just as in Campbell’s BVSR, where variation and retention always occur one at the expense of the other, relativism and absolutism are forever at odds, forming the necessary poles of a dialectical process. ». Le seul point à reprendre naturellement dans cette citation étant le terme de dialectique qu'il serait préférable de remplacer par dialogique, le BVSR darwinien se déroulant dans un contexte non pas de seule compétition, lutte ou combat, mais aussi dans un contexte de coopération, de débats et discussions, voire de symbiose comme on l'a vu avec la théorie de l'évolution. En somme, une fois de plus, on perçoit que la Systémique est avant tout équilibre entre des moments d'apparents relativismes et d'autres de tout aussi apparents absolutismes, tout en restant conscient qu'il faut précisément se garder de ces extrêmes caricaturaux. Nous sommes bien dans le juste milieu d'Aristote.

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Benjamin de Mesnard

jeudi 19 novembre 2009

V-5) Réductionnisme versus approche holistique


Comme décrit plus haut avec Descartes, le réductionnisme est la méthode Cartésienne consistant à découper le réel en parties de plus en plus petites jusqu’à obtenir la compréhension complète de chacune d’entre elles. Implicitement, on considère donc que cela suffit et que la somme des connaissances de chacune des parties représente correctement la chose initiale étudiée.
L’opposition entre le réductionnisme et une approche holistique peut être résumée par les points suivants :
a) Critère d’évidence cartésien versus critère de pertinence prudente du choix de découpe du sujet/objet à étudier par rapport au reste du réel ;
b) Critère de réduction/division simplificatrice versus l’approche holistique, globale, multicritères, s’appuyant sur plusieurs types de modèles et angles de vues ;
c) Critère de la simplicité supposée du petit élément découpé versus prise de conscience que « l’élément » n’est rien d’autre qu’un sous-système lui-même hypercomplexe ;
d) Critère de causalité directe versus étude des fins du système (intentionnalité) par approches téléologiques des équifinalités et des ergodicité du système ;
e) Critère d’exhaustivité versus recherche pragmatique d’un optimum de compréhension minimum du système, en restant conscient des insuffisances de nos approches ;
f) Critère de certitude, d’arrogance de la science versus prise de conscience de nos incertitudes (pas seulement quantiques), de prudence et d’humilité vichienne de la science face à la complexité du réel.

Le réductionnisme peut donc être vu :
  • soit comme la première étape d’une opération correcte d’analyse, ceci, n’est valable que si cette phase est bien menée dans cet esprit, et est bien suivi des autres telles que décrites par la Systémique (voir II-3-6-b). Même la question de la non prise en compte de la sensibilité aux conditions initiales par Laplace, peut être un outil utile si cette opération est faite en spécifiant le degré d’incertitude volontairement accepté, incertitude normale des mesures (laissons de côté ici l'incertitude quantique), dans le but d’analyser un système sur un point particulier avec l’optique d’une théorie particulière à réfuter le cas échéant au sens poppérien du terme.
  • soit comme erronée et insuffisante car menée dans un esprit cartésien, ignorant les concepts systémiques.
Dans tous les cas, et comme il a déjà indiqué ici, il faut prendre garde à ne pas découper aveuglément le réel dans cette phase, cette découpe pouvant cacher des présupposés plus ou moins inconscients chez le scientifique menant cette phase. Plusieurs découpes du réel sont possibles dans pratiquement tous les cas, chaque découpe pouvant cacher des propriétés globales du sujet d’étude qui pourront être rendues visibles par d’autres découpes/approches.
On retrouve ici la question des modèles et des simulations dont les différents types, surtout lorsque le sujet d’étude est complexe et non simplement compliqué, apportent autant d’éclairages enrichissants de ce sujet.
Il est possible ici d'évoquer l'image du macroscope de J. de Rosnay, où le réductionnisme serait un zoom avant (un microscope) alors que l'approche holistique/systémique serait un zoom arrière. Descartes et le réductionnisme sont l'équivalent du zoom maximum, en grossissement maximum où l'on voit les détails de la carte, mais où l'on perd la vision globale de celle-ci. Le débat n'est donc pas de dire que cette approche, cet angle de vue, est mauvais, mais de dire qu'il est nécessaire mais pas suffisant. A deux titres :
  • risque de faire un zoom maximum sur un seul endroit de la carte en ignorant les autres
  • besoin de faire des zooms arrières pour récupérer une vision globale holistique de l'ensemble de la carte.
  • besoin de repartir en zooms maximum OU intermédiaires pour focaliser à nouveau sur un autre détail, à un autre endroit de la carte.
  • l'approche systémique c'est l'ensemble de cette démarche, ce n'est pas seulement le zoom arrière de vue globale de la carte. C'est bien l'ensemble des deux en une série de zooms avant et arrières incessants en allers-retours qui permettent précisément l'approche par multiples angles de vues, comme le recommande Leibniz (voir III-2-3) et par différents avis prudents, c'est la phronesis d'Aristote ou de la prudence de Vico.
On retrouve cette incompréhension très souvent, ainsi dans le site de la Fondation Constructiviste, on trouve un article très intéressant sur le supposé échec du constructivisme en éducation, sur le constat que l'application de l'approche par seule implication de l'élève dans l'enseignement ne suffit pas et donne un bilan décevant en terme de quantité de choses apprises par ce dernier. Ce constat relève simplement de cette incompréhension : il faut opérer par un mixage des méthodes d'enseignement en alternant sans idéologie :
  • l'apprentissage par « méthode directe » où que l'on peut qualifiée de méthode magistrale où l'élève absorbe directement les connaissances, voire apprend par cœur. Cette méthode est plus rapide à court terme mais démotivante pour l'élève et le professeur à terme.
  • l'apprentissage via l'auto-découverte par l'élève où celui-ci reconstruit les connaissances, certes plus lente à court terme, mais beaucoup plus motivante pour l'élève et son professeur. Méthode souvent à tort considérée comme exclusivement constructiviste, alors que la véritable méthode constructiviste consistera entre l'alternance des deux, tout comme les successions de zooms avant et arrière cités plus haut.
Apport de la Systémique : La Systémique accepte la réduction (mais non le réductionnisme c’est-à-dire la réduction érigée en méthode absolue comme l’a fait Descartes), comme une étape d’un processus délicat et à risques décrit en (II-3-6-b) dans la méthode systémique. Il s’agira donc de découper le réel –au sens du constructivisme- en pleine conscience que ce découpage « arbitraire » peut entraîner des artefacts dont il faudra savoir tenir compte.

