dimanche 29 mars 2009

III) Théories alliées à la Systémique (Constructivisme épistémologique)

III-2-13) Le Constructivisme épistémologique

Note : à ne pas confondre avec le Constructivisme Social qui a la « présomption fatale » de reconstruire la société à partir des idées décrétées Vraies de certains individus au pouvoir s'estimant plus intelligents que les autres…
Le Constructivisme épistémologique n’est pas à proprement parlé apparenté à la Systémique, il est plus approprié de dire qu’il en descend, qu’il l’utilise pour en tirer les leçons adéquates en terme d’épistémologie. Systémique et Constructivisme épistémologique sont en fait intimement liés tout comme matière et forme chez Aristote... Le terme est apparu dès 1928 chez L. von Bertalanffy – ce qui montre le lien étroit avec la Systémique - : « La loi [naturelle] n’appartient pas au domaine empirique, mais est une relation logique entre des constructions conceptuelles […] Seule la pensée constructive édifie les lois. ». [Bertalanffy L. von, « Kritische Theorie der Formbildung, Abhandlungen zur theoretischen Biologie, hrsg. v. Julius Schaxel, », Berlin, Gebrüder Borntraeger, 1928, pp. 91 et 94.]. Le concept a été développé au cours des années 90-2000 par J.L. Le Moigne. Il a été en quelque sorte co-développé avec E. Morin à travers ses ouvrages « La Méthode » en plusieurs tomes et autres œuvres et plus spécifiquement l’association MCX-APC (Modélisations Complexes – Association pour la Pensée Complexe). Le Constructivisme épistémologique soutien –comme le dit Bachelard- qu'en matière de philosophie de la connaissance, que « rien n’est donné, tout est construit ». Une théorie scientifique est relative à son époque, son paradigme (T. Kuhn), elle provient d’une construction de l’esprit qui tente d’expliquer une partie du réel. Ici encore il faut citer L. von Bertalanffy : « La perception est universellement humaine, déterminée par l’équipement psycho-physique de l’homme. La conceptualisation est liée à la culture parce qu’elle dépend des systèmes symboliques que nous appliquons, lesquels sont largement déterminés par des facteurs linguistiques, la structure du langage appliqué» [BERTALANFFY, L. von, An essay on the relativity of categories, Philosophy of Science, 1955, p 253]. Cette citation permet de noter au passage la réelle proximité intime du Constructivisme épistémologique avec la Systémique. Avec le Constructivisme on retrouve à nouveau cette idée de la Systémique de découpe arbitraire et à risques du réel, car venant d’un choix, d’un point de vue, du chercheur. Le Constructivisme est en opposition complète avec Descartes bien sûr et avec l’ensemble du Positivisme. Il s’attaque à l’ensemble de la complexité du réel et l’accepte, en refusant le découpage analytique cher à Descartes. Il utilise délibérément un ou des modèles dans le but de « comprendre » la chose étudiée et dans une démarche faisant appel à l'analogie, tout en étant conscient de l’interaction qui existe entre le chercheur et l’objet d’étude. En accord avec K. Popper, pour le Constructivisme épistémologique, il n’y a pas de Vérité absolue (avec « V » majuscule), mais des approches de vérités relatives, momentanées et en évolution. Ainsi, K. Popper écrit : « C’est toujours nous qui formulons les questions à poser à la nature ; c’est nous qui sans relâche essayons de poser ces questions de manière à obtenir un « oui » ou un « non » ferme. Car la nature ne donne de réponse que si on l’en presse. » [POPPER Karl, 1978, p 286]. Mais cette démarche ne relève pas du Relativisme, car ici la nature, le réel,  est bel et  bien reconnu comme existant réellement, la seule chose relative venant de nos capacités de compréhension limitées. A ce titre l’expérimentation scientifique, si chère à A. Comte qui la considère comme un référentiel absolu, est vue ici comme un outil parmi d’autres –tout comme par exemple les modèles- à prendre avec précaution, dont les résultats ne sont pas toujours (très rarement par exemple en sciences sociales) reproductibles. Ses résultats sont sujets à interprétations par le chercheur qui va donc devoir décider s’ils réfutent ou non sa théorie. Celui-ci rentre donc encore plus profondément alors en interaction avec la chose étudiée… La recherche devient projet (projective) : « tout est méthode, et le chemin se construit en marchant » (A. Machado).
Le Constructivisme épistémologique s’exprime sous trois facettes : le relationnel (ou « génétique ») de J. Piaget, le projectif (ou téléologique) de J.-L. Le Moigne et le radical (ou phénoménologique) de E. von Glazersfeld :
  • Le relationnel a donné lieu à de nombreux développements dans le monde de l’éducation. Il montre que l’enfant développe par constructions progressives ses capacités cognitives et qu’il redécouvre certains concepts (présence/absence, nombre, existence d’un objet même lorsqu’il est caché) « universels » par reconstruction spontanée. Le langage apparaît au même âge en s’appuyant sur ces mécanismes.Il est aussi nommé « épistémologie génétique » car il montre que l’enfant, dans sa construction progressive des concepts, ne part pas de rien, mais démarre d’une base qui semble être propre à l’être humain (et peut-être à d’autres espèces du moins en partie : primates, dauphins,…) : une base génétique, appelée les schèmes. Ce Constructivisme épistémologique rejoint par conséquent en apparence Kant et ses connaissances « à priori » mais ce n’est pas en réalité le cas car comme le dit L. von Bertalanffy (en parallèle de J. Piaget) : « chaque organisme découpe pour ainsi dire dans la masse des choses qui l’entourent et conformément aux dits organes un petit nombre de caractéristiques [Merkmale] auxquelles il réagit, qui forment dans leur ensemble son « milieu » [Umwelt] ; rien du reste ne lui étant accessible. Chaque animal est comme entouré d’une bulle de savon par son milieu, lequel porte en lui tout ce qui fait sa vie et est constitué des caractères qui lui sont accessibles […] La relation entre le milieu et l’organisation [psychobiologique] concerne aussi les « formes de l’intuition » que Kant tenait pour des principes immuables, « a priori » : l’espace et le temps. Le biologiste trouve qu’il n’y a pas d’espace ni de temps en soi, mais des espaces et temps qui dépendent de l’organisation. » [BERTALANFFY, L. von, Das Gefüge des Lebens, Leipzig, Teubner,1937, p 154-155]. Dans ce passage L. von Bertalanffy utilise d’ailleurs le mot « découpe (...) dans la masse des choses », mot clé qui revient très souvent dans cet essai...
  • Le projectif soutien que tout sujet est projet, qu’il a un but, un objectif. Il faut par conséquent l’étudier non en fonction de sa seule organisation (synchronique) mais aussi de son projet, de sa fonction en fonction de ses buts téléologiques (diachronique). Il s’agit en somme pour reprendre la Systémique de trouver ses équifinalités. Cette approche rejoint clairement Spinoza lorsqu’il explique à Blyenbergh en (III-2-2) ce que j’appelle ici la Forme spatio-temporelle, et ben sûr rejoint Aristote.
  • Le radical s’intéresse particulièrement à la construction de l’esprit (du chercheur), c’est le « rien n’est donné, tout est construit » de Bachelard. Sans être anti-Kantien par nature, il minimise le fait qu’il puisse exister quoi que ce soit « à priori » au départ, se rapprochant curieusement de la « tabula rasa » de Descartes… en voulant rejeter l’ontologisme. Cette position est quelque peu opposée aux deux autres, qui bien au contraire, soutiennent que si tout est construit, tout se construit à partir de quelque chose, et plus précisément de systèmes préexistants, structures originelles, structure cervicales innées issues de la sélection naturelle, culture, croyance conscientes ou inconscientes du chercheur, capacités intellectuelles différentes,…. Le radical rejette ainsi l'idée du « réel voilé » de B. d'Espagnat, non pas qu'il nie véritablement que le réel existe, mais plutôt qu'il part du principe que tout se passe « comme si » le réel n'existait pas. Tout -d'où le nom de radical- est alors construit dans l'esprit du chercheur, le réel tel qu'il le conçoit, son esprit et aussi l'action de son esprit sur le réel et réciproquement. Par conséquent ce Constructivisme est clairement relativiste et se rapproche -involontairement- d’une forme d’idéalisme. Cependant ce Constructivisme épistémologique ne peut en aucune manière se faire cataloguer comme plato-cartésien pour autant car il est clairement parent des deux précédents et est souvent cités par eux. L’apport de cette position est, par prudence toute vichienne, de s’abstenir de prendre un à priori ontologique sur le réel et de ne considérer l’existence de systèmes que dans les modèles créés par le chercheur sans en conclure que le modèle reflète si fidèlement la réalité : c’est « la carte n’est pas le territoire » de A. Korzybsky. En somme le Constructivisme radical est une théorie du savoir et non de l’être.
L’ensemble des Constructivismes se retrouvent dans le fait que le but est non pas d’étudier le réel donné indépendant de l’observateur comme le veut le positivisme, c’est le dualisme cartésien, mais de construire des modèles dont on tirera -prudemment- des simulations au cours d’un projet, d’une conception, d’un ingénium pro actif. Les résultats de ces simulations devront bien sûr alors être testées sur le réel par des expériences afin de vérifier la conformité de ces résultats (prédictions) avec le monde réel selon la méthode de conjectures et réfutations de K. Popper.

Comme on le voit ce « constructivisme » n'a rien à voir avec le  constructivisme social dénoncé par F. Hayek. Celui de Hayek désigne la volonté -présomption fatale !-, de recréer /reconstruire la société en décrétant qu'une ou quelques idées doivent impérativement s'imposer à tous. Par exemple : une race supérieure aux autres, ou bien que tout les citoyens doivent être absolument égaux, ou encore qu'une "Classe" doit vaincre au bout de l'Histoire (avec un "H"). C'est la route de la servitude, souvent en apparence pavée de soit-disant bon sentiments...

SUITE du Blog : Théories alliées à la Systémique (F. Hayek)

Benjamin de Mesnard

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