dimanche 13 décembre 2009

V-6) Relativisme versus Absolutisme


L'absolutisme soutien que nos idées ou théories peuvent atteindre l'absolu, c'est à dire la vérité. Le monde non seulement existe bien réellement, mais il est peut être connu parfaitement, absolument, il peut être entièrement atteint dans sa vérité. On aura reconnu les idées immuables platoniciennes dans ces vérités éternelles que nous n'avons plus qu'à reconnaître, voire même à nous souvenir comme le soutenait Platon.
Le relativisme soutien au contraire qu'aucune position, idée ou théorie n'est stable, ne peut être définie comme vraie d'une manière certaine, non par l'effet d'une analyse poppérienne, mais par un effet intrinsèque à la nature, au monde même. Nos théories ou idées doivent par conséquent être remises en cause en permanence, elles sont en mouvement sous l'effet de nos pratiques, idées nouvelles ou expériences. La vérité, si elle existe est inatteignable en elle-même. Deux versions du relativisme existent à partir de là :
  • L'une nie l'existence du monde externe à nous-même (car le monde matériel n'existe pas). Seul compte nous-même, ou plutôt nos idées, et plus exactement nos sensations (le bleu, le dur, le plein, le beau,...) c'est la position de Berkeley, et paradoxalement de l'idéalisme le plus pur. On voit donc que l'idéalisme peut être absolutiste au sens où nous pouvons retrouver les Idées immuables, ou bien relativiste au sens où le monde matériel n'existant pas, seules les idées existent. Mais comme l'explique Platon, nous ne voyons que les ombres projetées sur le mur de la caverne et il nous est impossible de sortir de notre caverne pour voir le monde des Idées directement, nos idées personnelles sont alors relatives à chaque individu et différentes selon ceux-ci. Bien entendu ce relativisme interdit tout développement scientifique sérieux...
  • L'autre accepte l'existence du monde externe en lui-même, mais pense qu'il n'est pas facilement atteignable, connaissable et compréhensible, c'est le « réel voilé » de B. d'Espagnat. Il est possible de le nommer relativisme modéré, « phronésien ». Mais dans cette deuxième acceptation, le monde réel existe bien objectivement, il n'est pas un rêve ou une ombre vue de la caverne de Platon, il y a donc bien une référence externe possible. C'est le concept de correspondance d'Aristote, une fois de plus en opposition avec Platon : « ce n'est pas parce que nous te réputons blanc que tu es vraiment blanc, mais au contraire parce que tu es blanc, nous pensons qu'il est vrai de te dire tel » [ARISTOTE, « Métaphysique » livre IX]. On peut noter en passant que ce concept a été repris par les matérialistes dialectiques marxistes avec une saveur récursive d'ailleurs toute constructiviste : « Si le monde est (comme le pensent les marxistes) une matière qui se meut et se développe perpétuellement, et si la conscience humaine au cours de son développement ne fait que le refléter, que vient faire ici la « statique » ? Il n'est pas du tout question de la nature immuable des choses ni d'une conscience immuable, mais de la correspondance entre la conscience reflétant la nature et la nature reflétée par la conscience. » [LENINE, « Matérialisme et empiriocriticisme » 2° édition 1920 chap. II-5].
Un argument que certains croient pouvoir apporter au Relativisme c'est l'incertitude Quantique, (ou principe d'indétermination) d'Heisenberg. Il a démontré qu'il n'est pas possible de déterminer aussi précisément que voulu à la fois la position et la quantité de mouvement d'une particule. De cette incertitude fondamentale, les défenseur du Relativisme en concluent que le tout est relatif. Ils s'appuient également sur la (mal nommée) Théorie de la Relativité d'Einstein pour aller à la même conclusion. La Théorie de la Relativité démontre que l'espace-temps se courbe sous une masse (étoile, planète,ou... vaisseau spatial hypothétique d'un observateur) et que la gravité modifie l'écoulement du temps. A des vitesses élevées, se rapprochant de la vitesse de la lumière, ces déformations deviennent importantes, et chaque observateur verra et vivra (du fait de la déformation de l'espace et du temps) des choses complètement différentes d'un autre. Mais ces deux théories ne sont pas contradictoires avec un monde existant objectivement. Car l'incertitude Quantique tout comme les déformation de l'espace et du temps existent objectivement, elles sont le monde, et le monde est ainsi. Seuls des plato-cartésiens n'arrivent pas à imaginer autre chose qu'un monde fixe, euclidien, plat, sans déformation et mesurable avec une précision infinie. Ce n'est que leur incapacité à comprendre ces phénomènes propre au monde dans lequel nous sommes qui leur faire croire que tout est relatif et que l'on ne peut plus rien en conclure. Il est au contraire parfaitement possible d'avancer, concevoir des théories, pour peut qu'elles intègrent ces deux facteurs quantique et einsteinien, et tester ces théories afin de les réfuter le cas échéant, bonne occasion alors de faire de nouvelles théories meilleurs ou d'améliorer celles existantes.
Apport de la Systémique : Naturellement la Systémique et le Constructivisme épistémologique ne sont pas absolutiste, position des positivistes, position intenable comme on l'a vu depuis K. Popper : il est impossible de prouver qu'une théorie est vraie, il ne sera possible que de la prouver éventuellement fausse lors d'une nouvelle expérience, et ainsi de la réfuter. Contrairement à ce que soutien certains constructivistes épistémologiques, E. Von Glarsfeld par exemple, ils ne sont pas relativistes non plus, bien que, il est vrai, assez proches du relativisme modéré. Certes, Systémique et Constructivisme épistémologique aiment aborder une question par de multiples points de vues, mais cela ne signifie en rien qu'ils soient relativistes. Car il s'agit ici de prendre conscience que nos sensations, nos perceptions, nos compréhensions des phénomènes sont sujettes à caution -on retrouve la phronésis d'Aristote- et qu'il est donc bon de confronter, de discuter, de dialoguer en mode dialogique , en « coopétition »  les points de vues entre différents chercheurs et non en mode dialectique ou pure compétition. Mais cela ne corresponds pas à la définition du relativisme. Car il y a toujours la croyance qu'un monde réel existe, qu'une vérité objective existe, que nous devons nous en approcher le plus possible, ce qui est différent du relativisme, sans être pour autant de l'absolutisme. En effet la systémique sera relative à certain moments, lors d'un changement de théorie voire de paradigme, mais sera absolutiste (s'il faut absolument leur coller ces étiquettes !) à d'autres lors de périodes de « stabilité » -toute temporaire- d'une modèle ou d'une théorie qui se trouve « confortée » par un certain nombre d'expérience. Mais comme l'a fort bien expliqué K. Popper, ce n'est pas parce qu'une théorie (ou un modèle) a résisté avec succès à un certain nombre de tests, d'expériences, qu'elle sera plus vraie qu'avant, dès lors qu'elle pourra peut-être se trouver réfutée et donc prouvée fausse à la prochaine expérience, au prochain test réalisé soit sur une autre prédiction de la théorie, soit avec une meilleure précision des instruments. Ainsi on peut citer J. D. Raskin dans un article « The evolution of constructivism » publié dans le « Journal of Constructivist Psychology » du 24/1/2008 où BVSR signifie : blind variation and selective retention, qui désigne ici l'épistémologie évolutionnariste (voir III-2-6 plus haut) « The centrality of relativism to knowledge evolution is evident in personal construing. For example, even if I view myself as a realist/absolutist, I fleetingly become a relativist the instant I revise any construct. Likewise, the second I commit myself to a particular construct by acting on it, I cease to be a relativist and return to being a realist/absolutist. Put more simply, whenever one changes a construct, one is a relativist, and whenever one applies a construct, one is an absolutist. Just as in Campbell’s BVSR, where variation and retention always occur one at the expense of the other, relativism and absolutism are forever at odds, forming the necessary poles of a dialectical process. ». Le seul point à reprendre naturellement dans cette citation étant le terme de dialectique qu'il serait préférable de remplacer par dialogique, le BVSR darwinien se déroulant dans un contexte non pas de seule compétition, lutte ou combat, mais aussi dans un contexte de coopération, de débats et discussions, voire de symbiose comme on l'a vu avec la théorie de l'évolution. En somme, une fois de plus, on perçoit que la Systémique est avant tout équilibre entre des moments d'apparents relativismes et d'autres de tout aussi apparents absolutismes, tout en restant conscient qu'il faut précisément se garder de ces extrêmes caricaturaux. Nous sommes bien dans le juste milieu d'Aristote.

SUITE du Blog : V-7) Transcendance versus Immanence

Benjamin de Mesnard

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