 SUITE du Blog : V-6) Relativisme versus Absolutisme

 Benjamin de Mesnard

samedi 31 octobre 2009

V-4) Essentialisme versus Substantialisme


L’ontologisme (ou substantialisme) soutient que chaque être est un être intrinsèquement, et qu’il possède donc en lui-même (en son âme dirait Aristote) ses propriétés. C’est un en quelques sortes le principe des vertus (les vertus dormitives de l’opium par exemple) tant moquées par Molière qui n’explique en effet rien en définitive sauf qu’il est supposé vain de chercher les causes de l’action constatée de tel ou tel corps ou substance. La version moderne de l’ontologisme soutient plus simplement que le monde s’articule autour du principe très général d’être, de système, qui doit par conséquent être étudié avant tout en tant que tel dans toutes recherches. Cet ontologisme a déjà été remis en cause dès l’antiquité avec Démocrite et l’atomisme -à noter l’opposition entre atomisme et ontologisme - pour qui les atomes s’accrochaient entre eux au hasard de leurs rencontres. Au XX° siècle, la philosophie a essayé de trouver d’autres bases en tentant d’opérer une reconstruction complète après Kant qui a été en quelque sorte le sommet de la philosophie ontologique. Cette destruction/ tentative de reconstruction moderne s’est perdue dans les méandres d’un sol qui se dérobait toujours plus comme l'avait prédit Kant et confirmé K. Popper. 
Au cœur du débat sur l’ontologie, se trouve celui entre Essentialisme et Substantialisme. L’Essentialisme est défendu par les « platoniciens » (Descartes et autres), donc les idéalistes, tandis que le Substantialisme est défendu par les « aristotéliciens » (Spinoza entre autres). L’essence vient des idées “ tombées ” en notre bas monde, tandis que la substance est le mélange intime -ontologique- entre forme et matière. On voit bien alors la proximité entre les approches idéalistes et essentialisme, où l’Être est considéré comme un référentiel absolu stable comme les Idées de Platon. On retrouve cette opposition radicale tout au long de l’histoire de la philosophie sous diverses formes et divers débats quelques fois sous couverts de débats “ nouveaux ” ou débats “ modernes ” alors qu’il s’agit au fond toujours de celui-ci. Ainsi par exemple le débat en politique ou économie entre libéraux et socialiste. Les premiers croient implicitement que le système économique est substantiel, c'est à dire qu'il comporte intrinsèquement, en lui-même tout ce qui lui faut pour s'auto-piloter et s'auto-réguler (autonome). Les second croient au contraire que le système économique n'est pas auto-suffisant, qu'il a besoin d'un pilotage venu d'en-haut, d'une régulation externe, et donc essentielle (hétéronome). De même que les idées de Platon tombent dans un corps depuis le monde immuable des Idées essentielles, cette fonction de pilotage doit tomber depuis le haut (par exemple l'état marxiste centralisé ou tout autre état autoritaire/interventionniste) sur le système économique. On retrouve ainsi les liens idéologiques sous-jacents bien que quelque fois paradoxaux entre le socialisme et l'idéalisme alors que celui-ci se réclame du matérialisme... une fois de plus les extrêmes se rejoignent dans leurs oppositions. 

Apport de la Systémique : la Systémique se rapproche du substantialisme, mais à la manière d'Aristote. Car la Systémique ne perd jamais de vue que ce qui peut être interprété comme substance à un certain niveau du réel -ou pour un certain sous-système découpé dans le réel-, pourra être complètement redéfini ou remis en question via une autre découpe. C’est pourquoi la Systémique recommande fortement d’avoir recours à plusieurs approches/découpes simultanées dans l’étude du réel afin de vérifier et conforter ou au contraire infirmer (avec une prudence vichienne...) une conclusion quant aux propriétés « substantielles » de l’objet étudié. Le caractère substantiel est donc bien mis ici entre parenthèses car non seulement il n’est pas Essentiel avec un grand « E », mais est bien relatif à la découpe/approche adoptée pour l’étudier. Ainsi, -comme déjà évoqué- l’action d’un médicament sur un type de maladie, pourra être considéré dans l’approche d’un praticien au quotidien comme substantielle, alors qu’elle sera vue comme circonstancielle par le chercheur spécialiste du domaine qui sait que cette action dépend d’un jeu complexe d’interactions et inter-relations qui fait que celle-ci pourra ne pas fonctionner dans certains cas, voire déclencher des effets pervers dans d’autres. Ou encore en matière d'économie, un système de pilotage peut être vu comme externe au système piloté. Mais il peut être également considéré que le pilote (régulation) et le système piloté sont deux sous-systèmes au sein du même système. On retrouve ici sous une autre approche la nécessaire séparation des pouvoirs chère à Montesquieu. Tout cela, ne signifie pas pour autant que la Systémique soit une philosophie relativiste, car si les approches/découpes opérées dans le réel par le chercheur sont relatives à son point de vue ou à ses choix de recherches, le réel lui existe bel et bien.

SUITE du Blog : V-5) Réductionnisme versus approche holistique

Benjamin de Mesnard

dimanche 11 octobre 2009

V-3) Rationalisme versus Empirisme


Le Rationalisme attaque des différents problèmes auxquels sont confrontés les scientifiques “ par le haut ” tandis que les Empiristes le font “ par le bas ”. Karl Popper est le dernier philosophe à avoir pris une position tranchée sur ce débat par le concept du néo-positivisme logique. Le Rationaliste pense donc avoir besoin en premier lieu d’une théorie, qu’il essaiera de tester par des expériences qui devront corroborer ou infirmer celle-ci. Sur la base des infirmations de sa théorie, il devra modifier ou abandonner celle-ci.  Il est donc dirigé par la Raison. L’Empiriste, lui, prétend ne pas avoir de théorie, être sans préjugés, et mener des expériences au hasard, et construire des suites de raisonnements à posteriori en tenant compte des résultats observés. K. Popper se demandait alors très justement pourquoi faire alors telle ou telle expérience plutôt qu’une autre, sinon à avoir une idée derrière la tête et donc une théorie au moins implicite. L’apport important de l’Empirisme a été de souligner l’importance des expériences dans la démarche scientifique, en opposition à un rationalisme pur consistant à raisonner en chambre et conclure des résultats, inventer des théories sans jamais les tester sur le monde « réel » (comme le fait le matérialisme dialectique du Marxisme). La Renaissance à cet égard s’est opposé au Moyen-âge, où, par déformation et caricature des philosophes grecs, dits scolastiques, certaines universités donnaient le prima aux discussions sans fin, aux débats, en s’éloignant de plus en plus de la réalité, y compris quelque fois de la réalité la plus commune et quotidienne. On voit bien cependant que Rationalisme et Empirisme ne sont en fait que les deux faces d’une même position qui ne veut voir à chaque fois qu’un seul aspect des choses. Elles se rejoignent sur le fait qu’elles sont toutes deux une manifestation de l’approche parcellaire/disjointe/découpée de la réalité, où l’on tente à tout prix de simplifier les choses, typique d’une approche plato-cartésienne.
K. Popper a fait remarquablement progresser ce débat par ses positions, qui conduisent finalement à le rapprocher d’un “Darwinisme des théories scientifiques”, faisant l’objet d’une sélection artificielle car faite par l’homme. Seules les théories les plus adaptées à l’environnement des expériences, et donc au monde « réel » survivent, leur survivance n’étant en rien une preuve de leur véracité absolue et encore moins définitive. Cette survie dépend en effet des capacités de cet environnement à monter des expériences permises par les outils et matériels disponibles et par les capacités et la précision des instruments de mesures. On ne peut évoquer cette opposition sans citer les positions de T Kuhn, quelque fois catalogué à tort d’anti-rationaliste, sous prétexte que les paradigmes qui se succèdent à travers les révolutions scientifiques changent le monde. J.R. Searle traite fort bien le sujet dans son article « Rationality and Realism, What is at Stake ? » publié dans Deadalus en 1993 : « Thomas Kuhn et Richard Rorty sont deux des auteurs les plus fréquemment cités par ceux qui rejettent la tradition rationaliste occidentale. Je vais maintenant faire une brève digression sur eux. Kuhn est censé avoir montré dans La Structure des révolutions scientifiques que les prétentions de la science à décrire une réalité existant de manière indépendante sont fausses ; en fait, les scientifiques sont plus gouvernés par une psychologie de masse que par la rationalité, et ils tendent à se regrouper d’un "paradigme" à un autre au cours de révolutions scientifiques périodiques. Il n’existe pas de monde réel que la science doit décrire ; chaque nouveau paradigme crée plutôt son propre monde, de telle sorte que, ainsi que le dit Kuhn « les scientifiques travaillent après une révolution dans un monde différent ».
Je pense que cette interprétation est une sorte de caricature de la pensée de Kuhn. Mais quand bien même l’interprétation serait correcte, l’argument ne montrerait pas qu’il n’y a pas de monde réel indépendant de nos représentations ; il ne prouverait pas non plus que la science n’est pas une série de tentatives -selon des degrés de réussite divers- pour fournir une description de cette réalité. Même si l’on accepte l’interprétation la plus naïve des vues de T. Kuhn à propos des révolutions scientifiques, cela n’entraîne pas de telles conséquences ontologiques spectaculaires. Bien au contraire, même la conception la plus pessimiste de l’histoire des sciences est parfaitement consistante avec l’idée qu’il existe un monde réel existant de manière indépendante et que l’objectif de la science est de le décrire. » (fin de citation). Searle relance ainsi la position d’un « réel donné indépendant » bien qu’évolutif, et notamment sous l’influence des courants de pensées et autres paradigmes. Mais cela ne change rien au fait qu’il y a bien des réserves à émettre, comme décrit en (II-3-6-b) à propos des processus de modélisation et de découpe dans le réel de l’objet à étudier, sur :
a) le fait que le chercheur appartient au monde qu’il étudie,
b) qu’il a en tête des aprioris culturels, psychologiques, etc. dont il peut ne même pas avoir conscience,
c) qu’il va le plus souvent se retrouver en interaction avec son sujet/objet d’étude, sans même avoir besoin d’évoquer les échelles quantiques,
d) qu’il a dû opérer –plus ou moins consciemment- une découpe arbitraire dans le réel du sujet/objet qu’il a décidé d’étudier,
e) que ce sujet/objet se retrouve dans un environnement (le reste du réel après la découpe) qui comme souligné par J.R. Searle évolue, y compris sous l’effet des paradigmes scientifiques (ou culturel, religieux,…), est mal connu, et qui inclus… le chercheur lui-même,
f) et qu'il est soumis à une Rationalité limitée, voir H.A. Simon (II-5-5-e).
Toutes ces réserves sont ignorée ou minorées à la fois par le Rationalisme et l’Empirisme, par leur approche commune simplificatrice propre à l’école plato-cartésienne.

Par ailleurs il est intéressant de noter que G. Bachelard souligne une autre opposition, celle existante cette fois-ci entre rationalisme et réalisme. Ainsi il alerte sur le danger du réalisme qui est trop proche des vues intuitives et de l’évidence (à laquelle Descartes attache tant d’importance). Le réalisme, c’est l’état premier d’une science archaïque, primitive et balbutiante. Il est en cela en fait un obstacle épistémologique que doit surmonter les scientifiques : « Même dans une pratique engagée entièrement derrière une théorie, il se manifeste des retours vers des conduites réalistes. Ces conduites réalistes se réinstallent parce que le théoricien rationaliste a besoin d’être compris de simples expérimentateurs, parce qu’il veut parler plus vite […], parce que, dans le commun de la vie, il est effectivement réaliste. De sorte que les valeurs rationnelles sont tardives, éphémères, rares […]. Dans le règne de l’esprit aussi, la mauvaise monnaie chasse la bonne, le réalisme chasse le rationalisme. » [BACHELARD G., La Philosophie du non, Paris, PUF, 1940, p. 27]. 

Apport de la Systémique : la Systémique, après avoir opéré les choix et les découpages conscients et réfléchis décrits pour le débat réalisme contre nominalisme, va élaborer des modèles (alias théories), selon les différents types de modèles décrits plus hauts. Ces types de modèles permettent de sortir du débat dans la mesure où ces types étant répertoriés par la Systémique, il s’agit d’attaquer le système à étudier sous plusieurs angles, via plusieurs tentatives de modélisations, sans jamais perdre de vue que « la carte n’est pas le territoire » (Korzybsky). Les théories scientifiques ne sont jamais que des modèles de systèmes découpés sur un niveau choisi de la réalité. Ils emportent donc avec eux des « à priori » et des présupposés (voir plus haut). Enfin, les expériences devant réfuter une théorie -et non la vérifier comme l’explique Karl Popper- ne sont pas toujours ni simples, ni aisées, ni fiables, ni répétables (la flèche du temps), ni même possibles. Le recours prudent comme le recommande la Systémique à des approches transversales, essayant de tenir comptes des niveaux englobés et englobant, et de l’environnement du système découpé à l’étude sera le bien venu. La Systémique opérera par approches multiples, selon différents points de vues, différentes découpes. Elle essaiera de d’identifier les systèmes connexes au sujet/objet (système) découpé puis prendre en compte les interactions, les liens entre ceux-ci et avec le sujet/objet étudié. Enfin, elle tiendra compte de la flèche du temps. On utilise alors les apports intéressants des deux approches Réalistes et Empiristes en se dégageant des débats idéologiques des deux camps.

SUITE du Blog : V-4) Essentialisme versus Substantialisme

Benjamin de Mesnard

dimanche 20 septembre 2009

V-2) Nominalisme versus Réalisme (ou Idéalisme)


Guillaume d’Occam au XIV° siècle avec  le nominalisme défendait la thèse qu’aucune Idée séparée n’existait en propre, les idées ne se trouvant que dans les mots employés par les êtres humains et n’ayant pas plus de pérennité que ceux qui les emploient. Seuls les mots ont donc de l’importance, leur sens variant d’un individu à l’autre. La neige par exemple peut-être désignée par un seul mot -ou quelques mots- par les langues européennes alors qu’elle sera désignée par une multitude de mots précis avec des sens différents par les Inuits. A ce titre le nominalisme peut être vu comme un anti-platonisme. C’est la célèbre querelle des Universaux au Moyen-âge. Ainsi Porphyre (-305 à -234), philosophe grec de l'école d'Alexandrie et disciple de Plotin résuma cette future querelle : « Tout d'abord, en ce qui concerne les genres et les espèces, la question de savoir si ce sont des réalités subsistantes en elles-mêmes, ou seulement de simples conceptions de l'esprit, et, en admettant que ce soient des réalités substantielles, s'ils sont corporels ou incorporels et si enfin ils sont séparés ou s'ils ne subsistent que dans les choses sensibles et d'après elles, j'éviterai d'en parler : c'est là un problème très profond et qui exige une recherche toute différente et plus étendue. »
En langage moderne, on dira que le nominalisme rejette l’idée de « classes d’objets » ou de « genres » (au sens d’entités mathématiques ou logiques)
A contrario le Réalisme (qui va de pair avec l'idéalisme) soutien que les concepts ou idées ont une existence propre, indépendante de l’observateur, que les mots ne servent qu’à les désigner, comme d’autres mots désignent des objets matériels. Ces mots peuvent varier d’une langue à l’autre, mais ce n’est pas pour autant que les objets en questions soient différents, la neige, dans ses états possibles, reste de la neige. Descartes a poussé jusqu’à son ultime retranchement la position réaliste par sa “ tabula rasa ” où il soutien qu’il est possible d’oublier tout ce qui est matériel et tous mots -tout ce que l’on a appris - pour arriver au concept pur et unique, référence absolue, le “ moi ” ou le “ je ”. On est à l’opposé du nominalisme, puisque celui-ci rejetant toute idée indépendante, rejettera avec plus de force encore celle de “ moi ”. En parallèle, comme le dit J. Searle en 1998 : « Le réalisme […] n’est ni une théorie de la vérité, ni une théorie de la connaissance, et ce n’est pas une théorie du langage […] On pourrait dire que le réalisme est une théorie ontologique : il dit qu’il existe une réalité totalement indépendante de nos représentations » [SEARLE John R., 1998, p 200]. Ceci a été un élément central des sciences moderne, car en effet comment faire des sciences sans ce postulat qui, permettant l’étude d’un objet indépendant de l’observateur, permet d’objectiver celui-ci ?
Une remarque : le Rasoir d’Occam, est un outil sémantique inventé par Guillaume d’Occam, qui sépare tel un rasoir les noms et les mots en autant de concepts différents, jusqu’à arriver à la racine même du mot. Le rasoir d’Occam choisi à chaque fois entre deux concepts celui le plus « simple », mettant ainsi à nu la « preuve » de l’inexistence des idées séparées, simple jeu de construction verbal (voir II-4-1). Ce rasoir a eu beaucoup de succès car on le retrouve à l’époque moderne sous forme de principe d’économie de pensée de Mach (autre agnostique) tendant à créer des mots raccourcis ou des acronymes désignant immédiatement les nouvelles idées, et permettant d’accélérer les raisonnements. Il est intéressant de noter que l’attrait pour les concepts « simples » s’est trouvée consolidé en 1948 par la théorie de l'information de Shannon et précisé par la théorie de la mesure de la complexité d’un système de R.W. Ashby et A. Kolmogorov (voir II-4-1-e) montrant qu’un système simple (dont la variété est plus faible) est plus probable… ce qui ne signifie pas qu’il soit obligatoirement le bon, le plus pertinent à étudier ou celui reflétant le mieux le domaine à étudier comme le croient les cartésiens ! Enfin il a ouvert la porte à la sémantique moderne. La complexité grandissante d'une théorie scientifique est quelque fois pris comme signe d'une théorie en voie de perdition, ainsi le système planétaire de Ptolémée, mettant la terre au centre, a fait l'objet d'une tentative de sauvetage par Thyco Brahé, ce qui l'a amené à le complexifier d'une manière toujours plus importante pour répondre aux mouvements observés des astres. Cet exemple est souvent donné comme facteur de motivation pour Copernic qui a fini par proposer de mettre le soleil au centre en simplifiant ainsi radicalement le modèle de notre système planétaire.
Le Réalisme de son côté a fait considérablement progresser les sciences du XVII° au XIX° siècles en leur en apportant méthodologie et rigueur et en mettant en place ce que l’on a appelé la « Méthode de Descartes », bien que très critiquée dans cet essai. Simultanément, le Réalisme pose deux problèmes : il est clairement un frein à l’apparition du nouveau paradigme qu’est la Systémique - tout comme la théorie de Newton a freiné la diffusion des théories d’Einstein -, et il pose aussi le problème de la « réalité du Réel ». Kant et Karl Popper ont parfaitement imagés ce problème (voir plus haut) en évoquant la science comme étant construite sur des pilotis qui s’enfoncent non pas jusqu’à trouver un niveau stable, mais jusqu’à –croyons-nous – nous permettre de construire un certain édifice, d'une taille limitée. Celui-ci, dès qu’il se révélera trop ambitieux, s’écroulera sur ses sables mouvants sous-jacents. Il nous faut reconnaître en effet que les concepts de « classes d’objets » ou de « genre » lorsque trop pris pour tels et par trop considérés comme solides, absolus et peu remis en questions, comme le font le Réalisme et l'Idéalisme, s’avèrent dangereux. C’est bien le but des travaux d’A. Korzybsky que de souligner qu’il nous faut en permanence remettre à leur place ces concepts, on retrouve ici la démarche de prudence aristotélo-vichienne. Enfin, ces concepts, de « classes d’objets » ou de « genres » ne doivent en aucun cas, comme l'explique Mario Bunge [BUNGE, Mario, 2008] être confondus avec des objets réels, car ils ne sont que des concepts, c'est son argument principal contre le matérialisme dialectique et l'idéalisme également d'ailleurs. On ne peut donc pas les manipuler comme des objets réels, notamment la négation (dialectique) d'un concept est possible (même si souvent peu pertinente...) alors que la négation d'un objet réel (pomme, table, atome,...) ne correspond à rien. Enfin ces « classes d’objet » en matière de politique avec les « Classes » en luttes dialectiques entre elles chez Marx, le « Peuple », le « Parti », la « Patrie » etc... ne sont rien d’autre que des personnalisations de choses qui n’existent pas dont le but est d’exciter les sentiments des gens pour mieux les manipuler et leur faire oublier que derrière cela se trouve un petit nombre d’individus avides de pouvoir. Même chose sur la création d’absolus qui n’existent pas tels que Le Bien et Le Mal dénoncés par Spinoza, voir (III-2-2). Simone Weil analyse parfaitement cette technique sur Marx : « Plus Marx analyse profondément le cours de l’histoire et les lois économiques, plus il modifie son point de vue, jusqu’à ce que, d’une manière imprévue, la « collectivité » devienne une hypostase, la condition des actions individuelles, une « essence » qui « apparaît » dans l’action et la pensée des hommes et se « réalise » dans l’activité. Elle constitue, à côté du domaine « privé » de l’individualisme bourgeois, un domaine à part, celui du « général », et, en qualité de substance indépendante, est le fondement du premier ; par exemple, la valeur d’un produit est déterminé par elle, avant de se « réaliser » dans le prix concret, empirique du marché. ». [WEIL, Simone, Œuvres en 1934, Ed. Quarto Gallimard, p 353]. Non seulement il y a ici invention d’une « essence » qui n’existe pas, mais on découvre tout à coup chez une grande référence du matérialisme un processus typiquement platonicien-idéaliste où une idée -la collectivité ou encore la valeur d’un produit - « tombe » -se réalise – dans les ouvriers ou encore le prix concret, exactement à la manière des Idées platoniciennes « tombent » dans la matière et s’y réalisent ! On est alors loin du Constructivisme épistémologique puisque qu'il s'agit de découvrir des objets préexistants (les nombres premiers par exemple) et non de les construire dans nos têtes. On est également assez loin de la Rationalité limitée car le rationalisme se pense capable de prendre en compte, de voir ou découvrir implicitement la totalité du réel,sans véritable notion de limites de l'horizon d'information ou de la cognition. On s'éloigne bien entendu de la phronésis/prudence et modestie vichienne ou aristotélicienne.

On retrouve fort bien dans cette image la problématique des niveaux du réel. Niveaux plus ou moins définis par le chercheur, un niveau étant arbitrairement choisi comme niveau d’étude et de référence, souvent d’ailleurs via une prise de conscience insuffisante de ce choix. A nouveau dans ces différents niveaux, tel par exemple les 3 mondes de K. Popper, il faut bien garder à l'esprit que le 3° monde de K. Popper (voir II-5-5), celui les productions de l’esprit humain vraies ou fausses, n'est plus un niveau constitué d'objets réels contrairement aux deux premiers. Il n'est donc en rien comparable à ceux-ci, ne peut obéir aux mêmes lois, car il n'est que conceptuel. C'est bien la thèse défendue par A. Korzybsky, incitant à la prudence vichienne, malheureusement oubliée par les tenants de l'idéalisme, ou du matérialisme dialectique.

Apport de la Systémique : la Systémique bouscule et réunis à la fois les deux positions du nominalisme et du réalisme. Comme entre l’Idéalisme et le Matérialisme, la Systémique va consciemment, délibérément et tentant d’en mesurer les risques, choisir un niveau du réel pour y découper un certain sous-système, objet de son étude. Ce découpage peut être vu -pour paraphraser Saint Thomas d’Aquin- comme un scandale ontologique, car contre nature. Par définition en effet, ce (sous-)système découpé ne sera pas indépendant du reste, et ne peut pas être envisagé comme pouvant vivre/évoluer seul. Par ailleurs le choix du niveau de réalité se fait lui aussi délibérément. Plus le niveau de réalité choisi s’éloigne du niveau immédiat macroscopique humain (le mètre, la lumière visible,…) plus ce niveau sera difficile à aborder. La Systémique tient compte de l’existence des autres niveaux, englobés et englobants, même s’ils sont plus ou moins connus. Les autres systèmes seront vus comme l’environnement du système découpé. Cette opération de découpage est bien sûr une phase très importante car elle nécessite de définir les frontières (artificielles) ainsi « créées », et les entrées et sorties à ces frontières. Certains comportements, lois, etc. du système (sous-système découpé) pourront être alors définis soit comme venant directement du niveau inférieur, soit comme phénomène émergeant propre au niveau étudié. Par exemple, en physique le niveau macroscopique voit disparaître les lois quantiques pour voir émerger les lois de classiques relativistes à l’échelle du niveau quotidien. A plus grande échelle (ou vitesses supérieures dites « relativistes »…) on voit émerger les lois de la relativité d’Einstein. Ceci explique que certains concepts aristotéliciens d’Acte et de Puissance peuvent être –délibérément mais une fois encore, consciemment et prudemment - réutilisés par la Systémique. En effet une loi ou un phénomène émergeant au niveau étudié, pourra être volontairement « simplifié » par le chercheur en utilisant ces outils conceptuels venant d’Aristote. La « vertu allergisante » du pollen fonctionne et suffit à un certain niveau de traitement pour le médecin généraliste qui n’a pas besoin de plus pour traiter son malade ; ayant appris en école de médecine par ailleurs la « vertu antiallergique » de tel ou tel médicament pour combattre cette allergie. Il appartiendra par contre aux chercheurs des laboratoires pharmaceutiques de disséquer les mécanismes (typiquement systémiques et complexes d’ailleurs !) des allergies pour aller plus au fond des problèmes afin de trouver de nouveaux médicaments.
L’apport de la Systémique est donc d’utiliser un certain nombre d’outils conceptuels en tout état de cause, et en connaissant les limites, et sans rentrer à nouveau dans les débats connus. Il ne s’agit plus ni d’être Nominaliste, ni Réaliste ou Idéaliste, mais d’utiliser les outils conceptuels des deux à bon escient, au bon moment avec pragmatisme, et prudence vichienne… tout en étant conscient que nous sommes nous-mêmes pétris d'à priori, d’idéologies, et de cultures… et qu’il est donc impossible de faire « tabula rasa ».


