samedi 13 septembre 2008

II) Présentation détaillée de la Systémique (3/8)

II-3-4) Complexité :

Le concept cartésien de “simple” à déjà été explicité, et doit être opposé au concept systémique de complexité (voir II-1). Un objet complexe sera constitué d’un nombre quelconque d’éléments éventuellement eux-mêmes complexes (récursivité), divers et en étroite interdépendance par le jeu d’un riche ensemble d’interactions ou boucles de rétroactions non linéaires, on retrouve la définition même d’un système. H.A. Simon dans un article paru dans le bulletin de « The Philosophy of Science Association » en 1976 résume ainsi en sept points le concept de complexité :
« 1. Les systèmes qui ont beaucoup de composants peuvent être considérés comme complexes en comparaison des systèmes qui en ont peu. Ainsi la cardinalité d'un ensemble peut être prise comme une mesure de sa complexité.
2. Les systèmes dans lesquels il y a beaucoup d’interdépendances entre les composants sont généralement considérés comme plus complexes que les systèmes avec moins d'interdépendance entre les composants.
3. Les systèmes dont le comportement est considéré comme « indécidables » peuvent être considérés comme complexes comparés à ceux dont le comportement est tenu pour déterminable ;
4. La complexité des systèmes peut être mesurée par leur contenu d'information, au sens de Shannon-Wiener. Par ce critère, les systèmes ayant beaucoup de composants identiques sont moins complexes que les systèmes de taille comparable dont les composants sont tous différents.
On peut parler de façon générale non seulement de la complexité des systèmes mais aussi plus spécifiquement de la complexité des théories ou des domaines de problème ou des problématiques.
5. En relation étroite avec la notion de complexité informationnelle, on trouve l'idée de mesure de la complexité des théories par le nombre de leurs paramètres, ou par le nombre de symboles nécessaires pour les caractériser.
6. Il y a aujourd'hui un intérêt très marqué parmi les mathématiciens et les informaticiens pour la complexité : évaluée par le nombre maximum ou le nombre attendu de pas de calculs élémentaires nécessaires pour résoudre les problèmes d’une classe donnée.
7. Les mesures de la difficulté d'un problème peuvent être regardées, au moins dans certaines circonstances comme une classe particulière des mesures de la complexité computationnelle
La complexité peut résider dans la structure d'un système, mais elle peut aussi se trouver dans l'œil d'un observateur de ce système. Même quand un système est par nature simple - c'est-à-dire descriptible, en principe, en termes simples - un observateur peut ne pas réussir à découvrir cette description simple, et peut n'être capable de caractériser le système que d'une façon très compliquée. De plus, la simplicité ou la complexité d'une description dépendra des éléments qui seront choisis comme primitives. La description d'un programme d'ordinateur dans un langage de haut niveau comme ALGOL sera généralement plus courte que la description de ce même programme en langage machine.
La relativité de la complexité par rapport à l'ensemble de ces primitives est particulièrement évidente dans les cas de complexité informationnelle et computationnelle, mais elle s'applique aussi à la cardinalité qui dépend de ce qui est pris comme unité élémentaire».

Fin de la citation.
Pour finir, la complexité est relative :
a) au couple observateur - chose (système) observé. Ainsi une automobile apparaîtra comme plus simple –en apparence !- à appréhender pour un utilisateur commun que pour ingénieur en mécanique d’un constructeur automobile. Cette relativité dépendant de l’observateur explique pourquoi J.L. Le Moigne insiste sur le point que la modélisation se fait d’après le point de vue du modélisateur et non d’après le réel.
b) au niveau « de zoom » employé. La voiture sera plus simple à appréhender si elle considérée globalement comme «engin permettant de se déplacer d’un point A à un point B ». Par contre, si on rentre dans ses différents sous-systèmes où «on ouvre le capot » : bloc moteur, système de freinage, ergonomie du conducteur, etc… et leurs interactions (zoom) la complexité interne de l’automobile apparaît. Ce dernier aspect pose le problème de l’approche cartésienne où il n’est pas démontré que la découpe de l’objet étudié en plusieurs éléments (en fait sous-systèmes) simplifie les choses. Au contraire, on observe comme indiqué ici le phénomène inverse car c’est alors que l’on rencontre toute la complexité des inter-relations entre les différents sous-systèmes, d’une part, et d’autre part que l’on prend des risques sur le choix de ces découpages arbitraires. Cette prise de risque est consciente chez la Systémique, mais sous estimée, voire ignorée chez Descartes.

II-3-5) Récursivité :