SUITE du Blog : V-3) Rationalisme versus Empirisme

Benjamin de Mesnard

lundi 7 septembre 2009

V) Les anciennes lignes de fractures philosophiques doivent être reconsidérées (V-1 Matérialisme versus Idéalisme)


Il ne s’agit pas ici de refaire un cours élémentaire d’épistémologie, nous nous contenterons d’un bref rappel des oppositions classiques qu’aiment à faire les philosophes.
La philosophie a souvent été articulée selon certaines « lignes de fractures » et oppositions telles qu’avec les idéalistes contre les matérialistes, ontologie ou essentialisme contre nominalisme, marxistes contre capitalistes, platoniciens contre aristotéliciens, empiristes contre réalistes ou idéalistes…
Au sein de tous ces débats, un fait frappe : chacun défend ses positions en ignorant quelque fois des découvertes récentes bien que reposant sur des bases pourtant anciennes, et notamment celles de secteurs des connaissances définis comme non philosophiques comme la systémique.
Les lignes de fractures classiques sont, sauf omissions :


V-1) Matérialisme versus Idéalisme

Les idéalistes, dont l’origine réellement conceptualisée se trouve chez Platon, considèrent qu’il existe un monde des idées séparées, plus important, premier et déterminant, que le monde « sublunaire » qualifié aussi de « bas-monde », en bref la terre. Ce monde des idées séparées contient des formes dites « à priori » qui vont imprégner la matière en tombant de leur monde dans le nôtre, et lui donner sa forme, la matière apportant l’individuation aux idées. Le monde des idées est statique, intemporel, la matière, elle, est sans forme, mais le mariage entre les deux donnant lieux aux individus qui sont sensible au temps. A la fin d’un individu, quel qu’il soit, vivant ou non, être humain ou non, la forme rejoint sa matrice-forme générique dans le monde éternel des idées. Cela explique pourquoi on retrouve tant de formes identiques dans des individus si différents, comme la forme « patte » ou la forme « œil », et pourquoi elles sont si parfaites. La forme la plus accomplie de l'idéalisme a été développée par Berkeley (évêque de son état) qui soutien que ce qui est premier ce sont nos sensations et que le monde n'est qu'un assemblage de sensations. D'absolutiste avec Platon, l'idéalisme devient alors relativiste car notre compréhension du monde devient une affaire personnelle, variant du tout au tout d'un individu à un autre, le mode réel étant un rêve qui n'existe pas vraiment. Seul l'individu existe, et est même en droit de considérer qu'il est seul à avoir une existence réelle, les autres être humains n'étant eux aussi que des sensations pour lui. Berkeley et ses successeurs, ont cru que cette thèse était nécessaire à la croyance en Dieu et à la religion, c'est pourquoi elle a été doublement -et violemment- combattue par Engels puis Lénine, au titre du matérialisme et au titre de l'athéisme.
On a opposé aux idéalistes (le terme lui-même devenant péjoratif) les matérialistes, tenant pour principe que tout était matière et restait matière, les êtres vivants comme les minéraux n’étant que des matières « arrangées » différemment, voire des matières uniques intrinsèquement différentes. L’un des premiers matérialistes a été Démocrite et sa théorie des atomes crochus qui s’accrochaient entre eux afin de constituer les différents corps connus. Leibniz a réinventé la théorie de Démocrite par ses monades atomiques qui s’assemblent entre monades présentant des affinités entre elles, au hasard de leurs rencontres pour former les corps que nous connaissons. Le matérialisme a connu un grand succès au XIX° et XX° siècles avec Marx, mais celui-ci a d'une part largement fait évoluer le concept de matérialisme, et d'autre part a lui-même été complété par ses successeurs avec le Matérialisme Dialectique d'Engels puis de Lénine et Staline, voir l'analyse de la dialectique plus loin. Pour le Matérialisme marxiste « traditionnel », tout vient de la matière et reste matière, les deux concepts d'émergence et de finalité, ou même de téléonomie étant résolument refusés. Ces deux rejets sont même au cœur de l'opposition (supposée) avec l'idéalisme. Il révèle simultanément de l'incompréhension des deux côtés (matérialistes et idéalistes) de ces deux concepts clés. En effet chez les idéalistes il n'y a pas d'émergence, pas plus que chez les matérialistes. La forme n'émerge pas de la matière chez eux puisqu'elle vient au contraire d'une idée transcendante, « d'en haut » qui vient s'imposer de force à la matière. La finalité de même n'est pas plus idéaliste que matérialiste, car les idéalistes en bon platoniciens n'envisagent pas d'évolution du système ou de l'être puisque la forme s'incarne en quelque sorte d'un seul coup dans la matière, cette forme étant éternelle et immuable. Les matérialistes eux croient nécessaire de rejeter toute forme de finalisme, même la téléonomie, de crainte de voir la résurgence de de la croyance en une divinité créatrice agissant comme un ingénieur ou un architecte pensant, planifiant sa création avant de la réaliser. Cependant on cite souvent Marx lui-même avec « Ce qui distingue dès l’abord le plus mauvais architecte de l’abeille la plus experte, c’est qu’il a construit la cellule dans sa tête avant de la construire dans la ruche » (dans Le Capital Tome I), qui résume pourtant l'acceptation (paradoxale certes) d'une approche par téléonomie de l'abeille. Même si elle est décrétée par Marx comme inférieur à l'architecte, elle agit cependant bien en fonction d'un but, d'un objectif, d'une finalité en construisant un édifice complexe et parfaitement optimisé en fonction de ses besoins. Enfin le Matérialisme se définissant comme scientifique comme le fait M. Bunge par exemple [BUNGE, Mario, 2008], tente une synthèse moderne acceptant certains concepts systémiques tel que l'émergence, mais rejetant toute finalité ou même téléonomie comme à la fois non scientifique et non matérialiste, à l'encontre de ce que soutient le Constructivisme au plan scientifique. Par contre, tout comme la Systémique, M. Bunge rejette à juste titre la dialectique et le matérialisme dialectique comme relevant d'une pensée archaïque pré-scientifique.
Enfin il faut souligner que le matérialisme, tout comme la Systémique et le Constructivisme, accepte les mouvements de la matière, son évolution dans le temps, que ce soit en amélioration ou en dégradation. Pour F. Engels c'est même l'un des points principaux de l'opposition avec l'idéalisme, ainsi F. Engels écrit : « Lorsque nous soumettons à l'examen de la pensée la nature ou l'histoire de l'humanité, ou notre propre activité mentale, ce qui s'offre à nous tout d'abord, c'est le tableau d'un enchevêtrement infini de relations, d'actions et réactions, où rien ne demeure ce qu'il était, où il était, comme il était, où tout se meut, se transforme, devient et passe. » [ENGELS, F., Anti-Dühring, p. 52]. Le problème ici, c’est que Engels ne va pas plus loin, car remarquer en passant dans l'Anti-Dühring qu’il y a mouvements de matière, actions et réactions ne suffit pas...

Apport de la Systémique : la Systémique, avec Aristote, opère la synthèse entre ces deux approches. Un système – ou un être-, n’est ni pure Idée, ni pure Matière. C’est un « mélange intime », non pas au sens d’une mixture instable mais d’une solution stable de l’un dans l’autre. L’analyse d’un système peut révéler une organisation ou une structure analogue à l’Idée, en fait Aristote parle alors de Forme, ce qui est très différent, il peut de même révéler une ou plusieurs matières le composant. Ces différentes « matières » ne sont en fait rien d'autres que des sous-systèmes composants le système principal, eux-même organisés et structurés, sans qu'il soit jamais possible de trouver de la matière brute non-formée. De même il ne sera jamais possible de trouver une ou des Formes sans matière. Mais la séparation, et qui plus est l’opposition permanente entre les deux, n’a pas de sens. Au contraire l’étude d’un système révèlera une organisation interne avec probablement plusieurs sous-systèmes en inter-relations, un sous-système de pilotage, des flux internes, etc.…

SUITE du Blog : V-2) Nominalisme versus Réalisme (ou Idéalisme)

 Benjamin de Mesnard

samedi 13 juin 2009

IV) Théories opposées à la Systémique (IV-7 Comparatif)

IV-7) Comparaison entre Aristote, Leibniz, Structuralisme, Matérialisme Dialectique, Systémique plus Platon, Descartes et Hayek :
Revue des divers concepts étudiés plus haut :
Concepts de Base
Aristote
Leibniz
Structuralisme
Matérialisme Dialectique
Systémique
Totalité-Globalité
Oui
Oui
Oui
Non
Oui
Interactions Interrelations
Non
Non
Oui
Oui
Oui
Interactions non linéaires
Non
Non
Non
Non
Oui
Organisation vs Structure
Non (1)
Non
Oui
Non
Non
Oui
Non
Oui
Oui
Oui
Environnement
Oui (2)
Oui
Oui
Oui
Oui
Complexité
Oui
Oui
Oui
Non
Oui
Récursivité
Non
Non
Non
Oui ?
Oui
Formalisation/ modèles
Non
Oui
Oui (3)
Non
Oui
Caractéristiques
Stationnarité
Aristote
Leibniz
Structuralisme
Matérialisme Dialectique
Systémique
État d'équilibre Homéostasie
Non
Non
Oui
Non
Oui
Domaine de Stabilité
Non
Oui
(4)
Oui (Mais non mathématique)
Non
Oui
Ergodicité
Non
Non (8)
Oui
Non
Oui
Régulation
Non
Oui
(8)
Oui
Oui ?
Oui
Équifinalité
Oui et Non (5)
Non
Oui
Non
Oui
Organisation
Aristote
Leibniz
Structuralisme
Matérialisme Dialectique
Systémique
Structure
Oui (6)
Oui (7)
Oui
Oui
Oui
Niveaux-Strates
Oui (9)
Non ?
Oui
Oui
Oui
    Niveaux Ordonnés
Oui
Non ?
Oui
Oui
Oui
    Niveaux Hiérarchiques
Oui
Non
Oui
Oui
Oui
Variété
Oui (10)
Non
Oui
Non
Oui
Propriétés
Aristote
Leibniz
Structuralisme
Matérialisme Dialectique
Systémique
Émergence
Oui
Oui
Oui
Oui
Oui
Intentionnalité/
Finalité
Oui
Oui
Oui
Oui
Oui
Auto-Organisation (11)
Oui
Non
Oui
Oui
Oui
Référentiel
Aristote
Leibniz
Structuralisme
Matérialisme Dialectique
Systémique
Absolu (12)
Non
Oui
Non
Oui
Non
Relatif
Oui
Non
Oui
Non
Oui
Remarques :
  • pour Platon et Descartes, ce tableau a “ non ” partout.
  • pour F. Hayek, ce tableau a "oui" partout, sauf pour Référentiel absolu. 
Notes : (1) Organisation versus structure : Aristote n’a bien sûr jamais parlé d’organisation ou de structure, a fortiori en grec ancien. Par contre la forme aristotélicienne rappelle en de nombreux points la structure des structuralistes et de la Systémique. Elle n’est pas faite de matière puisque qu’elle s’applique à celle-ci, tout comme la structure. Elle est stable, comme elle, et forme avec la matière un composé indissociable dont le résultat est l’être même. Ici c’est la Systémique qui s’en rapproche le plus, plutôt que le structuralisme. Comme il est indiqué dans le chapitre sur la Systémique, le concept de système ne correspond pas à la structure qui en est plutôt l’un des composants. C’est bien le cas de la forme d’Aristote (en tant que concept de base) qui n’est pas une simple structure mais correspond bien plutôt aux concepts de structure + organisation et du réseau d’inter-relations qu’on y trouve.
(2) Environnement : Aristote avait bel et bien intégré le concept d’environnement car il avait bien vu qu’un être n’est pas isolé mais évolue dans un monde, lui-même peuplé d’autres êtres, ayant leurs propres forme/matière/substance. Il avait d’ailleurs développé la hiérarchisation des êtres, de même que la systémique a introduit la hiérarchisation des niveaux de systèmes.
(3)Formalisation/modèles : Le structuralisme utilise intensivement la formalisation et les modèles, cependant il n’utilise pas de modèles mathématiques alors que la Systémique n’hésite pas à y avoir recours massivement.
(4) Domaine de stabilité : Leibniz a mis l’accent par ses monades sur leur aspect fermé, (les “ volets clos ”) ce qui était pour lui le moyen d’éliminer la question de la réponse à l’environnement potentiellement déstabilisateur. Les monades sont ainsi naturellement stables puisque jamais perturbées. Mais ce que n’avait pas vu Leibniz, c’est qu’un système fermé est soumis à la deuxième loi de la thermodynamique et voit son entropie augmenter continûment vers un état tellement stable qu'il doit être qualifié de mort du système, loin de l’équilibre dynamique ponctué de la Systémique..
(5) Équifinalité : C’est l’un des plus grands débats et l’un des plus grandes différences entre Aristote et le structuralisme ou la Systémique. Aristote utilisait couramment l’idée de finalité des être, dans un sens qui a peut-être été mal interprété par ses successeurs, y compris ses plus fervents partisans. En effet ceux-ci étaient imprégnés de l’idée de Dieu (Saint-Thomas d’Aquin) et ont pris ce concept de la manière qui leur convenait le plus directement, c’est-à-dire la finalité au sens direct et brut du terme. Il n’est pas évident qu’Aristote ne l’ait pas utilisé plus subtilement, comme beaucoup d’autres concepts, que le temps, la différence de langue et de culture, nous rendent difficile à appréhender. Pour Hayek, on retrouve la Catallaxie, voir la note (8).
(6) Caractéristique organisation/structure : Aristote a utilisé la forme en concept de base de sa philosophie. Par contre l’utilisation qu’il en fait montre bien, comme dit dans la note (1) que, pour lui, un être présente des caractéristiques d’organisation et structure.
(7) Caractéristique organisation/structure : Leibniz a clairement décrit et a même insisté contre Descartes sur l’aspect organisé et structuré des agrégats de Monades. Pour lui, ces agrégats ne sont pas de simples tas –voir l’image du tas de sable plus haut-, car les Monades ne s’agrègent pas du simple fait du hasard, mais selon certaines affinités. Cependant Leibniz ne va pas plus loin dans sa cette description…
(8) Ergodicité et Régulation : Les monades de Leibniz ne sont pas en effet structurées (car atomique au sens de Démocrite), elles sont figées, ne peuvent évoluer, répondre aux changements de leur environnement tout en revenant à leur configuration, leur état initial. En effet, Leibniz n’a pas vu le concept de boucle rétroactive, de régulation, et donc d’ergodicité. C’est pourquoi leurs volets doivent être clos, incapable de supporter le moindre changement comme un château fort assiégé dont les occupants sont condamnés à mourir. Pour Hayek, c'est le concept de Catallaxie où le marché va spontanément arriver sur un certain état d'équilibre dynamique (voir "Équifinalité" également) via la poursuite des fins et objectifs individuels de chaque acteur du marché, au sein des échanges de biens et de services entre ces acteurs conformément à des règles juridiques communes concernant la propriété, les dommages et les contrats (état de droit).
(9) Niveaux - Strates : ce point a particulièrement été analysé par Aristote, qui a décrit des « niveaux » d’êtres possibles jusqu’au « moteur premier » ou « principe premier ». Ce point particulier a été longuement développé par Thomas d’Aquin comme preuve d’existence d’un Dieu unique. Par contre, il semble que Leibniz n’ait pas vu ces niveaux ou strates, envisageant seulement les Monades comme unités élémentaires (atomes) et elles seules.
(10) Variété : si Aristote n’a pas traité de la variété en tant que telle, il a par contre parfaitement analysé le fait qu’un être puisse prendre différents états “ sans cesser d’être lui-même ” dans une plage d’états possibles qui sont propres à son être même. C’est somme toues une assez bonne définition de la variété sans faire appel aux mathématiques. Pour Hayek, bien qu'il n'est jamais employé ce terme, la Variété requise est un concept central. Grâce à la parfaite compréhension de celui-ci, il insiste pour mettre en garde sur toute tentative d'intervenir de la part d'un état central sur l'économie, sa capacité de traitement des informations requise étant très inférieure à la Variété de l'économie. Par delà, il insiste donc tout naturellement sur la prudence et la modestie qui doit en découler de la part des élus, concepts hautement systémiques !
(11) Auto-organisation : Il n’est pas certain qu’Aristote ait réellement perçu les capacités d’auto-organisation des êtres. Il a plutôt semblé raisonner par un apport externe de cette capacité par un principe divin –sans tomber dans l’erreur de l’âme qui descend du monde des Idées de Platon- qui se déclinait ensuite selon la hiérarchie des êtres. Ce principe formant et informant la matière n’était pas autre chose que la Forme. L’éco-auto-ré-organisation d'E.Morin est par contre clairement dans le champ de la Systémique et du Constructivisme épistémologique. Pour Hayek, l'auto-organisation est un concept clé, les individus étant les mieux à même de savoir ce qu'ils souhaitent faire, mieux qu'un état central. On retrouve la « main invisible des marchés » de J. Smith, tant décriée et déformée, qui consiste simplement à constater que les acteurs d'un marché s'auto-organisent sans attendre qu'un pouvoir central le leur disent.
(12) Référentiel Absolu/Relatif : Aristote insistait en permanence sur l’équilibre délicat à respecter entre matière et forme, de manière à ne jamais tomber dans la priorité à la matière (matérialisme) ou la priorité à la Forme (platonisme/idéalisme), qui ne sont que les deux facettes de la même erreur, de la même philosophie, objet de cet essai. Dans sa sentence « chaque ordre inférieur est pour l’ordre supérieur une matière à laquelle celle-ci donne une forme » dans Métaphysiques, et comme on l’a vu pour la question des niveaux, Aristote avait parfaitement intégré les aspects muli-niveaux imbriqués, ainsi que les causes accidentelles versus substantielle, exigeant de basculer dans un référentiel relatif de pensée opposé à Platon et ses Idées Immuables, les Formes d’Aristote ne l’étant pas d’ailleurs. Pour Hayek, de même face à la complexité d'une économie, on perds tout référentiel unique et absolu, cher aux planistes scientistes, chaque acteur agissant en fonction des signaux qu'il reçoit (les prix par exemple) mais apprenant et anticipant également. Ce qui rends imprévisible toute prévision.

SUITE du Blog : Les anciennes lignes de fractures doivent être reconsidérées (1)


Benjamin de Mesnard