Contrairement au cartésianisme qui n’utilise que la notion d’itération (répétition simple d’une opération un nombre limité de fois), la Systémique utilise aussi la récursivité. Pour les non informaticiens, une bonne image de la récursivité peut être donnée par les poupées russes. Une poupée contient une autre poupée contenant à son tour une autre poupée qui contient...etc., ou encore les tables gigognes ou les fractals. De même un système peut être composé de sous-systèmes en inter-relations, eux-mêmes composés de sous-systèmes pouvant “ s’emboîter ” ainsi un certain nombre de fois.
Cette notion est importante car elle est la composante même de la complexité d’un système. L’esprit humain ayant souvent des difficultés à accepter cette succession de niveaux d’emboîtements - niveaux du réel - dont l’arrêt, la fin, n’est pas évident à celui qui étudie les premiers niveaux à sa portée.
L’invention de « l’essence » aristotélicienne répond peut-être au besoin de stopper à un niveau donné cette spirale des niveaux descendants -ou ascendants- du réel, spirale donnant quelque fois l’impression que “l’explication” se dérobe sans cesse au chercheur. L’image la plus connue de cette fuite de l’explication finale est donnée par Molière par la fameuse vertu dormitive. Dans cette pièce du Malade Imaginaire, notre héros demande à son médecin pourquoi son médicament fait dormir. Le médecin lui répond alors sur le ton de la docte évidence que « cela vient de sa vertu dormitive bien sûr ». Mais l ‘explication de l’existence de cellules humaines, puis de récepteurs à la surface de ces cellules, puis d’une molécule particulière se trouvant dans le somnifère et venant se coller au récepteur est-elle tellement « plus explicative » ? On retrouve ici directement la problématique des niveaux du réel. Le médecin de Molière s’arrête au premier niveau en considérant que cela est à l’évidence largement suffisant pour son travail et les besoins de ses malades, ce qui n’est en fait pas si stupide si cela lui suffit à guérir. Les biochimistes modernes auront eux besoin, et considérerons ce besoin comme évident, d’aller beaucoup plus loin et plus bas dans les niveaux de réalité afin de mieux comprendre avec une plus grande finesse les détails des mécanismes impliqués.
K. Popper a exprimé ce que représentait le soi-disant déterminisme de la science. Il disait à ce propos : « La science ne repose pas sur une base rocheuse. La structure audacieuse de ses théories s'édifie en quelque sorte sur un marécage. Elle est comme une construction bâtie sur pilotis. Les pieux sont enfoncés dans le marécage, mais pas jusqu'à la rencontre de quelque base naturelle ou « données » et, lorsque nous cessons d'essayer de les enfoncer davantage, ce n'est pas parce que nous avons atteint un terrain ferme. Nous nous arrêtons, tout simplement, parce que nous sommes convaincus qu'ils sont assez solides pour supporter l'édifice, … du moins provisoirement » [POPPER, Karl, 1984, p 111].
Son idée cachait le plus grand défi de la science : l'illusion du savoir.

II-3-6) Le facteur Temps :

Le facteur « temps » est ignoré par le cartésianisme et le positivisme. C’est au contraire un concept central de la Systémique. Rien ne se fait sans prendre un certain temps. Ainsi le fait qu’une action sur un système puisse avoir un effet contraire à celui escompté par un cartésien tiens souvent à l’ignorance du temps de réaction du système. A l’image d’un paquebot qui met plus d’une vingtaine de minutes à réagir sur un coup de barre du gouvernail, il peut alors être tentant, face à l’absence de réaction du bateau dans les minutes qui suivent d’accentuer encore le coup de barre. Cela fera encore plus virer le navire… mais 20 minutes après le 2° coup de barre. Voyant le bateau prendre alors un virage beaucoup trop fort, le pilote cartésien mettra un violent coup de barre opposé pour tenter de corriger la trajectoire, faisant partir le bateau dans une série de zigzags toujours plus accentués. C’est toute la question des phénomènes de boucles d’actions / rétro-actions avec effet retard d’un système. De même la cybernétique a découvert un phénomène que les prédateurs (loups, félins, etc.) et les chasseurs connaissent bien : pour atteindre une cible en mouvement rapide, un avion ennemi par exemple, il faut tirer en avant de la cible, d’autant plus en avant que la cible se meut rapidement. Ce type d’erreur se retrouve dans plusieurs domaines, notamment en politique où les citoyens s’attendent à des résultats immédiat après une mesure gouvernementale sans comprendre que l’économie est un système ayant une hystérésis, un temps de réponse pouvant s’étendre sur plusieurs années. Cette erreur se retrouve chez la majorité des économistes – les « néoclassiques » - où on ne considère que des équations traitant des équilibres statiques (Walras) accessoirement dans un environnement de concurrence dite parfaite. L’ensemble des actions considérées sur une économie sont alors vues comme ayant un effet immédiat : pas de stocks intermédiaires, d’effet de percolation, de propagation au sein de l’économie, etc. On se retrouve alors avec des paradoxes qui ne viennent que de la non prise en compte du facteur temps : « Mises a résolu, le premier, le problème, apparemment insoluble, du raisonnement circulaire au sujet de l’application de la théorie de l’utilité marginale à la monnaie. En effet, le prix ou pouvoir d’achat de la monnaie est déterminé par son offre et sa demande ; la demande de monnaie est faite par les hommes, qui ne se basent pas sur l’utilité directe que procure la monnaie, mais la font précisément en fonction de son pouvoir d’achat. Mises a résolu, justement, ce raisonnement apparemment circulaire avec son théorème régressif de la monnaie (Mises, 1995 : 491-500). Selon ce théorème, la demande de monnaie est déterminée non pas par le pouvoir d’achat d’aujourd’hui (ce qui entraînerait le raisonnement circulaire), mais par la connaissance qu’a l’acteur grâce à son expérience du pouvoir d’achat que la monnaie a eu hier. Le pouvoir d’achat d’hier est, à son tour, déterminé par une demande d’argent qui s’est faite sur la base de la connaissance que l’on avait de son pouvoir d’achat d’avant-hier. Et ainsi de suite, » [ HUERTA DE SOTO, Jésus, « L’École Autrichienne, Marché et Créativité Entrepreneuriale », Institut Charles Coquelin, 2007, p 88]. 

Aucun commentaire: